Peut-on faire confiance à Facebook pour protéger notre vie privée ?

Facebook a annoncé vouloir reconstruire "dans les années à venir" ses différentes applications en misant sur la protection des données, avec notamment le déploiement du chiffrement de bout en bout. Ce changement majeur de stratégie impliquerait de renoncer en partie aux données personnelles et à la publicité ciblée qui l'accompagne, le gagne-pain de Facebook depuis 15 ans. Décryptage.
Anaïs Cherif
Facebook, plus grand réseau social au monde, est utilisé par plus de 2,3 milliards d'utilisateurs.
Facebook, plus grand réseau social au monde, est utilisé par plus de 2,3 milliards d'utilisateurs. (Crédits : Dado Ruvic)

Pendant 15 ans, Facebook s'est donné pour mission d'être toujours "plus ouvert", "plus connecté". Le plus grand réseau social au monde a incité sans relâche ses 2,3 milliards d'utilisateurs à publier sans complexe une myriade de photos de famille, en passant par des vidéos gênantes de soirées arrosées, aux pensées les plus intimes. Mais ça, c'était avant. Mark Zuckerberg, Pdg et co-fondateur de Facebook, dit vouloir pivoter l'activité de sa plateforme vers des conversations confidentielles entre petits groupes pour davantage protéger la vie privée. Une annonce qui pourrait constituer un changement stratégique majeur dans l'histoire du réseau social, si ces belles promesses voient le jour.

Dans une note de blog publiée mercredi 6 mars, intitulée "une vision axée sur la confidentialité des réseaux sociaux", le patron de 34 ans annonce un plan d'actions en six points afin de répondre aux nouvelles aspirations de la société quant à la protection des données.

"Quand je pense au futur d'Internet, je pense que les plateformes axées sur la confidentialité des communications vont devenir plus importantes que les plateformes ouvertes d'aujourd'hui", estime Mark Zuckerberg. "Beaucoup de gens préfèrent discuter avec une seule autre personne, ou un petit groupe d'amis (...) De plus en plus de gens veulent désormais se connecter avec le numérique de façon aussi privée que s'ils étaient dans leur salon."

Si le jeune milliardaire estime que les grandes plateformes ouvertes continueront d'avoir le vent en poupe, il considère que ce mouvement est "l'opportunité de bâtir une plateforme qui a pour objectif le respect de la vie privée".

Déployer massivement le chiffrement...

Dans les "années à venir", Facebook souhaite ainsi reconstruire ses services autour de cet objectif. L'enfant terrible de la Silicon Valley souhaite "sécuriser" les conversations des internautes en déployant le chiffrement de bout en bout, technique qui consiste à crypter le contenu des messages grâce à une clé (un code) et le rendre supposément indéchiffrable pour quiconque - y compris Facebook. Son application WhatsApp, utilisée par plus de 1,5 d'utilisateurs, en dispose déjà par défaut contrairement à Messenger, utilisé par 1,3 milliard d'usagers, où il faut l'activer manuellement pour chaque conversation. Car jusqu'ici, Facebook n'a jamais facilité la vie de ses utilisateurs pour qu'ils puissent protéger aux maximum la confidentialité de leurs échanges.

Facebook s'engage aussi à réduire le temps de conservation des données (messages, photos...) "Nous ne conserverons plus les messages ou les Stories plus longtemps que les gens ne le désirent. Les Stories expirent déjà au bout de 24 heures - à moins que vous ne les archiviez. Cette philosophie sera étendue à tous les contenus privés." Ainsi, les messages pourraient être automatiquement supprimés "par défaut après un mois ou une année", avec la possibilité de personnaliser la durée de stockage.

Sécuriser le stockage des données...

La firme américaine dit également vouloir "sécuriser le stockage des données", en excluant la construction de data center dans des pays où la "liberté d'expression et les droits de l'homme ne sont pas respectés".

"Bien entendu, le meilleur moyen de protéger les données les plus sensibles est de ne pas les stocker du tout. C'est pourquoi WhatsApp ne stocke aucune clé de cryptage et nous prévoyons de faire de même avec nos autres services", promet Mark Zuckerberg.

Ces annonces forcent le scepticisme, tant Facebook est resté opaque pendant des années sur les données collectées. L'entreprise américaine a été contrainte de sortir de sa réserve en 2018, année noire pour le réseau social. Elle a été marquée par le retentissant scandale Cambridge Analytica, les fuites de données à répétition, son incapacité à endiguer le phénomène des fake news, ou encore les tentatives d'ingérences politiques et le cyber-harcèlement...

"Je comprends que beaucoup de gens pensent que Facebook ne peut, ni ne voudrait même créer ce type de plateforme axée sur la protection de la vie privée. En effet, nous n'avons pas actuellement une réputation solide en ce qui concerne la création de [ce type de] services (...) Mais nous avons montré à plusieurs reprises que nous pouvons évoluer pour créer les services que les gens veulent vraiment", plaide Mark Zuckerberg.

Facebook est-il vraiment prêt à gagner moins d'argent de la publicité ciblée ?

Facebook est coutumier des grandes annonces. Mais en matière de vie privée, les belles promesses ont souvent été abandonnées. En 2014, le réseau social avait annoncé vouloir déployer une connexion anonyme, permettant de tester les applications du groupe sans avoir à partager de données. Cette fonctionnalité n'a jamais vu le jour. Dernier exemple en date : Facebook promettait en mai dernier la création "dans les mois à venir" d'une fonction "clear history", permettant de supprimer son historique de navigation. L'outil se fait toujours attendre. David Wehner, directeur financier chez Facebook, a confirmé au Wall Street Journal que la fonction verrait le jour "cette année", mais aurait un impact sur les finances du groupe.

Et pour cause : vouloir protéger la vie privée des utilisateurs a un prix car cela signifie renoncer à de nombreuses données personnelles et donc, de généreux revenus issus de la publicité ciblée dont raffolent les annonceurs. En dépit des polémiques, Facebook a enregistré un chiffre d'affaires en 2018 de 55,83 milliards de dollars (+37% sur un an, meilleur qu'anticipé) - dont 98% est généré par la publicité. "La publicité ciblée et la vie privée ne sont pas en contradiction", affirmait la semaine dernière Sheryl Sandberg, numéro 2 de Facebook, lors d'une conférence de presse.

Une porte de sortie vers le commerce ?

Ce changement de stratégie impliquerait pourtant de trouver de nouveaux relais de croissance. Un point que Mark Zuckerberg omet soigneusement d'aborder dans sa note de plus de 3.200 mots. Refuser de stocker les données dans des pays peu scrupuleux de la vie privée lui fermerait les portes de gigantesques marchés, comme la Russie, Vietnam ou la Chine qui exigent des entreprises étrangères qu'elles stockent localement leurs données. "C'est un compromis que nous sommes disposés à faire", promet Mark Zuckerberg.

En misant sur la vie privée, pour regagner la confiance des utilisateurs, le patron de Facebook espère que cela permettra d'interagir plus facilement avec "les entreprises, les paiements, le commerce et finalement une plateforme pour de nombreux autres types de services privés". Cette annonce arrive à un moment où Facebook dit vouloir créer sa propre cryptomonnaie.

Anaïs Cherif

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Commentaires 3
à écrit le 23/09/2019 à 15:31
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Faire confiance à FB ? c'est comme demander à un crocodile de ne pas vous dévorer tout en étant assis sur son dos pour traverser la rivière !

à écrit le 07/03/2019 à 19:07
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Jamais été aussi content de ne pas être un anti-modiste... Sinon, l'irc, ça fonctionne encore très très bien... Certes, ça rapporte moins. Problème GRAVE !!

à écrit le 07/03/2019 à 16:35
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Oui bien sûr, tout comme on peut faire confiance à l'UE pour protéger ses citoyens, pareil ! Suffit d'y croire c'est tout parce que dès qu'on rentre dans les détails et que l'on prend ne serait ce que quelques mètres de recul, avec moults exemple...

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