Ce devait être une promenade de santé. Ce sera finalement un bras de fer. Le renouvellement des fréquences TNT de TF1 et de M6 n'est, d'habitude, qu'une simple formalité. Les deux mastodontes du petit écran, qui pesaient respectivement 2 et 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2020, n'ont pas, à ce niveau, l'habitude d'être concurrencés. Surtout par un nouvel entrant. Qui serait assez fou pour tenter de leur ravir leurs précieuses fréquences, en partant de rien ?
Xavier Niel, lui, ne s'embarrasse guère de ces considérations. Ce lundi, il s'est porté candidat, aux côtés de TF1 et de M6, à une de deux fréquences TNT remises sur le marché par l'Arcom, le régulateur de l'audiovisuel, pour lancer sa propre chaîne de télévision nationale. Le nom du projet, baptisé « SIX » et porté par sa holding personnelle NJJ, ne laisse aucun doute sur ses intentions : c'est bien la fréquence de M6 qu'il souhaite chaparder.
Même si cette offensive était attendue, la surprise n'en est pas moins grande dans le paysage audiovisuel français. Chez M6, l'état-major du groupe se pense protégé par ses 600 millions d'euros d'investissement par an dans les contenus. Même avec la meilleure volonté du monde, il faudrait, il est vrai, sans doute des années à Xavier Niel pour atteindre un tel niveau. Mais pas question de prendre cette menace à la légère. Il y a sans doute un « effet Niel », d'ailleurs, dans la récente décision de M6 de revoir à la hausse ses investissements dans la création, notamment dans le documentaire et l'animation...
Aux yeux d'une large frange du monde des médias, les chances de voir Xavier Niel décrocher la timbale paraissent faibles, voire nulles. Cela dit, personne n'a oublié, dans le Tout-Paris des affaires, de quelle manière le « trublion des télécoms », comme on l'appelle couramment, a imposé Free comme un opérateur de premier plan. Son offensive dans la télévision rappelle, à certains égards, l'arrivée de Free Mobile il y a 11 ans. A l'époque, beaucoup pensaient que son opérateur mobile, en tant que nouvel entrant, se casserait bien vite les dents. Sans réseau, et face à des cadors du calibre d'Orange, SFR ou Bouygues Telecom, comment diable, après tout, pourrait-il s'en sortir ? Cela n'a pas empêché Xavier Niel, aujourd'hui milliardaire, de connaître un franc succès en cassant les prix, et de bouleverser le marché, au grand dam de la concurrence.
Niel et sa « discipline de la rupture »
En se lançant à l'assaut de la fréquence de M6, Xavier Niel est dans sa position préférée : celle du « Maverick » qui veut renverser la table. Xavier Niel et Free cultivent, depuis toujours, « une discipline de la rupture », soulignait dans nos colonnes, il y a quelques années déjà, Etienne Candel, chercheur en communication. Celui-ci comparait alors l'opérateur à Apple, qui a révolutionné le monde de la tech avec le Macintosh et l'Iphone, dans sa capacité « à se présenter en 'libérateur' vis-à-vis des monopoles et des autorités établies ».
Xavier Niel sait, en outre, que ses coups de canon contre M6 sont plutôt bien accueillis par une partie du PAF. C'est d'abord le cas de l'Arcom. Roch-Olivier Maistre, son président, ne cache pas sa satisfaction devant cette concurrence nouvelle, qui pousse naturellement les acteurs à investir davantage. Lors des auditions des candidats aux fréquences TNT devant l'Arcom, le 15 février prochain, Xavier Niel aura tout le loisir de se présenter comme un acteur de long terme, soucieux, on imagine, de donner un nouveau souffle à la télé française... En face, ce sera plus difficile pour M6, dans la mesure où son actionnaire principal, l'allemand Bertelsmann, a tenté de se séparer à deux reprises.
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Si Xavier Niel et son projet « SIX » devaient l'emporter, la situation ne manquerait pas de sel. Il entrerait en compétition frontale avec TF1, 11 ans après avoir ferraillé avec Bouygues Telecom, autre filiale du groupe Bouygues. De quoi donner, une nouvelle fois, des boutons à Martin Bouygues, son chef de file... Furieux de l'arrivée de Free dans le mobile, celui-ci avait, à l'époque, eu des mots très durs à l'égard de Xavier Niel. « Je me suis acheté un château, ce n'est pas pour laisser les romanichels venir sur les pelouses », avait-il canardé. Le romanichel, lui, se verrait bien remettre une pièce dans la machine.
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