Coronavirus : pourquoi les Gafa restent inébranlables

En pleine récession provoquée par le coronavirus, les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont plus que jamais démontré leur résilience et la puissance de leurs empires. Avec plus de la moitié de la population mondiale appelée à se confiner, leurs activités ont connu un regain de croissance. En raison de leurs performances financières et boursières, le débat sur une taxation mondiale des activités du numérique a été relancé.
Anaïs Cherif
(Crédits : DR)

Même pas mal. Les Gafa ont réussi au cours du premier trimestre à encaisser sans trop sourciller les premiers ralentissements de l'économie mondiale provoquée par le coronavirus. Etant des acteurs incontournables sur leurs marchés respectifs hors période de crise, leur puissance n'a été que renforcée au cours de cette séquence.

Leurs empires reposent sur une équation de précieux atouts : une solide base mondiale d'utilisateurs couplée à une diversification de leurs activités au cours de la décennie écoulée, leur assurant une croissance insolente. Cela leur permet de s'asseoir sur des réserves massives de cash pour poursuivre les recrutements et les investissements, y compris en période de crise. Sans compter que certains pans de leurs activités peuvent être intégralement opérés à distance par leurs salariés (applications de messagerie, plateformes de streaming audio ou vidéo...), ils ont donc pu poursuivre leurs opérations en dépit des mesures de confinement.

Logiquement, alors que plus de la moitié de la population dans le monde été appelée à se confiner au cours du premier trimestre, les services dématérialisés des géants américains ont donc connu des bonds d'utilisation. A commencer par les outils de communication, comme les réseaux sociaux et les applications de messageries instantanées.

En pleine crise, Facebook lance une nouvelle appli

Facebook, qui est le leader incontesté du secteur avec 3 milliards d'utilisateurs dans le monde sur toutes ses plateformes (WhatsApp, Messenger, Instagram, et sa plateforme principale, Facebook), a vu le nombre de messages échangés exploser sur ses plateformes au cours du premier trimestre.

Lire aussi : Google ne connaît pas la crise (pour l'instant)

La firme de Menlo Park a ainsi pu observer les nouvelles de tendances de communication, comme la hausse des appels vidéo groupés à plus de trois personnes. Conséquence : Facebook a lancé en avril une nouvelle application de visioconférence, baptisée "Messenger Rooms". Pour Mark Zuckerberg, Pdg et co-fondateur du groupe, la crise provoquée par le Covid-19 est une "opportunité".

"Il y a beaucoup de choses à construire pendant des périodes comme celle-ci, donc plutôt que de freiner à fond, comme beaucoup d'entreprises pourraient le faire, c'est important de continuer à investir dans les nouveaux besoins", déclarait le jeune milliardaire fin avril, en promettant le recrutement de 10.000 personnes d'ici la fin de l'année.

Le groupe de Mark Zuckerberg a dépassé les prévisions des analystes avec un chiffre d'affaires de 17,7 milliards de dollars (+18% sur un an) entre janvier et mars - tout en enregistrant toutefois sa plus faible hausse jamais enregistrée. Son bénéfice net a quant à lui explosé de +102% à 4,9 milliards de dollars.

Lire aussi : La crise du Covid-19, une "opportunité" pour Facebook

Boom des services de divertissements chez Google et Apple

Au-delà des communications, le confinement a aussi dopé les services en ligne de divertissement. Ainsi, la croissance de la plateforme vidéo YouTube a dopé l'activité d'Alphabet (maison-mère de Google). La firme de Mountain View a ainsi enregistré un bénéfice net de plus de 6,8 milliards de dollars (+3% sur un an) entre janvier et mars pour un chiffre d'affaires de 41,2 milliards de dollars (+13% sur un an). Même son de cloche chez Apple.

La firme à la pomme croquée a subi le ralentissement de production de ses produits (smartphones, ordinateurs portables...) dû à la fermeture temporaire des usines en Chine, mais elle s'est rattrapée grâce à sa division services (le streaming audio et vidéo avec Apple Music et AppleTV+, le paiement avec ApplePay, le magasin d'applications AppStore...).

Les services ont généré 13,3 milliards de dollars sur la période (+15,7% sur un an) sur un chiffre d'affaires total de 58,3 milliards de dollars, dépassant les attentes des analystes. Le bénéfice net s'élève quant à lui de 11,2 milliards de dollars (-2,6% par rapport à la même période l'an passé). "Notre investissement de longue date dans une stratégie de services paie", s'est réjoui fin avril Tim Cook, Pdg du groupe. Et de poursuivre :

"Apple a progressé sur le trimestre, grâce à un record absolu dans les services et un record trimestriel pour les accessoires connectés (ndlr : écouteurs Airpod, montre connectée Apple Watch). Dans cet environnement difficile, nos utilisateurs dépendent des produits Apple pour rester connectés, informés, créatifs et productifs."

Le confinement dope les ventes d'Amazon

Le commerce en ligne n'a pas été en reste. Amazon, leader mondial du e-commerce, a enregistré un chiffre d'affaires de 75,5 milliards de dollars (+26% par rapport à la même période l'an dernier), dépassant, là aussi, les attentes des analystes. Son bénéfice net a cependant chuté d'environ 30% à 2,5 milliards de dollars. Le groupe a notamment dû recruter massivement pour répondre à la hausse des commandes, avec 175.000 emplois créés aux Etats-Unis en mars et avril.

"Des achats en ligne à AWS (ndlr : sa division cloud) en passant par Prime Video et Fire TV, la crise actuelle démontre l'adaptabilité et la durabilité des activités d'Amazon comme jamais auparavant", a déclaré à la fin avril Jeff Bezos, fondateur et Pdg d'Amazon.

Lire aussi : Coronavirus : Amazon recrute 100.000 personnes pour absorber le bond de commandes

Si les géants américains s'attendent néanmoins à une chute de leurs revenus publicitaires à compter du deuxième trimestre, couplé à une hausse de leurs dépenses pour respecter les mesures sanitaires (notamment pour les centres logistiques Amazon), ils devraient cependant traverser la crise sans trop d'encombres.

Les Gafa pèsent plus de 4.000 milliards de dollars en Bourse

Côté Bourse, les Gafa ont connu quelques turbulences au cours du premier trimestre, mais ils ont rapidement renoué avec les performances exceptionnelles. Le titre d'Amazon a pris +28% depuis janvier, pour atteindre la valorisation astronomique de 1.180 milliard de dollars ! Le cours d'Apple a pour sa part grimpé de 6,5% depuis janvier, pour une valorisation de 1.350 milliards de dollars. Les titres de Google et Facebook sont quant à eux restés quasiment stables depuis janvier, avec des valorisations respectives à 940 milliards et 594 milliards de dollars.

Face à ces performances, le débat sur la taxation des entreprises du numérique a été relancé la semaine dernière. Alors la crise économique touche de plein fouet des pans entiers de l'économie, la question de la justice fiscale est plus que jamais d'actualité.

"Cette crise montre que ceux qui s'en sortent aujourd'hui le mieux, ce sont les géants du numérique simplement parce que leurs activités se poursuivent y compris pendant la crise, et pourtant ce sont les moins taxés", a déclaré lundi dernier le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire, à l'occasion d'une séance de questions-réponses en direct avec les internautes sur le réseau social professionnel LinkedIn.

Un risque de "cartellisation", selon Bruno Le Maire

Un projet mondial de taxation des activités numériques des multinationales est en cours de préparation à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis 2019. Une version finalisée devait voir le jour en juillet pour une application effective à compter de 2021. Mais en raison de la crise économique mondiale liée au Covid-19, ce projet de réforme pourrait désormais voir le jour en octobre seulement. L'ultimatum d'un accord politique à 137 pays semble donc très difficile, voire impossible, à tenir d'ici fin 2020.

C'est pourquoi Bruno Le Maire tente de repasser par la case Union européenne. "Je vois que les travaux de l'OCDE aujourd'hui marquent le pas. Si les travaux de l'OCDE marquent le pas, il faut que l'Union européenne collectivement reprenne le chemin de la taxation des géants du numérique", a-t-il affirmé mercredi dernier lors d'une visite de librairie à Montreuil, en banlieue de Paris.

"Les géants du numérique, qu'ils soient d'ailleurs américains ou chinois, vont sortir plus forts de cette crise (...) avec un risque de cartellisation qui est important", a estimé le ministre, en mettant en garde sur "un risque de rachat d'un certain nombre d'activités stratégiques en France et en Europe" par ces groupes.

Mais un compromis à l'échelle européenne semble, là aussi, compromis. En matière fiscale, le projet d'une taxation européenne nécessite un accord de tous les Etats membres. C'est pourquoi les précédentes tentatives ont toutes capotées, en raison de l'opposition des pays aux régimes fiscaux avantageux, comme l'Irlande.

Anaïs Cherif

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Commentaires 2
à écrit le 14/05/2020 à 15:50
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Mais pas encore assez puissantes pour renverser la dictature financière mondiale qui paralyse ou freine tout le monde. Les taxer est une idiotie qui se paiera à long terme mais en l'absence de matière grise, chez nos dirigeants politiques et écon...

à écrit le 14/05/2020 à 11:06
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Les "grandes" et trop vieilles familles de ce monde doivent être tétanisées, on entend d'ailleurs chouiner les banquiers.

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