« Le Digital Services Act est un changement majeur et très positif pour le e-commerce » (Marie Even, DG adjointe de Cdiscount)

Dès 2023, les plateformes en ligne, y compris celles du e-commerce comme Cdiscount, devront se soumettre au Digital Services Act (DSA), le nouveau règlement européen qui vient d'être validé à Bruxelles. Celui-ci vise à forcer les plateformes à mieux modérer les contenus et la vente de produits en ligne. Comment ce texte majeur va-t-il impacter des acteurs européens comme Cdiscount ? Marie Even, la directrice générale adjointe du groupe, se réjouit d'un texte « intelligent », qui va « pousser les plateformes à innover pour mieux modérer ». Entretien.
Sylvain Rolland
Marie Even, directrice générale adjointe de Cdiscount.
Marie Even, directrice générale adjointe de Cdiscount. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - La Commission européenne vient d'approuver le Digital Services Act (DSA), une nouvelle régulation ambitieuse qui vise à forcer les plateformes à mieux modérer les contenus en ligne. En quoi ce texte concerne-t-il des acteurs du e-commerce comme Cdiscount ?

MARIE EVEN - La portée du DSA est très large et touche en fait toutes les plateformes qui hébergent des contenus, c'est-à-dire les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les sites de voyages ou encore les plateformes de e-commerce. Il s'agit d'une modernisation profonde de la réglementation des plateformes, qui étaient encadrées par la directive e-commerce de 2000, pour les adapter à la réalité du monde numérique d'aujourd'hui. Le DSA est un texte majeur car il touche à la liberté d'expression, l'accès à l'information ou encore la vente de produits en ligne.

Les plateformes de e-commerce, comme Cdiscount et d'autres, sont donc aussi concernées par le DSA car nous hébergeons des contenus. Dans notre cas, il s'agit des articles que nous vendons -les nôtres et ceux de nos vendeurs tiers- et des avis clients que nous publions. Le DSA exige de mettre en place nous-mêmes des actions préventives pour empêcher la publication de contenus illicites, et des outils de modération pour réagir au plus vite. Nous devons aussi effectuer des contrôles aléatoires des articles vendus par nos vendeurs, et réaliser tous les ans des reportings, audités par des cabinets indépendants, pour rendre compte de nos actions.

Cette régulation était-elle nécessaire ?

Oui. La réglementation précédente, qui date de plus de 20 ans, n'était clairement pas adaptée à l'économie numérique actuelle et à l'importance qu'ont les plateformes dans nos vies. Dans le e-commerce, elle n'empêchait pas suffisamment les contenus illicites, notamment les contrefaçons, de prospérer sur certaines plateformes, ce qui créait des distorsions de concurrence.

La principale innovation du DSA est de moderniser le régime de responsabilité des plateformes en tant qu'hébergeur, établi depuis 2000. Ce statut indique que les plateformes sont responsables des contenus ou des produits illicites dès lors qu'on leur a signalé leur illégalité et qu'elles ne l'ont pas retiré promptement. Mais la précédente réglementation poussait en fait à l'inaction : si les plateformes interagissaient trop avec les contenus, alors elles risquaient de perdre leur statut d'hébergeur pour devenir des éditeurs, comme les médias par exemple. De fait, pour rester dans le régime de l'hébergeur, les plateformes devaient être le moins actives possible. Or, les plateformes sont devenues tellement importantes qu'elles doivent prendre des mesures, ce qui fragilisait leur statut.

La nouveauté avec le DSA est que ce règlement européen affirme et protège le statut d'hébergeur tout en poussant les plateformes à mieux réguler les contenus illicites. C'est un changement majeur et très positif qui va pousser tous les acteurs à innover pour être plus efficaces. Avec à la clé des gains en terme d'image de marque et de qualité du service.

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L'autre texte européen majeur, qui a été voté en même temps que le DSA, est le Digital Markets Act (DMA), centré sur la concurrence dans les marchés numériques. Contrairement au DSA, le DMA cible particulièrement les plateformes qualifiées de "structurantes" comme les Gafam américains (Google, Apple, Facebook, Amazon). Regrettez-vous que le DSA impose des obligations à toutes les plateformes, et pas seulement aux géants du marché ?

Non car il ne faut pas forcément être une plateforme structurante comme Amazon pour être confronté à des contenus illicites. Que tout le monde soit forcé de les gérer, avec toutefois des obligations plus importantes pour les plateformes qui dépassent 45 millions d'utilisateurs, rétablit l'égalité dans la concurrence, et tire tout le monde vers le haut.

Cdiscount n'est pas un acteur systémique mais nous avons réalisé plus de 4 milliards d'euros de volume d'affaires en 2021. Nous avons plus de 100 millions de produits sur nos plateformes, et 14.000 vendeurs tiers. 23 millions de visiteurs viennent sur notre site tous les mois, soit un Français sur trois. La Fevad, qui représente les acteurs du e-commerce, est très favorable au DSA et a supporté la démarche.

L'application du DSA va-t-elle engendrer des coûts supplémentaires pour vous ?

Pour les plus petits acteurs, se mettre en conformité sera certainement coûteux car peut-être n'ont-ils pas tous des outils suffisants pour modérer. Mais pour nous et la plupart des gros acteurs, le DSA sera indolore car nous n'avons pas attendu cette réglementation pour mettre en place des outils de modération, et pour les améliorer tous les ans.

Nous avons lancé nos propres outils de modération depuis 2011. Nous avons deux types d'outils : des algorithmes mis au point par nos équipes de datascience pour l'identification automatique et la suppression des produits non conformes, dangereux ou de contrefaçon, et une vingtaine de modérateurs humains qui supervisent tout cela tous les jours. Des contrôles qualité sont menés à toutes les étapes de la chaîne, avec des outils et des équipes dédiés.

Craignez-vous que certains acteurs puissent contourner le DSA, comme c'est le cas pour les réglementations actuelles, ou que le DSA ne soit pas efficace malgré son ambition par manque de moyens de contrôle ?

Tout dépendra effectivement des moyens mis en oeuvre pour surveiller l'application du DSA et sanctionner rapidement ceux qui tenteront de s'y soustraire. Mais le DSA est un bon socle, c'est une réglementation intelligente car elle a compris ce qu'est une plateforme. L'autre aspect qui me rend optimiste, c'est que les grandes plateformes vont être régulées directement par la Commission européenne. C'était l'une des faiblesses du RGPD [le règlement général sur la protection des données, Ndlr], dont l'application a été soumise aux Cnil nationales, avec d'importantes disparités à la clé et certains blocages. Avec le DSA, il y aura une application harmonisée à l'échelle de la Commission européenne. Celle-ci a déjà démontré sa volonté de mieux réguler les géants du numérique. Après, reste la question des moyens humains dont sera dotée la Commission, qui est à ce stade encore une inconnue.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

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Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 05/07/2022 à 19:58
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Le soucis de contrôler la liberté d'expression et de concentrer ce pouvoir sur un très petit nombre de personnes . Il faut prier que ce petit groupe ne soit pas des Hitler à devenir ! Ce qui est intéressant mais qu'on ne connaîtra jamais c'est quels...

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