Elon Musk a renvoyé plus de 8 employés sur 10 : Twitter peut-il sortir du chaos ?

Trois vagues de départs, la fuite des annonceurs, le retour de Trump sur le réseau social et des projets tous azimuts quitte à multiplier les fiasco : en moins d'un mois, Elon Musk a détruit la culture d'entreprise de Twitter et étalé une méthode basée sur la brutalité et l'impulsivité. Résultat : le réseau social est fragilisé à l'extrême, avec seulement 1.000 employés (-86%) et 1.100 contractuels (-80%) pour animer une communauté de 260 millions d'utilisateurs actifs par jour et trouver un modèle économique pérenne. Analyse.
Sylvain Rolland
(Crédits : DADO RUVIC)

Les chiffres sont à peine croyables. Le 28 octobre dernier, lors du premier jour d'Elon Musk à la tête de Twitter, le réseau social à l'oiseau bleu comptait dans ses effectifs 7.400 employés dans le monde et 5.500 contractuels (ces derniers s'occupant en grande partie de la modération). Lundi 21 novembre, il ne restait que 1.000 employés sur 7.400, et 1.100 contractuels sur 5.500. Soit une purge de 6.400 personnes du côté des employés (-86% des effectifs), et de 4.400 personnes du côté des contractuels (-80%). Le tout en seulement 23 jours. Une véritable hécatombe.

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Trois vagues de licenciements en trois semaines

Pour réduire la masse salariale, Elon Musk s'y est pris en trois temps. D'abord, un immense plan social à la hache concernant 50% des effectifs de l'entreprise, doit 3.700 personnes, la première semaine de novembre. La semaine suivante, le nouveau patron s'est attaqué aux contractuels, en annonçant le licenciement de 80% d'entre eux, essentiellement dans la modération des contenus, alors même que Twitter était considéré avant le rachat comme l'un des réseaux sociaux les moins efficaces sur le sujet. Enfin, lors de la troisième semaine de novembre, Elon Musk s'est attaqué aux survivants du premier plan social en lançant aux quelques 3.700 employés restants un ultimatum : travailler « à fond, inconditionnellement » ou prendre la porte.

D'après le magazine Fortune, 75% des restants ont choisi à ce moment-là de partir. Ajoutons à ces vagues de départ quelques centaines de licenciements éparpillés dans le mois -surtout des employés et managers qui critiquaient ouvertement ou dans les messageries internes la gestion d'Elon Musk-, et Twitter ne compterait aujourd'hui que 1.000 employés et 1.100 contractuels, soit 2.200 en tout, contre 12.900 vingt-trois jours plus tôt !

De fait, on retiendra du premier mois d'Elon Musk quatre « accomplissements », tous plus inquiétants les uns que les autres : la boucherie sur la masse salariale ; le flop spectaculaire de l'abonnement Twitter Blue à 8 dollars par mois, lancé puis rangé indéfiniment au placard à cause de nombreuses dérives ; la rupture de neutralité assumée lorsqu'Elon Musk a appelé ses 118 millions de followers à voter Républicain aux élections de mi-mandat début novembre, confirmant les craintes sur son agenda politique ; et la réintégration de Donald Trump suite à un simple sondage, alors même que l'ancien président avait été banni de tous les grands réseaux sociaux l'an dernier en raison de son rôle actif pour encourager les émeutes du Capitole du 6 janvier 2021, qui ont provoqué six morts.

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Brutalité et vélocité, la méthode Musk en action

Ces premières semaines donnent un aperçu assez clair de la méthode et du style de management d'Elon Musk : faire table rase de l'ancien Twitter -dont il exécrait la culture d'entreprise- pour reconstruire à partir de ce qu'il en reste. Ainsi, après avoir viré sans ménagement la moitié des effectifs et congédié tous ceux qui osaient le critiquer, l'ultimatum donné aux restants sonne comme une nouvelle épuration, par la qualité cette fois, en se débarrassant de tous ceux qui avaient survécu jusque-là mais qui ne partagent pas ses valeurs.

Problème : la purge est si violente qu'il ne reste plus grand-chose. Si Twitter avait certainement un peu de « gras » à couper dans ses effectifs avant Musk, il paraît peu probable que l'entreprise employait 10.800 personnes de trop. Ce qui ne manque pas d'interroger sur la capacité de Twitter à fonctionner normalement pour ses utilisateurs, de manière sécurisée, et à répondre à ses obligations légales de modération des contenus.

Mais peu importe la violence et le danger que la méthode Musk créé pour la survie à court terme de l'entreprise. Elon Musk est dans une croisade culturelle contre l'ancien Twitter. « Je peux vous dire ce qui marche chez Tesla : être présent physiquement au bureau et se donner à fond »; a déclaré l'entrepreneur lors d'un Spaces, un salon de discussion sur le réseau social. La purge passe donc aussi par la destruction de la culture d'entreprise de Twitter. Le nouveau patron la juge trop libérale avec son télétravail généralisé, son progressisme typique de la Silicon Valley, et sa politique de ressources humaines axée sur la bienveillance et les avantages pour les salariés comme la cantine gratuite et à volonté. Dès son arrivée, Elon Musk a donc appliqué à Twitter ce qui fonctionne déjà dans ses autres entreprises : le présentiel tous les jours de la semaine sauf exceptions. Le milliardaire a également mis fin aux repas gratuits dans un souci d'optimisation des coûts.

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Des esquisses d'un projet flou et incohérent

Cette méthode alliant rapidité et brutalité, avec peu de considération pour les conséquences concrètes de ses décisions, vaut également pour le business. Elon Musk a annoncé clairement la couleur : « Merci de noter que Twitter va faire beaucoup de choses stupides dans les prochains mois. Nous garderons ce qui marche et changerons ce qui ne marche pas », a-t-il déclaré dans un tweet.

Le lancement trop rapide de Twitter Blue, alors même que ses dérives étaient non seulement prévisibles mais annoncées, inaugure la liste de ces stupidités. Mais est-ce à dire qu'Elon Musk n'a pas de projet ? Pas si vite. S'il semble passer beaucoup de temps tous les jours à lire et répondre à des tweets, l'entrepreneur a aussi annoncé ces dernières semaines, perdus dans l'océan de ses provocations et trolls en tout genres, de nombreuses idées qui esquissent les futures évolutions du réseau social.

Elon Musk a ainsi promis l'arrivée prochaine du paiement, le chiffrement des messages privés, la rémunération des créateurs de contenus (pour concurrencer des plateformes comme Onlyfans ?) ou encore le renforcement de la lutte contre la pédopornographie. On peine à distinguer la cohérence globale : l'entrepreneur expérimente en permanence, explore ses intuitions que personne ne remet en question -il a supprimé le conseil d'administration- et on verra plus tard. Forcé de racheter Twitter à un prix exorbitant de 44 milliards de dollars alors qu'il a tenté pendant des mois d'annuler la vente, Musk s'amuse même à entretenir le flou sur ses réelles intentions : veut-il vraiment sauver Twitter ou le détruire ?

Ainsi, le voilà qui suggère, par un emoji de tête de mort assorti d'un emoji robot, que l'automatisation générale des tâches va remplacer les salariés licenciés. Un autre jour, il poste un meme dans lequel il se met en scène en train de célébrer la mort de Twitter sur sa tombe. L'entrepreneur semble se moquer de la fuite « massive » -c'est son propre mot- des annonceurs, alors même que la publicité représente 90% des revenus du réseau social. Comme si la possibilité d'un dépôt de bilan de Twitter -un épouvantail qu'il a aussi agité en début de mois- faisait partie du jeu. Depuis le 28 octobre, où il était arrivé dans les locaux avec un évier (sink en anglais) dans les bras, Musk joue d'ailleurs avec le double-sens du mot, qui est aussi un verbe que l'on peut traduire par « vider » -ce qui était annonciateur de la purge des ressources humaines-, mais aussi « couler ».

En bon agitateur, Elon Musk surjoue la confiance en sa vision, mais n'exprime concrètement aucun chemin de croissance pour Twitter au-delà de faire d'énormes économies de fonctionnement. Ce qui renvoie plusieurs mois en arrière, quand Musk voulait abandonner le rachat mais que Twitter semblait l'avoir coincé avec un contrat en béton. Musk se moquait alors publiquement de la précédente direction en multipliant les tweets énigmatiques laissant penser que tout ceci faisait partie de son vaste plan dont le génie n'était pas accessible au commun des mortels. Sauf qu'au final, Elon Musk n'a réussi ni à sortir du deal -le contrat l'engageait réellement, Twitter avait raison-, ni à faire baisser le prix de 44 milliards de dollars. En revanche, il a abîmé la réputation de Twitter et la sienne. Nul doute que le patron de Tesla et SpaceX est un entrepreneur hors normes aux intuitions géniales -il a relancé le secteur des véhicules électriques et révolutionné le spatial- mais depuis avril, il n'a présenté aucun projet économique concret et viable pour le réseau social. Va-t-il réussir à retomber sur ses pattes ou Twitter sera-t-il son ultime péché d'hubris qui détruira sa réputation ?

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Des prochaines semaines décisives pour Twitter

La possibilité qu'Elon Musk se serve de Twitter pour favoriser les intérêts de ses autres entreprises -notamment Tesla- et faire progresser dans l'opinion l'agenda politique de l'alternative right -la frange la plus radicale des Républicains-, ne peut être écartée. Depuis qu'il a affiché des positions pro-russes et chinoises dans le cadre de leurs conflits respectifs avec l'Ukraine et Taïwan, l'entrepreneur a réchauffé ses relations -quelques peu tendues depuis que ses satellites Starlink aident l'Ukraine- avec les dirigeants de ces deux marchés stratégiques, notamment la Chine.

En attendant, Tesla souffre des frasques d'Elon Musk avec Twitter. Ses investisseurs s'inquiètent de la dispersion du directeur général et s'effraient de son attitude erratique. D'autant plus que le contexte macroéconomique pénalise l'ensemble des valeurs tech en Bourse. L'action Tesla est ainsi passé de 308 dollars le 20 septembre à... 168 dollars le 22 novembre, et cette chute de 45% est à imputer en partie au comportement d'Elon Musk.

Les prochaines semaines seront décisives pour juger le projet d'Elon Musk et la capacité de Twitter à faire face aux changements drastiques imposés par son nouveau propriétaire. Avec 6.440 employés et 4.400 contractuels en moins, le réseau social continuera-t-il de fonctionner normalement et de manière sécurisée ? Un bras de fer avec les régulateurs du monde entier est-il évitable pour Elon Musk ? Les annonceurs reviendront-ils ? Autant de questions cruciales en suspens.

Sylvain Rolland

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Commentaires 10
à écrit le 23/11/2022 à 23:35
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Qu il disparaisse , fasse faillite lui et sa clique trumpiste … c est un danger pour la démocratie … n étant pas sur les réseaux sociaux gratis pas de risque que j’aille sur le sien payant .. vais pas enrichir un milliardaire demago

à écrit le 23/11/2022 à 18:24
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J'ai une idée pour Musk, dans l'attente d'une meilleure solution: on pourrait tout publier sur twitter sans censure, mais avec l'avis sur chaque twit "ce message est probablement une c.nnerie" ça ne démande pas de personnel. Il faudra juste lutter c...

à écrit le 23/11/2022 à 11:45
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@Charlie: oui oui... avec Trump en chef de file ?

le 23/11/2022 à 16:09
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Trump rapportait énormément d'argent à TWitter avant la suppression de son compte, mais il en était un utilisateur comme un autre.

à écrit le 23/11/2022 à 10:11
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Virer 8 fonctionnaires sur 10 au niveau des postes administratifs ; et, réduire drastiquement les tâches administratives, simplifier massivement et rendre très efficaces les procédures et démarches administratives. C'est la réforme que l'État, obèse...

le 23/11/2022 à 16:00
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Vous faites partie des personnes qui ont vraiment ruiné la FRANCE par leurs obsessions. Ne vous en faites pas, nous sommes en train de devenir le pays sous-développé dont vous rêvez...

le 23/11/2022 à 17:53
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Oui, la France est devenue un pays sous-developpé à cause de l'hyper-administration centralisée et de l'état ultra-social qui gaspille l'argent pour acheter les voix et la paix sociale et n'a pas un sous quand il s'agit d'investir. Ce monstre est da...

à écrit le 23/11/2022 à 9:18
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Musk est un génie. Je ne vois personne d'autre capable d'investir 40 milliards pour couler son entreprise. Dans quel but? Sauf à démontrer que Tweeter ne sert à rien, est dangereux pour la démocratie par les manipulations qu'il autorise et que les e...

le 23/11/2022 à 10:46
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Comme disaient les "woke" avant le rachat par Elon Musk : "si Twitter ne vous convient pas, vous n'avez qu'à créer votre propre réseau social".

à écrit le 23/11/2022 à 9:08
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Elon Musk est sur la bonne voie. Twitter était devenu un réseau complètement idiot, bien-pensant, woke, démagogique, il fallait libérer ce réseau de sa bêtise. Mieux vaut un auditoire plus restreint, mais plus intelligent

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