La méthode Musk peut-elle mener Twitter à la faillite ?

Elon Musk a prévenu les salariés Twitter : la faillite est une possibilité. Le milliardaire a imposé ses méthodes de management brutales, avec pour l'instant des résultats négatifs : les annonceurs fuient le réseau social, le nouveau système abonnement a déjà été remisé au placard deux fois, et le régulateur attend au tournant. Mais avant d'en arriver à mettre la clé sous la porte, l'entreprise dispose de plusieurs crans de sécurité. Analyse.
François Manens
Elon Musk conduit-il Twitter droit dans le mur ?
Elon Musk conduit-il Twitter droit dans le mur ? (Crédits : DADO RUVIC)

Elon Musk a pris le contrôle de Twitter il y a seulement deux semaines, mais le réseau social est déjà bouleversé, et il ne se passe pas une demi-journée sans un nouveau rebondissement. Arrivé comme une tornade, le milliardaire a d'abord commencé par décimer les effectifs avant d'appliquer un management brutal aux employés restants.

L'homme d'affaires veut imposer sa vision du réseau social en un temps record, quitte à piétiner les acquis et les garde-fous de Twitter. Mais cette méthode apporte de premiers résultats catastrophiques. Les annonceurs -derrière 90% du chiffre d'affaires de Twitter- fuient le réseau social, le déploiement des fonctionnalités promues par Musk a tourné au désastre, et pour compléter le tableau, l'entreprise risquerait de nouvelles sanctions du régulateur américain, la Federal Trade Commission (FTC). Résultat : pour sa première prise de parole à l'ensemble des employés de Twitter, Elon Musk a affirmé que la faillite « est une possibilité », si l'entreprise ne génère pas plus d'argent.

La méthode Musk en action

A peine le rachat entré en vigueur, Elon Musk a mis à la porte les principaux dirigeants du réseau social, et enfilé lui-même la casquette de CEO. Une casquette qui s'empile au-dessus de celle de CEO de Tesla, de CEO de SpaceX et de cofondateur des entreprises The Boring Company (transports) et Neuralink (dispositifs technologiques). Trois jours plus tard, il licenciait plus de la moitié des effectifs de Twitter, soit environ 3.700 personnes. Ce plan de départ massif a tellement été précipité que dans un revirement tragi-comique, le réseau social a dû finalement rappeler quelques dizaines de personnes mises à la porte car il manquait de personnel sur des fonctions essentielles. Mais le nouveau dirigeant n'en avait pas fini avec sa purge. Le week-end dernier, il a licencié brutalement les plus de 4.400 employés intérimaires de Twitter, qui s'occupaient notamment de la modération, de la gestion des bureaux ou encore du marketing.

Pour les survivants, Musk a imposé un management à la dure. Fini le télétravail, généralisé dans l'ensemble de la Silicon Valley depuis la pandémie. Fini aussi la prise en charge des repas par l'entreprise. Son message est clair : le confort des employés n'est plus une priorité, et ils doivent s'apprêter à régulièrement travailler « plus de 80 heures par semaine » ou sinon partir. Et si un ingénieur fait part de son mécontentement publiquement, il est aussi appelé à faire ses cartons. Dans The Verge, des employés expliquent que les équipes prises en charge par Elon Musk travaillent jusqu'à 20 heures par jour, mais que toute une partie de l'entreprise se retrouve à l'inverse sans ligne directrice, et sans direction à adresser.

Elon Musk peut se permettre cette posture inflexible en partie à cause du gel des recrutements et aux vagues de licenciements qui frappent le monde de la tech. Après plus d'une dizaine d'années où les entreprises de la tech dépensaient sans compter -à la fois en termes de salaires et de conditions de travail- pour attirer les talents trop rares, elles sont désormais contraintes à réduire la voilure.

Suite aux nombreux licenciements, les observateurs craignent une dégradation de certaines fonctionnalités. Par exemple, lundi, le système d'envoi de SMS de Twitter n'a plus fonctionné pendant plusieurs heures, ce qui empêchait les personnes qui utilisent la double authentification -une mesure de sécurité- de se connecter à leur compte ou de le modifier. Ce genre d'incidents se produisaient déjà en temps normal, mais ils pourraient arriver plus fréquemment, et pénaliser la qualité du service plus longuement.

La faillite comme épouvantail

C'est donc dans ce contexte de chaos généralisé que le milliardaire a écrit à ses nouveaux employés que « sans chiffre d'affaires significatif venant de l'abonnement, il y a des chances que Twitter ne survive pas au ralentissement économique qui se profile. » Par cette déclaration, Musk crée ainsi un sentiment d'urgence et pose une épée de Damoclès : si les employés ne se dédient pas corps et âme à l'entreprise, elle s'effondrera.

Le milliardaire se présente lui-même comme un travailleur acharné, pour mieux imposer ce rythme à ses salariés. « Je travaille le plus que je peux, du matin à la nuit, sept jours par semaine », se vantait-il encore lors d'une conférence ce week-end. Connu pour dormir dans ses bureaux et même sur le sol de ses usines, Elon Musk impose sa vision extrême du travail, ponctuée de blagues grotesques sur son compte Twitter.

Lors de son premier week-end chez l'oiseau bleu, les équipes ont donc déployé sous sa pression le nouvel abonnement Twitter Blue -qui permet d'obtenir un badge de certification, entre autres avantages, pour 8 dollars par mois. Quelques heures plus tard, la fonctionnalité était retirée -à cause des élections de mi-mandat deux jours plus tard-, puis elle a été remise en production mardi, avant d'être à nouveau rétractée vendredi -à cause des multiples abus aux faux comptes certifiés. En résumé : au lieu de respecter les procédures classiques de déploiement de fonctionnalités, qui incluent notamment une phase d'évaluation des risques, Elon Musk passe en force... et se ridiculise. Pourtant, il assume : « notez s'il vous plaît que Twitter va faire beaucoup de choses débiles dans les mois à venir. Nous allons garder ce qui marche et changer ce qui ne marche pas. »

Les limites de la méthode Musk

Le problème de cette méthode sans filtre, c'est que Musk s'expose à des risques évidents, et sans surprise, les abus de Twitter Blue se sont multipliés lors du court déploiement de Twitter Blue. Des plaisantins ont certifié des comptes au nom de marques -désastreux pour les annonceurs- et publié des messages qui ont fortement déplu aux principaux concernés. Le cas le plus marquant de parodie qui a mal tourné est celui du géant pharmaceutique Eli Lilly and Co. Un faux compte a écrit : « nous sommes heureux d'annoncer que l'insuline est désormais gratuite », alors que le prix de ce produit, nécessaire à la survie des personnes diabétiques, fait débat aux Etats-Unis. Suite à ce tweet, la valorisation du groupe s'est effondrée de... 16 milliards de dollars en Bourse ! Suite au démenti du groupe, le cours est remonté mais n'a pas retrouvé son niveau précédent.

Malgré des appels directs de l'entreprise, Twitter n'a supprimé la publication que six heures plus tard, et d'autres versions du tweets étaient déjà apparues. Eli Lilly a insisté sur les dommages causés à sa réputation, et sur les risques pour la santé que représentent ce genre de message. Mais le mal a été fait, et selon le Washington Post, l'entreprise -qui pèse 330 milliards de dollars de chiffre d'affaires- a coupé son budget publicitaire sur Twitter.

L'autre problème de la méthode chaotique d'Elon Musk, c'est qu'elle ignore les processus de gouvernance des données en place. Un des avocats de l'entreprise a donc lancé l'alerte. Sur le Slack (la messagerie instantanée) interne du groupe, l'avocat a écrit : « Elon a montré que sa seule priorité pour les utilisateurs de Twitter est comment les monétiser ». Dans son message retranscrit par The Verge, le juriste s'inquiète ouvertement que le milliardaire ne respecte pas les engagements pris auprès de la FTC en mai. Le régulateur américain avait alors infligé 150 millions de dollars d'amende à Twitter car il utilisait des informations personnelles de ses utilisateurs pour cibler ses publicités. Or, si l'entreprise venait à ne pas respecter ses engagements, elle risquerait des amendes en milliards de dollars, prévient le lanceur d'alerte. « Alex Spiro (l'actuel directeur du département juridique) a dit que Elon Musk est prêt à prendre un immense niveau de risque avec cette entreprise et ses utilisateurs, car 'Elon envoie des fusées dans l'espace, il n'a pas peur de la FTC" », écrit-il.

Peu après la publication de ce message, le chef du département Privacy Damien Kieran, la cheffe du département Compliance Marianne Fogarty, et la CISO (responsable de la sécurité des systèmes d'information) Lea Kissner ont tous démissionné. Yoel Roth, promu dirigeant de la division de modération de Twitter après le rachat et abondamment relayé par Musk, a lui aussi quitté son poste. Autrement dit, les personnes chargées de s'assurer que l'entreprise reste dans les clous de la loi sont toutes parties... La FTC a quant à elle déclaré qu'elle « suivait les récentes évolutions de Twitter avec une inquiétude profonde ». Et d'ajouter, en réponse indirecte à Elon Musk : « aucun CEO ou entreprise n'est au-dessus de la loi, les entreprises doivent suivre nos décrets sur le consentement des utilisateurs. Nous avons les  outils pour s'assurer du respect des règles, et nous comptons bien nous en servir. »

Un risque de faillite faible... pour l'instant

Avec des revenus publicitaires en chute libre (du propre aveu d'Elon Musk), un nouveau système de revenus qui pose plus de problème qu'il n'en résout, et la menace des amendes, Twitter est dans une mauvaise posture. Mais le principal problème financier est ailleurs : pour parvenir au bout du rachat, Elon Musk a contracté -au nom de l'entreprise- 13 milliards de dollars de dette, empruntés à sept grandes banques de Wall Street. Une somme colossale comparée au chiffre d'affaires annuel du groupe, qui était de 5 milliards de dollars en 2021 et 3,7 milliards de dollars l'année précédente. Ce choix financier pousse désormais l'entreprise à rembourser plus d'un milliard de dollars par an, et justifie les menaces de faillite proférées par le nouveau dirigeant.

Mais avant d'en arriver à cet extrême, le réseau social dispose de plusieurs crans de sécurité. Pour commencer, le groupe a de la trésorerie. Dans ses derniers résultats financiers, publiés en juin, Twitter chiffrait à 2,68 milliards de dollars ses liquidités, auxquelles s'ajoutent 3,4 milliards de dollars d'investissements à court terme (qui peuvent être rapidement convertis en liquidités). Comme l'explique Bloomberg, ce pactole de plus de 7 milliards de dollars au total lui permettrait d'encaisser la charge de la dette contractée par Elon Musk a court terme, même si Twitter continue de ne rien rapporter. .

Ensuite, Musk reste un des hommes les plus riches de la Terre, et peut activer des leviers de financement s'il souhaite maintenir la santé financière du réseau social. Il pourrait injecter lui-même des liquidités, mais cela signifierait vendre encore plus d'actions de Tesla, avec des risques sur la stabilité de son cours. Il pourrait aussi s'appuyer sur la poignée de co-investisseurs qui ont appuyé son projet de rachat, et dont les capacités de financements devraient être à la hauteur.

Les banques ne misent pas sur l'avenir de Twitter

Mais le problème de fond de Twitter n'a pas changé. L'entreprise n'a jamais dégagé de bénéfices importants, et affiche même des pertes annuelles en 2020 et 2021. Elon Musk expliquait moins d'une semaine après sa prise de pouvoir que l'entreprise perdait 4 millions de dollars par jour, et il signalait peu après qu'il a observé une « baisse massive » du chiffre d'affaires avec la fuite de certains annonceurs.

Quand bien même le milliardaire et ses co-investisseurs laisseraient Twitter glisser jusqu'à sa faillite avant d'avoir remboursé leur dette, alors le réseau social pourrait être repris par les banques qui lui ont prêté de l'argent. Mais preuve qu'elles ne souhaitent pas se trouver dans cette situation, une partie d'entre elles ont déjà mis à la vente une partie du prêt, pour un prix allant jusqu'à 60 centimes par dollar. Autrement dit, elles sont déjà prêtes à perdre dès aujourd'hui 40% de leur mise pour éviter d'être à bord du navire dans le cas où il coulerait.

Il faut dire que tout expérimenté qu'il soit, Elon Musk prend des décisions économiques pour le moins étranges. Par exemple, il a intégré aux avantages offerts aux abonnés de Twitter Blue une diminution de moitié du volume de publicités. Coût estimé pour Twitter : 6 dollars par mois. Or, comme Apple et Google prélèvent leur commission (respectivement 27% et 15% du prix) sur la transaction, l'abonnement Blue devrait au mieux être un jeu à somme nulle, au pire faire perdre de l'argent à l'entreprise...

François Manens

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 13
à écrit le 15/11/2022 à 23:44
Signaler
Que ça fasse faillite on s’en fout .. une boîte de blabla et de persiflage idem pour Facebook… aucun intérêt perte de temps .

à écrit le 15/11/2022 à 16:25
Signaler
40 milliards pour penser mettre la cle sous la porte au bout d'1mois.! Il est encore plus fort que ce que je pensais monsieur Musk.🤣🤢

le 16/11/2022 à 10:52
Signaler
Il est bien meilleur en technologie, là, il s'embourbe. Sans doute un message en creux envoyé aux employés, ceux qui restent. Plaie d'argent n'est pas mortelle, dit-on.

le 16/11/2022 à 18:11
Signaler
En technologie c'est une daube le musk c'est Martin eberhard et Marc tarpenning qui ont crée tesla et surtout sa technologie lui n'est personne et depuis le départ des personnes compétentes il n'a plus rien fait de correct. C'est fou de vouloir attr...

à écrit le 15/11/2022 à 14:59
Signaler
Faux, les règles n' ont encore aps changé . Traduction du post de Dr Simon qui vient d’être banni de Twitter. (Tout comme le Dr Bowden qui avait elle 115 000 abonnés) "Nouveau propriétaire - même soutien communiste . Fait amusant : j'ai ét...

à écrit le 15/11/2022 à 12:34
Signaler
Les réseaux dits "sociaux " et Amazon dégraissent à tour de bras parce que la rentabilité, donc le modèle économique est au bout des possibles, tout comme est désormais obsolète le modèle Hypermarché, voire celui des Lidl/Aldi. Le triptyque Offre/C...

le 16/11/2022 à 18:13
Signaler
Toujours à côté de la plaque valbel comme sur la russie, USA, chine, etc..

à écrit le 15/11/2022 à 12:32
Signaler
Bonjour, La méthode s'est surtout d'imposer le changement, vous licencié 50% du personnel... (Nouvelle équipe),plus de compétitivité économique et vous ouvraient les vannes sur les libertés d'expression... (Le bon comme le pire). Puis vous attendez ...

le 16/11/2022 à 10:55
Signaler
"Nouvelle équipe" ben non, si vous élaguez c'est pas pour augmenter les effectifs, il enlève tout ce qui est modération, vu qu'on doit pouvoir tout dire, mais dans le respect mutuel, discuter de façon argumentée et civile, amabilité, compréhension, c...

à écrit le 15/11/2022 à 12:13
Signaler
On ne peut qu'espérer la disparition de Twitter, cela fera moins de mal à la démocratie.

à écrit le 15/11/2022 à 9:54
Signaler
Je pense que Twitter doit trouver ses nouveaux clients. Il y avait trop de wokes sur ce réseau, un grand ménage était nécessaire. La stratégie d'Elon Musk portera ses fruits

le 15/11/2022 à 12:02
Signaler
Le problème c'est que quand vous vous appelez General Motors, Pfizer, General Mills, Cheerios, Mondelez International ou encore Volkswagen et que vous vendez vos produits à TOUT le monde , la dernière chose dont vous avez envie c'est que votre pub d...

le 15/11/2022 à 14:35
Signaler
Vous avez raison sauf sur produit vs idéologie... Thinck différent c'est pas une idéologie ?.. entrez comme vous êtes c'est pas une idéologie ? Les produits estampillés usa ne sont pas des produits, c'est une idéologie. Du marketing social, de la neu...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.