"Il faut casser le duopole d'Apple et Google sur les app stores" Meghan DiMuzio, Coalition App for Fairness

ENTRETIEN. Fondée dans la foulée du procès d’Epic Games contre Apple en septembre 2020, la Coalition for App Fairness (CAF) s’attaque à la mainmise de Apple (iPhone) et Google (Android) sur les applications au travers de leurs magasins respectifs, l’App Store et le Google Play Store. La coalition compte aujourd’hui plus de 60 membres de toutes tailles : des géants comme Epic Games et Spotify mais aussi des développeurs indépendants. Invitée à Bercy pour discuter des questions de souveraineté numérique, la directrice générale de la CAF Meghan DiMuzio a partagé ses revendications à La Tribune.
François Manens
(Crédits : © Regis Duvignau / Reuters)

LA TRIBUNE - Quels sont les objectifs de la Coalition for App Fairness ?

Meghan DiMuzio - Le but de la coalition est de se battre pour une place de marché plus juste. Nous sommes très inquiets des comportements anti-concurrentiels qui pèsent sur les développeurs d'applications, et particulièrement ceux de Apple et Google évidemment, puisqu'ils contrôlent l'entrée des marketplaces [les magasins d'applications, ndlr]. Nous voulons l'égalité des chances pour les créateurs d'apps, et nous voulons nous assurer que les consommateurs disposent d'une liberté de choix sur leurs appareils, dans une ère où nous utilisons tous des apps quotidiennement, soit pour du divertissement soit pour améliorer notre vie d'une façon ou d'une autre.

Concrètement, nous soutenons l'approche de la régulation des plateformes portée par l'Europe et sa présidence, à commencer par le Digital Markets Act. Aux Etats-Unis, nous soutenons l'Open App Market Act qui est récemment passé devant le comité judiciaire du sénat avec un large soutien bipartisan. A l'automne dernier, la Corée du Sud a été le premier pays à passer une loi pour réguler l'utilisation des systèmes de paiement intégrés aux applications. Plus récemment, une décision de l'autorité néerlandaise du marché et de la concurrence a tenu Apple responsable de ces actes.

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Pourquoi avez-vous créé une coalition ?

Le problème, c'est que les lois antitrust n'existaient pas encore au moment de la création de ces marketplaces. Et aujourd'hui, toutes les entreprises n'ont pas les capacités ou les ressources pour mener une bataille dans le système législatif, que ce soit aux Etats-Unis ou à l'étranger. C'est pourquoi nous souhaitons nous battre collectivement afin que les développeurs aient une voix plus forte, et puissent impulser des changements immédiats, plutôt que d'attendre qu'une Cour de justice prononce un jugement, ce qui peut prendre de longues années comme le passé nous l'a montré à de nombreuses reprises.

De 13 membres initiaux, vous êtes passés rapidement à 30 membres puis 60 aujourd'hui. C'est un nombre finalement faible par rapport à la population de développeurs d'apps. Rencontrez-vous des réticences de leur part à l'idée de vous rejoindre ?

Nous parlons régulièrement à des développeurs qui ne rejoignent pas la coalition parce qu'ils ont peur des répercussions. Même si nous leur expliquons qu'il existe différentes façon de s'impliquer, qu'il ne faut pas obligatoirement le faire savoir publiquement, ces développeurs ne se sentent pas à l'aise de nous rejoindre. Soit ils ont déjà été affecté négativement par Apple, soit ils sont inquiets du fait que Apple et Google contrôlent le marché et peuvent décider au bout du compte si leur business va survivre ou non.

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Vous avez mentionné les différentes lois votées ou en discussion pour adresser le marché des applications. Quel rôle le législateur joue-t-il dans votre combat ?

Nous savons que Apple et Google vont continuer à agir dans leur seul propre intérêt, et c'est pourquoi il est important que le Digital Market Act et le Open App Market App aboutissent. Nous savons que ces entreprises ne vont pas s'autoréguler d'une manière qui sera avantageuse pour les développeurs et les consommateurs. De plus, les régulations permettent aux développeurs de parler directement à leurs clients, et de fournir un meilleur service, là où Apple et Google veulent maintenir leur mainmise sur cette communication aux clients, qui sont pourtant ceux des développeurs.

Les mécanismes de mise en application des lois sont extrêmement importants, puisque nous faisons face à des entreprises comme Apple et Google, pour qui payer régulièrement 5 millions d'euros d'amende représente une goutte dans un verre d'eau. Nous avons vu qu'Apple pense qu'il est au-dessus de la loi.

Face aux demandes d'ouverture du marché des magasins d'application, comme il est prévu dans l'Open App Market Act, Apple répond que cela causerait des problèmes de sécurité puisqu'il passe un filtre de sécurité sur les applications de l'App Store. Que pensez-vous de cet argument ?

Je pense que c'est un argument essoufflé, le seul argument que Apple continue de répéter. En réalité, plus de concurrence et l'apparition d'app store alternatifs devraient apporter une meilleure sécurité. Nous savons que leur système ne fonctionne pas bien, et il a été prouvé encore et encore qu'il existe de nombreuses fraudes et arnaques sur l'App Store. Leur système actuel n'est pas le plus sécurisé, malgré qu'ils affirment le contraire.

Il faut aussi avoir à l'esprit qu'il est désormais autorisé d'installer des app sur les ordinateurs Mac, pourtant produits et gérés par Apple. S'ils pensaient que la sécurité était vraiment en danger, ils ne laisseraient pas les utilisateurs faire la même chose sur leurs ordinateurs. Leur sujet n'est pas la sécurité, leur sujet c'est de maintenir le pouvoir et le contrôle dont ils disposent sur le marché des applications.

Ces lois internationales et notamment européennes sont-elles limitées tant que la situation n'aura pas changé aux Etats-Unis ?

Les efforts sur le Digital Market Act ont commencé bien avant leurs équivalents aux Etats-Unis. Les deux sont des processus législatifs complexes, mais étant donnés les efforts de l'Europe et particulièrement de la présidence française, je pense définitivement que l'Europe peut mener la bataille sur ces sujets à l'échelle mondial. Les solutions face à la situation vont différer selon les pays, mais je pense qu'elles sont plus alignées qu'on ne le pense, et qu'il s'agit vraiment d'un effort commun et surtout multipartis dans tous les pays. Maintenant, il est important d'aller au bout de ces initiatives, à commencer par s'assurer que le Digital Markets Act soit adopté.

Quels genre de discussions avez-vous avec Apple et Google ?

Aucune. Ils ne sont pas ouverts, et je pense pas qu'ils soient intéressés de lancer une discussion avec nous. Ils ne cherchent pas non plus à trouver des solutions avec les décideurs politiques. En Corée du Sud par exemple, Apple a tout simplement refusé de se conformer à la loi au début. Google a de son côté fourni une proposition très laborieuse à mettre en place. Ils ne sont pas intéressés par une solutions parce qu'ils voient dans leur intérêt de préserver les politiques existantes des magasins d'application. Nous avons appris lors du procès entre Epic et Apple aux Etats-Unis que le chiffre d'affaires de l'App Store est la seconde source de revenus de Apple après les ventes d'iPhone. C'est énorme ! Ils ne souhaitent pas s'asseoir à la table des législateurs, et ils ne pense même pas qu'il existe un problème, malgré le nombre conséquents de personnes et d'organisations comme la Coalition for App Fairness qui leur disent le contraire.

L'un est-il plus ouvert que l'autre ?

Nous parlons de duopole. Ces deux entreprises travaillent pour leur intérêts commun. Il existe tellement d'arrangements économiques entre Apple et Google. Par exemple, Google paie Apple pour être le premier moteur de recherche sur l'iPhone. Je ne pense pas qu'il faille les dissocier, même si Apple a un écosystème plus fermé que Google.

Qu'espérez-vous à moyen terme pour les magasins d'applications ?

Au bout du compte, la Coalition for App Fairness et ses membres veulent des magasins d'applications alternatifs, qui propose des processus de paiement alternatifs, et proposent aux développeurs de communiquer directement avec leurs consommateurs. Nous voulons environnement juste, qui permet aux apps d'être en concurrence saine. Un environnement qui ne serait pas contrôlé par une entreprise qui vole les meilleures idées de la marketplace et met en avant ses propres solutions, comme le fait Apple.

François Manens

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Commentaires 4
à écrit le 12/02/2022 à 12:49
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Pas parler d'apple qui est une marque pour débiles et qui enferme effectivement son troupeau de veaux dans son enclos.. mais pour Androïd je suis désolé vous n'êtes pas obligé de passer par Google ( autant leurs rendre ce mérite ). Vous pouvez avec ...

à écrit le 12/02/2022 à 7:01
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Je ne vois pas en quoi une société serait obligée de permettre à une autre de profiter ou de saboter par des malwares ses innovations technologiques. L'Europe n'a pas continué à développer sa propre technologie informatique, et paye aujourd'hui le pr...

à écrit le 11/02/2022 à 11:37
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Il est si simple de se procurer un bigo sans internet. Je ne vois pas ou est le pb. Si les gens etaient moins con sommateur bcp de choses changeraient, mais la betise et son coro, la flemme....incommensurable.

à écrit le 11/02/2022 à 8:35
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Les GAFAM font ouvertement, là encore, ce que font les multinationales classiques depuis tout le temps sauf que les GAFAM elles économisent l'argent dépensé en hypocrisie, dissimulations et autres mensonges. Quand ils achètent de l'immobilier ils n'a...

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