Tout puissant sur le paiement, Google ouvre une brèche avec l'application Spotify

Le géant du web californien s’est associé à Spotify pour un projet pilote visant à permettre aux applications d’insérer leur propre système de paiement sur le Google Play Store. Une réponse à un étau législatif antitrust qui se resserre… et qui met également Apple sous pression. Explications.
(Crédits : ANDREW KELLY)

C'est un petit pas pour Google, mais un grand pas pour les développeurs. Mercredi, le géant californien a annoncé qu'il allait assouplir le fonctionnement de son Google Play Store, en permettant aux applications tierces d'y insérer leur propre moyen de paiement, et donc de contourner celui de Google. Ce système sera d'abord expérimenté sous forme de projet pilote, dans lequel certaines applications, et en particulier Spotify, avec qui Google s'est associé pour l'occasion, auront pour tâche de proposer leur propre dispositif de paiement.

Pour la première fois, les deux options de paiement, celle de Spotify et celle de Google, seront donc disposées côte à côte dans le magasin Google Play. Auparavant, les utilisateurs souhaitant s'abonner à Spotify devaient le faire directement depuis l'application, une mesure prise par le géant du streaming pour contourner la commission de 15% à 30% que Google prélève pour chaque transaction réalisée sur sa boutique. Lorsque le nouveau dispositif sera mis en place, le géant prendra toujours une commission (dont le montant n'a pas été communiqué et est sans doute encore en négociation), mais son montant sera moins élevé.

La fin d'une longue controverse ?

Cet accord « donne un aperçu de ce à quoi les plateformes de demain devraient ressembler » a tweeté Daniel Elk, directeur général de Spotify. Dans un article de blog, l'entreprise a affirmé que c'était le fruit d'un long combat visant à étendre les possibilités de paiement sur le Google Play Store et l'Apple Store, et que le nouveau dispositif serait disponible dans le courant de l'année.

Sameer Samat, vice-président de la gestion de produit chez Google, a quant à lui salué  « une étape d'une grande importance », ajoutant que « ce projet pilote va nous permettre de mieux comprendre l'attitude des utilisateurs face aux multiples choix de facturation, dans différents pays et face à des développeurs de différente taille et de différente catégorie. »

La possibilité d'introduire des options de paiement tierces sur les magasins d'application est au cœur d'une bataille juridique qui oppose depuis plusieurs années Spotify, le studio de jeux vidéo Epic Games et de nombreux développeurs d'un côté  à Google et Apple de l'autre. Le camp des développeurs reproche aux deux plateformes de priver les utilisateurs de la possibilité de choisir, en prélevant une taxe de 15 à 30% sur toutes les transactions et en limitant la façon dont ils peuvent mettre en place leurs propres options de facturation pour contourner cette taxe. Les deux géants californiens se sont toujours défendus en affirmant que leur commission représente une juste contrepartie à la sécurité de leurs systèmes.

« Une avancée significative »

Mais les choses sont en train de changer, comme l'illustre l'annonce que vient de faire Google. Pour Alexis Tandeau, avocat spécialisé en droit des technologies au cabinet De Gaulle Fleurance & Associés, celle-ci est tout sauf anodine.

« Il s'agit à mon sens d'une avancée significative, puisque Google va ainsi permettre aux développeurs d'accéder aux données de paiement des utilisateurs, qui sont le nerf de la guerre pour s'adapter à leurs besoins et proposer un service toujours meilleur. Cela devrait également s'accompagner d'une diminution de la commission de 15% prélevée par Google, même si les développeurs supporteront le coût que représente la mise en œuvre d'un système de paiement tiers, mais l'affaire devrait globalement s'avérer rentable. »

L'avocat voit toutefois un écueil possible pour les développeurs. « Google a habitué les utilisateurs à un service de paiement sécurisé et de grande qualité. Si des géants comme Spotify ne devraient pas avoir de problèmes pour rivaliser, la tâche risque d'être beaucoup plus complexe pour les petits développeurs, qui devront gagner la confiance des utilisateurs en matière de protection des données. Leur service de paiement sera, en outre, sans doute moins riche en matière de fonctionnalités et souffrira, au moins dans un premier temps, de la comparaison avec celui de Google. »

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Un accord dirigé contre Apple ?

Difficile, en tout cas, de ne pas voir dans cet accord une pique dirigée contre Apple, qui s'accroche de son côté à la prééminence de son système de facturation sur l'Apple store. « Google joue à fond la carte de la collaboration avec les développeurs, c'est très visible dans les éléments de langage employés dans l'article de blog publié pour annoncer ce projet pilote. Le choix de travailler avec Spotify n'est pas non plus anodin, le service de streaming ayant déposé en 2019 une plainte à Bruxelles contre l'entreprise à la pomme, visant notamment la taxe qu'elle prélève sur son Apple Store », note l'avocat.

En septembre dernier, Apple a partiellement assoupli son propre système, en permettant aux applications d'envoyer un courriel à leurs utilisateurs sur mobile pour les informer de la possibilité d'acheter un abonnement ou de régler un achat via leur site web plutôt que directement dans l'Apple Store. Une concession qui n'en est pas vraiment une, nous confiait alors Darrell West, chercheur à la Brookings Institution, un laboratoire d'idées non partisan basé à Washington.

« L'accord maintient le ferme contrôle d'Apple sur le marché des applications mobiles. Si l'entreprise a fait certaines concessions sur les commissions et les systèmes de paiement extérieurs, sa position demeure dominante et la plupart des développeurs devront continuer à opérer sur l'Apple Store. »

Maintenant que Google a franchi le Rubicon, la position d'Apple risque de devenir de plus en plus intenable, d'autant que l'entreprise à la pomme subit la pression des autorités dans de nombreux pays.

Anticiper l'évolution de la loi

Il y a d'abord le procès intenté par Epic Games aux États-Unis. Le verdict, plutôt favorable à Apple, a été rendu en septembre dernier, mais le studio de jeu vidéo a décidé de faire appel, et l'annonce de Google risque de lui donner des munitions.

Les États-Unis et l'Union européenne sont également tous deux en train de finaliser des lois qui visent à imposer davantage de compétition sur l'Apple Store et le Google Play Store, notamment en ciblant les moyens de paiement. Le pays pionnier en la matière est la Corée du Sud, qui s'est dotée d'une loi similaire l'an passé. Aux Pays-Bas, Apple est également en conflit avec le régulateur, qui a exigé de l'entreprise qu'elle permette aux applications de rencontre d'insérer leur propre système de paiement sur l'Apple Store. Apple a refusé et s'est contenté de baisser la commission de 30% à 27%, ce pour quoi le gouvernement néerlandais lui facture cinq millions d'euros d'amende chaque semaine.

« Des procédures sont également en cours en Inde et au Japon, ce qui montre qu'il s'agit d'une tendance générale qui se développe partout dans le monde. Dans ce contexte, l'annonce de Google constitue aussi un moyen d'anticiper de probables évolutions législatives », note Alexis Tandeau.

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