Rachat de Twitter : Elon Musk « trolle » jusqu'au bout

L'homme le plus riche du monde affirme avoir vendu 20.000 exemplaires d'un parfum intitulé Burnt Hair - The Essence of Repugnant Desire (en français, "Cheveux Brûlés - L'Essence du désir répugnant"), commercialisé par son entreprise The Boring Company pour la somme de 100 dollars le flacon. L'objectif affiché : « l'aider à acheter Twitter », qui va lui coûter 44 milliards de dollars. Cette nouvelle outrance n'est pas seulement une blague qui lui a rapporté tout de même 2 millions de dollars en trois jours, mais un symbole de la « stratégie du troll » d'Elon Musk dans le dossier Twitter, érigée en arme de déstabilisation.
Sylvain Rolland
Malgré l'outrance d'associer un parfum à des odeurs désagréables comme celle du cheveu brûlé ou le mot répugnant, Elon Musk a engendré 2 millions de dollars de chiffre d'affaires en trois jours pour son nouveau parfum qui doit l'aider, ironise-t-il, à racheter Twitter.
Malgré l'outrance d'associer un parfum à des odeurs désagréables comme celle du cheveu brûlé ou le mot "répugnant", Elon Musk a engendré 2 millions de dollars de chiffre d'affaires en trois jours pour son nouveau parfum qui doit l'aider, ironise-t-il, à racheter Twitter. (Crédits : The Boring Company)

Après avoir demandé la semaine dernière à ses 108 millions de followers de voter sur l'issue souhaitable de la guerre en Ukraine, puis après avoir soutenu la Chine -pays dans lequel il a des intérêts économiques non négligeables- face à Taïwan, provoquant une crise diplomatique, Elon Musk devient subitement vendeur de parfum pour « l'aider à acheter Twitter ».

L'homme le plus riche du monde, également patron de Tesla et SpaceX, a lancé sur son réseau social préféré une campagne incitant ses fans à acheter son parfum, intitulé Burnt Hair - The Essence of Repugnant Desire, ou, en français, "Cheveux Brûlés - L'Essence du désir répugnant". « S'il vous plaît achetez mon parfum, pour que je puisse acheter Twitter », a-t-il ironisé dans un tweet.

Deux millions de dollars de chiffre d'affaires en trois jours !

Une blague bien sûr... Sauf que, comme à son habitude, Elon Musk a poussé la plaisanterie jusqu'au bout. L'homme d'affaires, dont la fortune personnelle est estimée à 220 milliards de dollars par Forbes en 2022, a vraiment lancé une campagne de commercialisation de son parfum. Les équipes marketing et communication de son entreprise The Boring Company -qui finance des projets de tunnels sous les villes pour résoudre les embouteillages- ont élaboré un flacon reprenant les codes esthétiques de la parfumerie de luxe, créé une page Internet dédiée, et ouvert les ventes. Chaque flacon est vendu 100 dollars.

Et ça marche. Dimanche 9 octobre, Elon Musk annonçait le lancement prochain de Burnt Hair. Trois jours plus tard, mercredi 12 octobre, l'entrepreneur multi-milliardaire annonçait 5.000 ventes. Un succès improbable qui a enclenché pour de bon l'effet boule de neige et l'intérêt des médias. Plus tard dans la même journée, Elon Musk doublait la mise : « 10.000 flacons de Burnt Hair vendus ! », fanfaronnait-il, tout en se moquant de l'inévitable couverture médiatique que cette prouesse de marketing engendrerait, malgré l'outrance d'associer un parfum à des odeurs désagréables comme celle du cheveu brûlé ou le mot "répugnant".

Et ce n'était pas fini. Dans la soirée de mercredi -5h du matin en France ce jeudi- Elon Musk annonçait le franchissement du seuil des 20.000 flacons vendus. Soit 15.000 en un seul jour ! Et un jackpot en perspective : la bonne blague lui a donc déjà rapporté 2 millions de dollars de chiffre d'affaires en trois jours, dont 1,5 million pour la seule journée du mercredi 12 octobre. "Avec un nom tel que le mien, entrer dans le business de la parfumerie était inévitable - pourquoi l'ai-je même combattu pendant si longtemps !?", s'est-il esclaffé sur son réseau social préféré.

Bien sûr, ce parfum n'existe pas encore. Elon Musk n'a même jamais montré un quelconque intérêt pour le business de la parfumerie, préférant innover dans les domaines de la finance (PayPal), des transports (Tesla, Hyperloop, The Boring Company), du spatial (SpaceX), de l'énergie (Powerwall) ou encore dans l'humain augmenté par l'intelligence artificielle (Neuralink, OpenAI). Avec un indéniable succès pour la plupart de ses projets qui paraissaient fous lorsqu'il les a lancés.

Mais The Boring Company annonce que ceux qui ont payé recevront un vrai produit, qui sera livré au premier trimestre 2023. Son entreprise a donc moins de cinq mois pour créer à partir de zéro un parfum, industrialiser sa production et livrer plus de 20.000 clients. Et probablement beaucoup plus encore étant donné la viralité des commandes.

Le « troll », une arme de déstabilisation érigée en stratégie dans le dossier Twitter

L'homme d'affaires est censé parvenir à un accord pour racheter le réseau social pour 44 milliards de dollars d'ici la fin du mois, faute de quoi un procès doit avoir lieu en novembre. Il avait fait une offre d'acquisition acceptée par Twitter fin avril, avant de chercher à s'en extraire unilatéralement début juillet. La plateforme a porté plainte et Elon Musk a finalement assuré la semaine dernière que la transaction allait vraiment avoir lieu, dans un rebondissement qui a été interprété comme sa volonté d'éviter d'être forcé au rachat par le tribunal.

On aurait tort de voir dans cette initiative potache une simple blague ou une nouvelle preuve de l'incroyable capacité d'Elon Musk à faire pleuvoir l'argent autour de lui. Lancer un parfum au prétexte de l'aider à financer son rachat de Twitter n'est en fait que le dernier épisode, et pas forcément le plus fou, d'une stratégie de déstabilisation qui est la marque de fabrique d'Elon Musk depuis le début dans le dossier Twitter.

La provocation, l'effet de surprise et la mobilisation de son immense communauté de 108 millions de followers dans le monde, sont les principales armes d'Elon Musk pour attirer l'attention sur lui et pousser son agenda personnel, qu'il s'agisse de ses opinions politiques -à la frontière du mouvement républicain le plus à droite et du mouvement libertarien-, et de ses intérêts économiques -pressions sur le gouvernement américain concernant son soutien à Tesla et à l'électrification du secteur automobile, contrats dans le spatial, Chine...

Tant que le rachat n'est pas signé, la situation peut évoluer

Depuis le début, Elon Musk utilise le « troll » (un terme de la culture web désignant un internaute qui cherche les polémiques et la provocation) comme outil principal de communication et arme de déstabilisation de l'adversaire. Dans les jours précédant sa première annonce de sa montée au capital de Twitter, Musk multipliait les attaques extrêmement agressives contre le réseau social et sa direction, l'accusant notamment d'atteintes à la liberté d'expression ou de mal fonctionner, fragilisant la réputation de l'entreprise. Lien de cause à effet ou pas, sa montée au capital a été saluée par les marchés, l'entrepreneur jouissant d'un fort capital confiance pour transformer des secteurs économiques, comme il l'a déjà fait avec Tesla dans le véhicule électrique ou avec SpaceX dans le spatial.

A peine le deal de rachat pour 44 milliards de dollars acté, fin avril, Musk brisait toutes les règles du fonctionnement normal d'une acquisition, en critiquant à nouveau  abondamment sa future entreprise, un comportement inédit dans l'histoire des fusions/acquisitions. Diffamé mais voulant désespérément être acheté, Twitter a donc supporté pendant deux mois des critiques diverses et variées d'Elon Musk, sans jamais prendre la peine d'avancer des preuves solides, sur sa modération ou sur ce qui deviendra son cheval de bataille pour faire annuler la vente : le nombre de faux comptes.

L'entrepreneur multimilliardaire a même répondu à un très long thread du PDG de Twitter, Parag Agrawal, expliquant sa méthodologie pour calculer le nombre de faux comptes, par un simple émoji en forme de crotte. Ces derniers mois, Musk a aussi édité une profusion de memes [images humoristiques détournées] moquant Twitter, dans la plus pure tradition du troll des réseaux sociaux, alors que l'entrepreneur fait partie des personnalités les plus riches et puissantes du monde.

Si Elon Musk rachète bien Twitter comme il s'y est engagé pour la deuxième fois, ce genre de provocations visant à mobiliser sa communauté sur tout et n'importe quoi -la guerre en Ukraine, la situation de Taïwan, l'achat d'un produit...- risque de devenir monnaie courante.

L'imprévisibilité de l'homme est telle qu'il ne faut certainement pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué : tant que le rachat n'est pas signé, normalement avant la fin du mois, tout peut encore arriver avec Elon Musk.

Sylvain Rolland

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