Deezer : « L'entrée en Bourse nous apporte l'argent nécessaire à notre développement » (Stéphane Rougeot, DG adjoint)

Dès son premier jour sur Euronext, Deezer a perdu 27% de sa valorisation, et la tendance baissière se poursuit. Interrogé par La Tribune, le directeur général adjoint et directeur financier de Deezer, Stéphane Rougeot, affirme qu'il s'attendait à cette tendance, et qu'il ne regrette pas la fusion avec le Spac I2PO. D'après lui, l'opération aurait permis à Deezer de lever les fonds suffisants pour alimenter son nouveau plan de développement, avec lequel il prévoit d'atteindre la rentabilité et 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires à l'horizon 2025.
François Manens
(Crédits : BENOIT TESSIER)

Cinquième séance en Bourse, cinquième séance en baisse. Avec une chute globale de 40% de sa valorisation en moins d'une semaine, c'est peu dire que les débuts de Deezer sur Euronext sont compliqués. Plutôt que de réaliser une entrée en Bourse classique, le champion français du streaming musical a fait le choix de fusionner le 5 juillet avec le Spac I2PO créé par Iris Knobloch (ex-dirigeante de Warner Media Europe), Artemis (holding de la famille Pinault) et Combat Holding (holding de Mathieu Pigasse).

Malgré ce début catastrophique, les dirigeants de Deezer tempèrent la situation et affichent leur confiance en leur nouvelle stratégie. La Tribune a pu échanger avec Stéphane Rougeot, Directeur général adjoint et directeur financier de Deezer depuis janvier 2022.

LA TRIBUNE- Après cinq jours de cotation, l'action affiche plus de 40% de baisse par rapport à son prix de départ, de 8,50 euros à 4,85 euros. Comment expliquez-vous que vous ayez autant manqué votre cible de valorisation ?

STEPHANE ROUGEOT- Techniquement, nous n'avons pas fait une introduction en Bourse, mais une fusion avec un Spac. La valorisation a donc été définie en avril, lors de la signature entre Deezer et I2PO. Les entreprises qui font des IPO classiques peuvent ajuster leur valorisation jusqu'à la veille de l'introduction, mais ce n'était pas notre cas. Dans un contexte de marché volatile, la baisse du cours était donc logique. De plus, le multiple de valorisation [rapport entre les performances économiques et la valeur de l'action, ndlr] de Deezer était plus important que celui de Spotify [le leader mondial du streaming audio, ndlr], ce qui à ce stade de notre développement n'a pas lieu d'être.

Vous aviez prévu de lever jusqu'à 400 millions d'euros, vous n'en récoltez finalement que 140 millions, à peine plus que le minimum anticipé. Comment cet écart de 260 millions d'euros affecte-t-il votre plan de développement ?

Au mois d'avril, nous avions indiqué que la condition pour lancer l'opération était de récolter au minimum 130 millions d'euros de cash. Nous avions déjà sécurisé ce montant auprès de nos actionnaires et de nouveaux investisseurs [via le mécanisme de PIPE (Private Investment in Public Equity), ndlr] et tout ce qui pouvait s'additionner à cette somme lors de la fusion avec le Spac était du bonus pour nous. Aux vues des conditions de marché, nous avions anticipé que le taux de rédemption du Spac [taux de retrait des investisseurs, ndlr] serait important. Au final, il a été de 90%, ce qui correspond au taux moyen dans le contexte actuel.

Quand espérez-vous redresser la tendance sur le marché ?

Nous avons pour objectif d'atteindre un milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2025, contre 400 millions d'euros aujourd'hui. Ces perspectives de croissance impliquent d'avoir un taux de croissance supérieur à la moyenne du marché du streaming musical et d'atteindre la rentabilité en 2025. Si nous tenons nos objectifs et que les investisseurs sont rationnels, la valorisation du cours en Bourse devrait augmenter.

Vous maintenez donc qu'aller en Bourse était la bonne décision ?

Nous sommes dans le top 5 du marché du streaming musical, mais nous restons le petit poucet derrière Spotify et les géants américains Google (YouTube), Apple et Amazon. Nous devons batailler avec des moyens en comparaison très réduits et entrer en Bourse nous donne la possibilité d'ouvrir une nouvelle phase de développement et d'innovation. La fusion avec le Spac a apporté ce dont nous avions besoin pour financer notre plan stratégique : 140 millions d'euros, qui sont déjà sur nos comptes bancaires. Ensuite, il ne faut surtout pas l'oublier, elle nous apporte aussi l'appui des membres d'I2PO, qui vont nous aider dans la mise en œuvre de ce plan.

Les fondateurs du Spac sont très bien connectés dans le domaine du divertissement et des médias. Iris Knobloch, ancienne dirigeante de Warner Media Europe [qui va prendre la direction du conseil d'administration, ndlr] connaît bien ces univers, et elle va nous aider à mettre en place des partenariats. Mathieu Pigasse connaît évidemment bien le milieu des médias, et Artémis va nous apporter son expertise sur la mise en place d'une marque de renommée mondiale auprès des consommateurs.

Pour vous distinguer de vos concurrents, vous misez en grande partie sur des accords avec des partenaires comme Orange en France ou Globoplay au Brésil. Vous avez récemment annoncé un nouveau volet de cette stratégie, avec l'intégration de Deezer à la future "super app" de RTL en Allemagne. Pourquoi insistez-vous autant sur le BtoB ?

Notre modèle économique évolue vers un mix entre le BtoB et le BtoC. Le modèle de partenariat BtoB nous permet d'être profitable plus vite et de nous déployer plus rapidement. Il doit nous permettre d'atteindre la rentabilité avant Spotify, alors que nous aurons un chiffre d'affaire bien inférieur. Je pense que cette capacité de croissance plus élevée justifie les investissements que nous allons faire.

Avec cette nouvelle stratégie portée vers le BtoB, peut-on toujours vous considérer comme un concurrent de Spotify ?

Par certains aspects, nous restons concurrents car nos produits et nos catalogues de musique sont comparables. Mais nos stratégies sont différentes. Spotify développe d'autres contenus audio, comme les podcasts, alors que nous nous concentrons sur la musique. Nous pensons que les consommateurs recherchent plus que l'accès au catalogue, ils cherchent des expériences comme le live streaming, ils veulent se connecter avec les artistes qu'ils aiment, ou encore entre fans.

Quel part de votre chiffre d'affaires le BtoB représentera-t-il à l'avenir?

Nous nous attendons à avoir près de 50% de notre chiffre d'affaires sur le BtoB à l'horizon 2025, et donc un peu plus de 50% sur le BtoC. Pour le BtoC, nous allons concentrer nos efforts sur une poignée de pays en Europe comme l'Allemagne et le Royaume-Uni, ainsi qu'aux Etats-Unis et au Canada. Ce développement va d'ailleurs s'appuyer sur nos partenariats BtoB : une fois que notre marque sera bien installée auprès du public, nous développerons le BtoC.

Vous mettez particulièrement en avant votre partenariat avec RTL, dont le fruit sera lancé cet été. Peut-on dire qu'il s'agit du premier véritable test pour votre nouveau modèle ?

Ce sera le partenariat flagship [modèle de référence, ndlr]. Nous en verrons les premiers résultats dans six mois, avec la montée en puissance du projet. D'ailleurs, ce partenariat est aussi extrêmement important pour RTL. Leur super app donnera accès à la télévision, mais aussi à d'autres services audio et vidéo, avec un modèle de souscription. Pour un groupe de média issu de la télévision, c'est un virage important, qui vise à limiter le churn [la perte de clients, ndlr]. Dans cet objectif, le streaming musical est essentiel, car c'est un des contenus les plus engageants pour le public.

François Manens

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Commentaires 4
à écrit le 12/07/2022 à 11:46
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les petits actionnaires se sont faits plumer mais il est satisfait.

à écrit le 12/07/2022 à 7:46
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Dommage que la Bourse soit devenue un jeu de casino et donc "pompe a fric"!

le 12/07/2022 à 14:26
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J'investit en bourse depuis 1994 et je suis très largement gagnant malgré les nombreuses bourrasques qu'il y a eu depuis. C'est vrai que la bourse peut être utilisé comme un casino par certains mais ceux là sont généralement perdants sur le long term...

le 12/07/2022 à 14:55
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Investir c'est beaucoup dire, mais placer avec intérêt me semble plus juste! Avec la malchance de perdre pendant que d'autre gagne engendrant un effet de pompe! Mais c'est la banque (le casino) qui gagne toujours et ...les intermédiaires!

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