Sous la pression de TikTok, Instagram se transforme à marche forcée

Pour Meta (Facebook, Instagram), la menace s'appelle TikTok. L'app de vidéo courte cartonne chez les jeunes, et s'est déjà élevée au niveau d'Instagram en nombre d'utilisateurs. Face à ce succès, Meta a intégré à ses réseaux sociaux une fonctionnalité similaire à TikTok baptisée Reels. Mais cet effort n'a pas suffi, et le groupe est désormais contraint à un virage stratégique profond pour rattraper son retard. Décryptage.
François Manens
Instagram accorde de plus en plus de place aux Reels.
Instagram accorde de plus en plus de place aux Reels. (Crédits : Thomas White)

"Arrêtez d'essayer de devenir TikTok, nous voulons juste voir des photos mignonnes de nos amis". Fin juillet, les très influentes Kylie Jenner (370 millions d'abonnés) et Kim Kardashian (330 millions d'abonnés) relayaient le mécontentement des utilisateurs d'Instagram. En cause : la filiale du groupe Meta venait de changer son algorithme de recommandation, afin de se rapprocher son fonctionnement (et celui de Facebook) de celui de TikTok, l'app de vidéo courtes chinoise dont l'irrésistible ascension inquiète Mark Zuckerberg. L'objectif : reproduire le modèle de l'onglet "Pour toi" de TikTok, à l'origine de son succès : un flux personnalisé basé sur les centres d'intérêts de l'utilisateur, évalués par un algorithme, qui permet de découvrir sans cesse de nouveaux créateurs.

Concrètement, les deux réseaux sociaux de Meta ont commencé à montrer à leurs utilisateurs des contenus -principalement des Reels, son format de vidéo courtes- publiés par des comptes auxquels ils ne sont pas abonnés, à hauteur de 15% (une publication sur six), avec l'ambition d'augmenter ce ratio à 30% d'ici fin 2023. C'est un virage profond pour Instagram et Facebook, qui historiquement se concentrent sur les contenus des "amis" et de la famille.

Lire aussiRéseaux sociaux: les succès de TikTok et de Snapchat sonnent-ils le début de la fin pour l'empire de Mark Zuckerberg?

La méthode employée contre Snapchat ne fonctionne pas

Face à la menace TikTok, Meta a d'abord reproduit la stratégie d'imitation qui lui a permis de garder Snapchat à distance. Au début des années 2010, l'app de photos et vidéos éphémères attirait la jeunesse avec son format de "stories", des contenus épinglés pendant 24h et visibles par tous les contacts de l'utilisateur. Meta a copié la fonctionnalité sur Instagram puis Facebook, et après plusieurs tentatives infructueuses et une période de mécontentement des utilisateurs, elle est parvenue à l'imposer dans les usages, aux dépens de Snapchat, qui a perdu une partie de son originalité.

Lorsque ByteDance a racheté Musical.ly en 2018 pour le transformer en TikTok [TikTok est à l'origine une déclinaison de l'app chinoise Douyin, ndlr], le succès a été immédiat. En conséquence, Instagram a commencé à travailler sur une façon de cloner son nouveau concurrent, puis l'a déployé en juillet 2020 sous le nom de Reels. Intégré à Instagram et à Facebook sous la forme d'un onglet à part, il propose un flux de vidéos courtes, en format vertical, qui tournent en boucle. Bref, un équivalent de TikTok.

Mais sa méthode n'a pas fonctionné cette fois, car TikTok a grandi vite, bien plus vite que Snapchat. Il a dépassé les 700 millions d'utilisateurs mensuels en 2020, puis la barre du milliard d'utilisateurs dès septembre 2021, et prévoit de terminer l'année à 1,8 milliard. Le tout, sans compter le marché chinois qui dispose de sa propre version de l'app, baptisée Douyin. A titre de comparaison Snapchat n'a que 334 millions d'utilisateurs mensuels, Instagram 1,44 milliard, et Facebook 2,9 milliard. Autrement dit, Meta ne se bat pas contre plus petit que lui, mais contre un équivalent, qui le dépasse déjà chez les jeunes.

Lire aussiAvec "Reels", Facebook tente de contenir TikTok sur le marché de l'influence

Les utilisateurs passent dix fois plus de temps sur TikTok

Bien qu'il ait dégainé son clone moins de deux ans après l'arrivée de TikTok sur le marché occidental, Meta a donc déjà du retard, et il se traduit en statistiques. D'après un document interne publié en août que le Wall Street Journal s'est procuré, les utilisateurs d'Instagram passeraient 17,6 millions d'heures par jour à regarder des Reels, contre 197,8 millions d'heures pour TikTok. Toujours selon ce résumé des recherches de Meta, la plupart des utilisateurs de Reels n'interagirait (commentaire, like, partage) pas du tout avec les vidéos.

Parmi les causes de ce décalage, l'entreprise de Zuckerberg a identifié des difficultés à trouver des créateurs de contenus. Aux Etats-Unis par exemple, seuls 20,7% de ses 11 millions de créateurs publient avec le format de vidéos courtes chaque mois. Concrètement, Reels, tout comme YouTube Shorts, est vu par les vidéastes comme une plateforme de republication du contenu créé sur TikTok -qui s'est imposé comme la plateforme de référence-, afin de générer des revenus supplémentaires.

Pour contrer ce phénomène, YouTube va ouvrir en 2023 son système de partage de revenus aux créateurs de formats courts, en espérant les attirer et faire suivre leur audience. Meta a de son côté lancé un fonds à destination des créateurs, financé à hauteur d'un milliard de dollars sur 2022. Mais il n'en aurait dépensé que 120 millions jusqu'à cet été, et surtout, il ne se distingue pas de TikTok et YouTube, qui ont des initiatives similaires. De plus, ce modèle est critiqué par les vidéastes puisqu'il apporte des revenus faibles et dans le cas de Meta, il n'est accessible que sur invitation. Il s'agit donc d'un mode de rémunération très volatile, et difficilement viable pour se professionnaliser à plein temps.

Reels amené à prendre de plus en plus de place

Mais Meta a choisit une autre stratégie pour convaincre les créateurs. Il donne de plus en plus de place aux Reels sur Instagram et Facebook, afin de pousser les créateurs à en produire et les utilisateurs à en regarder. Or, la visibilité sur Instagram permet aux influenceurs de nouer des partenariats rémunérés avec les marques, qui peuvent être particulièrement lucratifs. Le raisonnement de Meta est simple : si créer des Reels permet de gagner des abonnés, alors les créateurs s'investiront.

Selon Mark Zuckerberg, ce virage stratégique a permis d'augmenter la durée de visionnage des Reels de 30% sur le deuxième trimestre 2022. Et il est convaincu par ce choix : "en théorie, nous pourrions limiter les vents contraires [financiers, ndlr] du court terme en forçant moins sur la croissance de Reels. Mais ce serait une moins bonne décision pour nos produits et notre modèle économique sur le long terme", a-t-il détaillé.

Toujours d'après le dirigeant, les publicités de Reels devraient générer 1 milliard de dollars de chiffres d'affaires en 2022, soit moins d'un centième du dernier chiffre d'affaires annuel du groupe. Mais ce chiffre pourrait vite grossir, si Meta parvient à transformer ses milliards d'utilisateurs de Facebook et Instagram en consommateurs de Reels, car le groupe excelle dans la monétisation de son audience. D'ailleurs, le groupe estime que les Reels occupent déjà un cinquième du temps passé par les utilisateurs sur Instagram.

Mais Meta n'a pas beaucoup de temps pour convertir son pivot, car en face, TikTok accélère : son chiffre d'affaires devrait grimper à 12 milliards de dollars en 2022, soit presque le triple de l'année précédente.

Lire aussiFermer Facebook et Instagram en Europe, un coup de bluff de Mark Zuckerberg ?

François Manens

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 24/09/2022 à 15:38
Signaler
Les algorithmes de Facebook et Instagram sont vraiment nuls. Tout ce qu'ils savent proposer c'est de petites vidéos idiotes (recettes de cuisines, animaux rigolos, ...).

à écrit le 23/09/2022 à 18:04
Signaler
Tiktok est en train de dépasser largement Instagram et Facebook. L'algorithme est bien meilleur, plus réactif, plus personnalisé. En face, Instagram et Facebook ont les défauts des occidentaux, c'est à dire trop lents, trop réglementés, trop sûrs d'e...

à écrit le 23/09/2022 à 12:07
Signaler
les chinois deviennent la référence dans les réseaux sociaux, chasse gardée des américains. Tous copient son algorithme. Mais on utilise "se transforme, s'inspire" La Chine sort une voiture avec des feus arrières qui rappèlent vaguement une europé...

à écrit le 23/09/2022 à 11:26
Signaler
Les réseaux dits "sociaux", des boîtes à pub qui relaient des "influenceurs" qui n'ont aucune conscience morale, des dégâts qu'ils provoquent sur le cerveau de gens, uniquement attirés par l'argent facile. Tik Tok est en avance? Normal, il est Chin...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.