Comment Netflix attaque l'industrie du cinéma

Après les séries télévisées et les documentaires, le géant de la vidéo à la demande s’attaque au cinéma. Netflix va produire et diffuser sept films d’ici au premier trimestre 2016, dont certains sortiront le même jour au cinéma et sur sa plateforme. La démarche s'inscrit dans la stratégie de produire toujours plus de contenus originaux pour valoriser le service. Elle pourrait surtout amorcer un début de "disruption" de l'industrie du cinéma en remettant en question le modèle de diffusion traditionnel des films.
Sylvain Rolland
Contrairement à la plupart des autres services de vidéo à la demande sur abonnement, qui misent sur la richesse de leur catalogue, Netflix se différencie en proposant des programmes qu'on ne peut voir ailleurs. Et qui déclenchent parfois l'acte d'abonnement ou, du moins, le fait que les utilisateurs le maintiennent.

Netflix est un ogre dont l'appétit n'est jamais rassasié. Après avoir investi, avec succès, le terrain de la série télévisée avec des productions originales comme Orange is the new black ou House of cards, puis celui du documentaire (What happened, Nina Simone ?), le leader de la vidéo à la demande sur abonnement (SVoD) s'attaque désormais au cinéma.

Pour marquer son entrée dans le septième art, le géant du streaming a annoncé la date de sortie de sept films. Comme pour ses séries télévisées, qui rivalisent avec les productions les plus ambitieuses des chaînes traditionnelles, Netflix ne nourrit aucun complexe et a réussi à convaincre des réalisateurs estimés et des acteurs connus de passer directement par la case streaming.

Brad Pitt, Adam Sandler et Cary Fukunaga

Ainsi, le 16 octobre prochain, Netflix lancera simultanément dans quelques salles de cinéma aux Etats-Unis et sur sa propre plateforme le film Beasts of Nation, de Cary Fukunaga. Adapté d'un roman nigérien, l'œuvre suit un enfant-soldat enlevé à sa famille pour combattre dans une guerre civile. Beasts of Nation aura la lourde tâche de bâtir la respectabilité de Netflix en tant que producteur de cinéma. La stature de Cary Fukunaga, vainqueur d'un Emmy Award l'an dernier pour la réalisation de la série HBO True Detective, encensée par la critique et par les amateurs de cinéma, représente une jolie prise pour Netflix.

Pour capitaliser sur le succès de l'acteur Adam Sandler, dont les films figurent parmi les plus regardés sur sa plateforme, Netflix diffusera le 11 décembre The Ridiculous Six, le premier d'une série de quatre films avec l'acteur vedette. Viendront ensuite au premier trimestre 2016 la suite du film Tigre et Dragon, toujours avec Michelle Yeoh dans le rôle-titre, et un remake du film de Tim Burton Pee-wee's Big Holiday en mars 2016.

Enfin, et pas des moindres, Netflix a déboursé 27 millions d'euros pour produire et diffuser War Machine, un ambitieux projet avec Brad Pitt dans le rôle-titre. Comme pour Beasts of Nation, War Machine sera aussi diffusé dans quelques salles de cinéma, ce qui lui permettra de concourir aux cérémonies de récompenses comme les Oscars et les Golden Globes...

La stratégie du contenu original

Cette entrée notable de Netflix dans la production cinématographique s'inscrit dans la continuité d'une stratégie de marque axée sur les contenus originaux. Contrairement à la plupart des autres services de vidéo à la demande sur abonnement, qui misent sur la richesse de leur catalogue, Netflix se différencie en proposant des programmes qu'on ne peut voir ailleurs. Et qui déclenchent parfois l'acte d'abonnement ou, du moins, le fait que les utilisateurs le maintiennent.

Le service, qui dispose de 62 millions d'abonnés dans le monde, investit toujours plus chaque année dans les contenus originaux (+30% en 2014 par rapport à 2013). Une stratégie payante selon les analystes. Au premier trimestre 2015, Netflix a gagné 2,28 millions de nouveaux utilisateurs aux Etats-Unis, dont une bonne partie grâce à la présence de contenus originaux, qui peuvent aussi peser dans la balance au moment de choisir une plateforme de vidéo à la demande. Cette stratégie est le pilier du succès de Netflix selon Rich Greenfield, analyste chez BTIG Research:

"Netflix investit dans du contenu que les utilisateurs veulent clairement voir. Il continuera à produire des contenus originaux pour construire son image de marque et réduire sa dépendance aux droits de diffusion", expliquait en avril dernier Rich Greenfield au site Bloomberg.

Vers une remise en question de la diffusion traditionnelle des films ?

Même si elle concerne, pour l'instant, un très petit nombre de films, l'annonce de Netflix contribue à remettre en question le modèle traditionnel de diffusion, qui veut qu'un film soit diffusé d'abord au cinéma, puis sur d'autres supports après un délai de 90 jours aux Etats-Unis et de 10 à 12 mois en France.

En produisant lui-même ses films et en les diffusant dans un nombre -inconnu pour l'heure mais très réduit- de salles obscures en même temps que sur sa propre plateforme, Netflix a trouvé un moyen de s'affranchir des diffuseurs traditionnels, et donc de la règle des 90 jours.

Sans surprise, cela ne réjouit pas l'industrie du cinéma, qui souffre déjà d'une baisse des ventes de tickets, de la concurrence du piratage et de la baisse des revenus des DVD et Blu-Ray, en partie liée à l'essor des plateformes de vidéos à la demande. Même si l'initiative de Netflix représente une goutte d'eau dans l'océan de la production de films, elle acte toutefois que le secteur du cinéma n'est pas à l'abri d'une disruption des usages.

Et pour cause: regarder un film chez soi dans d'excellentes conditions n'a jamais été aussi facile. Non seulement les outils high-tech deviennent de plus en plus accessibles pour le porte-monnaie, mais la qualité technique des téléviseurs et des ordinateurs, sans parler des vidéoprojecteurs, s'est considérablement améliorée. En cas de succès, la perception qu'un bon film se découvre forcément au cinéma pourrait évoluer. Pourquoi ne pas découvrir des films de "qualité cinéma" directement sur son canapé?

Paramount renverse la chronologie des médias

Netflix n'est pas le seul à attaquer le modèle de diffusion traditionnel des films. Aux Etats-Unis, où le système de diffusion est plus souple qu'en France, les initiatives isolées pour sortir un film simultanément au cinéma et en VOD se pratiquent de plus en plus souvent. Mais ce jeudi, le studio Paramount Pictures a donné un coup de pied dans la fourmilière en annonçant un partenariat inédit avec les services de téléchargement du groupe AMC et de Cineplex au Canada, deux gros exploitants cinématographiques.

Le studio va tester cet hiver une nouvelle forme de chronologie des médias avec deux de ses films: le dernier opus de la franchise Paranormal Activity, très populaire auprès du jeune public, et le film fantastique Scout's Guide to the Zombie Apocalypse. Ces films sortiront en octobre mais seront disponibles en téléchargement seulement deux semaines après leur passage dans les salles obscures. Ce qui veut dire que Paranormal Activity, par exemple, pourrait être encore diffusé au cinéma lors de son arrivée sur Internet.

L'initiative, isolée là-encore, représente un test dont les conséquences seront étudiées attentivement. Car l'idée est aussi de couper l'herbe sous le pied de ceux qui seraient tentés par le piratage. Il révèle surtout le début d'un changement d'état d'esprit à Hollywood. En clair, Paramount considère que retenir certains films pendant 90 jours n'a plus de sens.

Et en France ?

Les films produits et diffusés par Netflix seront accessibles dans les 90 pays qui proposent le service, dont la France. Dans l'Hexagone, le financement du cinéma dépend en grande partie des chaînes de télévision, et la chronologie des médias est encore plus rigoureuse qu'aux Etats-Unis. Ainsi, un film ne peut débarquer à la télévision ou sur un service de streaming que 10 à 12 mois après sa sortie dans les salles. Dans ce contexte d'exception culturelle farouchement défendue par les acteurs du cinéma, des initiatives comme celles de Paramount et de Netflix paraissent hautement improbables.

En revanche, le modèle Netflix intéresse certains producteurs indépendants, à l'image de Stéphane Guénin, le président de l'Association française des producteurs de films et de programmes audiovisuels (AFPF) :

"Pour certains films à petit budget qui n'ont pas de chaîne de télévision dans leur financement, le modèle Netflix pourrait être un bon moyen d'accéder au public. Si Netflix s'investit autant dans le cinéma que dans les séries télévisées et met la même énergie à développer un nouveau modèle de diffusion des films, cela peut être très positif pour les petits films, même si ça ne plaît pas aux gros producteurs attachés à l'exception culturelle française".

Sylvain Rolland

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Commentaires 7
à écrit le 15/07/2015 à 12:08
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Regarder des films chez soi en HD confortablement installé devient certes de plus en plus fréquent, mais ne remplacera jamais le plaisir d'aller au cinéma je pense

à écrit le 13/07/2015 à 15:58
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Et donc si Netflix décidait de ne pas sortir des films dans les salles en France, ils pourraient les sortir sur leur plateforme en même temps que dans le reste du monde?

à écrit le 12/07/2015 à 20:50
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une des sources des infos ci-dessus au sujet de l'évasion fiscale de Netflix est La Tribune http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140917tribb658d40be/netflix-nouveau-symbole-de-la-fiscalite-dans-les-nuages.html#awaitingComment1582437 merci

à écrit le 12/07/2015 à 20:40
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et son évasion fiscale? que ses utilisateurs ignorent quand ils choisissent ce fournisseur. Merci pour cet article mais pourquoi ne pas répéter que Netflix basée au Luxembourg ne paye pas la même TVA que ses concurrents...endommageant les budgets Cu...

le 13/07/2015 à 1:06
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On s'en fout bordel !

le 13/07/2015 à 8:33
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rien à cirer du moment que l'on a de bons programmes, ils ont raison ce qui compte pour moi c'est que nous ayons un prix abordable. Un mois d'abonnement chez Netflix ça équivaux à une place de cinéma et 12 mois chez eux à 2 mois chez canal +. Arrêton...

le 13/07/2015 à 10:01
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Arf quel dommage ! Du coup on pourra quand même continuer à payer les notes de taxi du directeur de l'INA et envoyer nos ministres avec leur familles voir des matchs de foot avec toute cette évasion ?

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