Malgré son entrée en Bourse difficile, Deezer sauve les meubles

Pour sa première journée sur Euronext, l'action Deezer a dégringolé de 27,5%. Néanmoins, l'entreprise française de streaming audio a tout de même réussi à lever plus de 170 millions d'euros. Un montant en apparence suffisant pour alimenter un virage stratégique censé lui permettre de coexister avec les géants du secteur (Spotify, Apple, Amazon...) et d'atteindre la rentabilité à moyen terme.
François Manens
(Crédits : La French Tech)

Après une première tentative ratée en 2015, la première journée en Bourse de Deezer, ce mardi, était très attendue, alors que les marchés financiers, et plus particulièrement les valeurs des entreprises tech, sont en souffrance ces derniers mois. Elle a tourné au cauchemar. A peine introduite sur Euronext ce 5 juillet, l'action du champion français du streaming audio a pris du plomb dans l'aile, en perdant jusqu'à 35% de sa valeur sur les coups de 11 heures, avant de se reprendre légèrement et finir la séance sur une baisse de 27,5%.

Pour autant, Deezer semble avoir sauvé les meubles. Derrière la sérieuse correction des marchés, se cachent des points de satisfaction. Si elle n'a pu lever les 400 millions d'euros espérés, l'entreprise est tout de même parvenue à récupérer 170 millions d'euros, un montant suffisant, selon la direction, pour alimenter son virage stratégique vers l'intégration à des applications tierces en marque blanche. Un pari opérationnel qui doit permettre à Deezer de trouver le chemin de la rentabilité d'ici à 2025. De quoi laisser espérer un redressement du cours de l'action à moyen terme.

"La chute du cours n'est pas un désastre. Deezer a obtenu le carburant pour alimenter une stratégie convaincante sur le papier. Il faut se donner rendez-vous dans 24 mois pour juger désormais", estime auprès de La Tribune Jacques-Aurélien Marcireau, codirecteur des gestions actions chez Edmond de Rothschild Asset Management.

Deezer s'est vu trop beau

Plusieurs conditions étaient réunies pour cette dégringolade. L'introduction en Bourse a tout d'abord été préparée avant que l'aversion au risque des marchés n'augmente en flèche. Ensuite, l'entreprise a misé sur la mauvaise journée : le 5 juillet était assez particulier, avec la dépréciation historique de l'euro, combinée à une baisse du marché de près de 2%. Enfin, Deezer a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre, en s'introduisant avec une prime par rapport à Spotify, le leader du secteur, dont le cours de Bourse est en retrait de 54% depuis le début de l'année. Autrement dit, elle proposait aux investisseurs de payer comparativement plus cher par rapport aux perspectives de croissance des deux groupes.

"Le climat n'est pas favorable aux introductions en Bourse, encore moins sur des sujets risqués comme la tech. Et en plus, Deezer n'est pas leader de son secteur et il a moins d'empreinte géographique que ses concurrents", rappelle Jacques-Aurélien Marcireau. Bien qu'avant-gardiste, l'entreprise créée en 2007 n'a pas réussi à suivre le rythme de développement effréné de l'autre Européen, Spotify, devenu l'incontesté numéro 1 du marché (avec plus d'un tiers des parts). A l'inverse, Deezer ne pèse que 1,7% du marché, loin derrière les principaux challengers Apple Music et Amazon Music, et il fait plus de la moitié de ses 400 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel en France. "Si Deezer a seulement pour lui d'être leader en France et d'être bien implanté au Brésil, il ne pourra pas convaincre les investisseurs. Spotify amortit les mêmes coûts de développement que Deezer sur une centaine de pays. L'affrontement ne peut pas être frontal", ajoute l'expert.

Une nouvelle stratégie qui donne de l'espoir

Pour continuer d'exister et ne pas simplement se faire avaler, l'entreprise française a donc opéré un virage stratégique sous l'impulsion de son nouveau PDG, Jeronimo Folgueira, arrivé à l'été 2021. L'idée ? Ne plus se confronter à Spotify sur le marché grand public où il fait figure de poids plume, mais plutôt nouer des partenariats pour être intégré à des offres de grands groupes télécom et médias, en marque blanche s'il le faut. Mesure phare de ce virage, en novembre 2021, Deezer a annoncé son intégration à l'offre du groupe RTL Allemagne, qui sera effective fin juillet.

"La stratégie du nouveau directeur général est convaincante, mais elle a des allures de quitte ou double", évalue Jacques-Aurélien Marcireau. "Aujourd'hui, nous n'avons aucun recul sur ce modèle de partenariat. Mais si l'alliance avec RTL se passe bien, ce serait le signe que la stratégie de marque blanche peut fonctionner, et Deezer deviendrait une vraie alternative", projette-t-il.

L'analyste note aussi que les grands labels ont tout intérêt à favoriser la survie d'une pluralité d'acteurs sur le marché, pour ne pas se retrouver à négocier en position de faiblesse avec le seul trio Spotify-Apple-Amazon. Deezer aurait donc des alliés de circonstance pour valider son modèle.

La valorisation de Deezer reste dans les standards de son marché

Problème : pour récolter les éventuels fruits de ce virage opérationnel, l'entreprise avait besoin d'investir, et donc de nouveaux capitaux. La tête d'affiche de la French Tech avait déjà reporté son entrée en Bourse à cause des conditions du marché en 2015, et elle ne pouvait pas se le permettre une seconde fois. "D'un point de vue opérationnel, mieux vaut avoir le cash maintenant, car on ne sait pas si ça ira mieux dans six mois ou un an", précise Jacques-Aurélien Marcireau.

Avant même l'ouverture du cours, Deezer avait la garantie d'un financement de 143 millions d'euros de la part de ses investisseurs historiques (Access industries, Orange, UMG, Eurazeo, Bpifrance, Media Participations et Xavier Niel), auxquels se sont ajoutés les 23 millions d'euros du Spac I2PO -une structure purement financière vouée à faciliter l'entrée en Bourse- avec lequel il a fusionné. Cette levée est un premier motif de réjouissance. «Cette somme sera suffisante pour financer l'intégralité de notre plan de développement jusqu'à notre arrivée à la profitabilité», affirmait Jeronimo Folgueira avant l'introduction. Si son plan fonctionne, l'entreprise envisage de plus que doubler son chiffre d'affaires d'ici à 2025, avec en cible le milliard d'euros. À cet horizon, il espère également dégager des bénéfices alors qu'il a perdu 64 millions d'euros en 2021.

Autre point rassurant : au-delà de la chute du cours, la valorisation de Deezer ne semble pas si mauvaise, du moins pour ce qui est du marché du streaming audio. Elle s'élevait à un peu plus de 2 fois son chiffre d'affaires lors de la dernière levée de fonds, elle s'approche plutôt d'un coefficient d'1,5 à la fin de la première journée de cotation (ce qui porte sa valorisation autour du milliard d'euro). "Avec la baisse du cours, on retombe à un coefficient de valorisation similaire à celui de Spotify. Autrement dit, il n'y a pas de décote excessive vis-à-vis du leader mondial, et une cohérence entre les acteurs du streaming", observe l'analyste d'Edmond de Rothschild Asset Management. Si ces coefficients paraissent faibles par rapport à d'autres acteurs de la tech, c'est notamment dû au fait que Spotify, Deezer ou Apple Music sont des distributeurs. Autrement dit, ils redistribuent une grande partie de leur chiffre d'affaires aux ayants droits.

En résumé, avec suffisamment de cash levé, et une valorisation encore raisonnable, la première journée en Bourse de Deezer ne paraît finalement pas si mauvaise qu'elle en a l'air, surtout compte tenu de la petite santé des marchés. "Nous ne voyons pas dans la chute du cours le témoignage d'un échec. L'échec aurait été qu'ils ne financent pas leur trajectoire de croissance", conclut Jean-Jacques Marcireau.

François Manens

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