Pour lutter contre la contrefaçon, Leboncoin ouvre sa modération aux marques imitées

Sur les plus de 50 millions d'annonces déposées sur sa plateforme, Leboncoin doit faire la chasse aux contrefaçons. En plus de ses robots et d'une modération humaine, le groupe s'essaie depuis 2021 à une nouvelle méthode : ouvrir son outil de signalement aux marques et autres ayants droit qui subissent les tentatives de contrefaçon.
François Manens
(Crédits : Charles Platiau)

Avec entre 800.000 et 1 million de nouvelles annonces de vente déposées sur son site chaque jour, Leboncoin doit faire un très gros travail de tri des offres frauduleuses. En tant qu'hébergeur de contenus au regard de la loi, la plateforme a l'obligation -depuis la loi de confiance dans l'économie numérique de 2004- de surveiller son site et de supprimer les annonces frauduleuses.

Pour y parvenir au mieux, l'entreprise a racheté en 2018 la startup Videdressing. Si l'opération visait avant tout à intégrer le paiement à son offre, elle lui a aussi apporté de nouvelles technologies ainsi que des compétences de lutte contre la contrefaçon. May Berthelot, directrice judiciaire de la jeune pousse -et figure connue du milieu de la mode- a ainsi été nommée responsable réputation et lutte anti-contrefaçon chez Leboncoin. A l'occasion du Forum international de la cybersécurité (FIC), qui se tient du 7 au 9 juin à Lille, la juriste a détaillé la stratégie du groupe, pour le moins surprenante. En plus des outils traditionnels, Leboncoin a ouvert sa modération à des entreprises imitées, au travers du "programme Handcheck". "Dans la lutte anti-contrefaçon, nous pensons que c'est la collaboration entre différents acteurs qui nous permettra d'atteindre nos buts communs", défend May Berthelot.

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Eviter les faux positifs

Leboncoin surveille trois champs pour filtrer les annonces illicites : les mots-clés (par exemple, les expressions "comme le vrai" ou "ressemble à"), les marques et enfin les catégories de produits. Sans les nommer, May Berthelot rappelle que les AirPods ("un type d'écouteur") ou les sacs de grande marque comme Hermès ("un type de sac à main") vont être beaucoup plus visés par la contrefaçon que d'autres produits. De même pour les chaussures, particulièrement imitées. Cette stratégie lui permet de concentrer le plus gros des efforts de modération sur les produits les plus contrefaits.

Au vu du volume d'annonces traitées par Leboncoin, le tri se fait avant tout de manière automatique, avec les méthodes d'intelligence artificielle standard du marché : arbre de décision, machine learning ou encore détection d'image, qui consistent à créer des modèles de détection des offres frauduleuses par l'analyste du texte, de l'image, ou des deux. Le calibrage de ces mécanismes peut relever du jeu d'équilibriste : si les critères sont trop laxistes, une grande partie de la fraude passera outre le filtre. Si les critères sont trop stricts, les faux positifs (des annonces légitimes détectées comme frauduleuses) risquent d'être trop nombreux. C'est pourquoi l'entraînement de ce genre d'algorithme est constant, et ils doivent -du moins en théorie- s'améliorer avec le temps.

Si le tri des annonces en amont de la publication se fait uniquement par voie automatique -une obligation de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, rappelle l'entreprise-, des modérateurs en chair et en os interviennent après publication. Comme de nombreuses autres entreprises tech, Leboncoin ne donne pas leur nombre. "Si malheureusement, une annonce au contenu illicite est mise en ligne à tort et si elle fait l'objet d'un signalement par un de nos utilisateurs, une équipe dédiée peut la retirer a posteriori, dans les 48h, sous réserve que le signalement respecte bien le formalisme imposé par la Loi pour la confiance dans l'économie numérique", développe l'entreprise.

Les entreprises invitées à modérer elles-mêmes leurs produits

Pour aller plus loin que sa propre détection, Leboncoin a décidé d'ouvrir ses portes. "Avec Videdressing, nous avions collaboré avec les marques pour collecter des informations sur les produits, et nous avons apporté ce savoir-faire", raconte May Berthelot. Ainsi est né le "programme Handcheck", en février 2021. Il permet à n'importe quel titulaire de droit, ou fournisseur de service, d'avoir un accès direct à la plateforme de Leboncoin, et de lui-même signaler toute annonce problématique afin de déclencher une suppression "dans un délai maximum de quelques heures". "Cette relation implique des bases de confiance avec nos partenaires", reconnaît la juriste. C'est pourquoi Handcheck a d'abord été testé avec 4 marques pendant 6 mois. Le groupe ne communique pas le nombre d'entreprises désormais inscrites dans le dispositif, mais elle précise que les secteurs les plus sensibles sont pour l'instant le luxe, la mode et l'électronique.

Par ce mécanisme, les marques peuvent exploiter les outils de reconnaissance de la plateforme ou ajouter leurs propres critères. Leboncoin en ressort gagnant, puisqu'il récupère des informations qui lui permettent d'améliorer ses robots de détection. "Nous avons des volumes tellement monstrueux qu'il est possible qu'un utilisateur soit confronté de temps en temps à un contenu illicite", tempère May Berthelot, avant d'ajouter "mais ce contenu est normalement retiré assez rapidement".

Comment chiffrer la lutte contre la fraude ?

Vient un second problème pour la juriste : son action ne peut être quantifiée qu'en nombres d'annonces et en montants de produits contrefaits retirés de la vente. "En 2021, mon équipe a supprimé pour 67 millions d'euros de produits contrefaits, et ce n'est que le haut de l'iceberg", précise-t-elle.

Dès lors, difficile de compter ce que "rapporte" la politique de lutte contre la fraude. Le gain se mesure dans la communication, la réputation ou encore la satisfaction des clients. Des intangibles qui profitent à l'entreprise, mais ne se traduisent pas directement en argent comptant.

Or, de l'autre côté de la balance comptable, cette lutte à un coût : sans donner le budget alloué au sujet chez Leboncoin, May Berthelot précise que Videdressing - "une toute petite startup" de 35 employés lors du rachat- avait dépensé 4 millions d'euros sur un peu moins de 10 ans d'histoire. "D'un côté, on peut le voir comme un centre de coût.  Mais de l'autre, si nous voulons avancer vers un avenir cohérent et un marché de seconde main qui prend de plus en plus d'ampleur, il faut sécuriser", conclut-elle.

François Manens

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Commentaires 2
à écrit le 03/11/2022 à 1:05
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Malheureusement Leboncoin est victime de son succès depuis des années et n'a pas mis en conséquence le nombre de modérateur humain qu'il fallait derrière le million d'annonces nouvelles chaque jour.Un seul modérateur ne peut strictement rien faire et...

à écrit le 08/06/2022 à 19:35
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Je sais pas pour tous ces contrôles entre les taxes de l'État sur les objets d'occasions ,les impôts pour ceux qui dépassent un certain nombre de ventes ect..Mais depuis que cela c'est complexifié ,je n'achète plus .J'attends un autre site d'objets ...

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