Entre TF1 et France Télévisions, la guerre est déclarée

Le numéro un français de la télévision payante a porté plainte à Bruxelles pour « aide d’Etat illégale » à France Télévisions. Si TF1 fait parler la poudre, c’est parce que le groupe est furieux - à l’instar de M6, de Canal+ et d’Altice (la maison-mère de BFMTV et de RMC) - de la programmation de France 2. Il juge que la chaîne profite d'une réglementation peu contraignante pour diffuser davantage de contenus commerciaux, et marcher sur ses plates-bandes.
Pierre Manière
Rodolphe Belmer, le PDG de TF1.
Rodolphe Belmer, le PDG de TF1. (Crédits : Reuters)

Le torchon brûlait depuis le printemps entre TF1 et France Télévisions. Et le numéro un français de la télévision payante s'est, finalement, décidé à sortir la sulfateuse. Le groupe dirigé par Rodolphe Belmer a porté plainte à Bruxelles, auprès de la Commission européenne, pour « aide d'Etat illégale » au géant français de l'audiovisuel public. Cette attaque a été lancée au mois de novembre, a indiqué Le Figaro ce mardi. TF1 juge que les modalités de financement de France Télévisions, dont le budget s'élève à 2,57 milliards d'euros cette année, sont contraire au droit européen.

Plus précisément, le groupe de télévision privé considère que les obligations auxquelles est soumis l'audiovisuel public s'avèrent imprécises, et ne sont ni correctement encadrées, ni suffisamment contraignantes. Ce qui permettrait en particulier, d'après une source proche du dossier, à France Télévisions de renforcer France 2, son fleuron, avec de plus en plus de programmes commerciaux, et de marcher ainsi sur les plates-bandes des chaînes privées. Ou, en d'autres termes, de concurrencer plus frontalement TF1 ou M6.

Pourquoi TF1 a-t-il décidé de monter au créneau ? Parce que son état-major, qui n'a cessé de faire remonter ces récriminations au gouvernement ces derniers mois, est furieux de voir qu'elles sont restées lettre morte. En saisissant la Commission européenne pour jouer les arbitres, « nous ne sommes pas dans une volonté d'affaiblissement de France Télévisions, mais bien de régler des asymétries concurrentielles », insiste-t-on chez TF1.

Cette croisade contre la programmation de France Télévisions a, en réalité, débuté au printemps dernier. Le 10 mai, l'Association des chaînes privées (ACP), qui regroupe TF1, M6, Canal+ et Altice (la maison-mère de BFMTV et RMC), s'est fendue d'une lettre au vitriol à Elisabeth Borne, alors à Matignon. Dans son viseur figurait France 2 et sa stratégie éditoriale. « France Télévisions s'organise pour proposer sur sa chaîne leader, grâce aux asymétries juridiques qui lui sont favorables, des programmes de plus en plus proches de ceux diffusés sur nos antennes », fustigeaient les cadors de la télé privée.

Une « programmation opportuniste »

L'ACP expliquait que « le cahier des charges de France Télévisions organise des obligations pour l'ensemble du groupe ». Ce qui permet, d'après le lobby, au groupe dirigé par Delphine Ernotte « de reporter ses missions et obligations sur ses chaînes marginales (France 4 et Culture Box), voire sur le digital, pour développer une programmation étonnamment commerciale sur ses grandes chaînes, et en particulier sur France 2 ».

Résultat : « cette programmation opportuniste aboutit à une sous-exposition des œuvres et programmes relevant de ses missions de service public », enfonçait l'ACP. L'association relevait notamment « la quasi-disparition des cases de spectacle vivant sur France 2 et France 3, l'absence de diversité en matière de fiction française avec une programmation principalement policière, une offre de documentaire en diminution et une offre de cinéma où la programmation en films américains est bien conséquente ».

L'audiovisuel privé « se trompe de combat »

Très remontés contre ces « projets de cannibalisation éditoriale sur la TNT », TF1, M6, Canal+ et Altice considéraient que « la dotation publique ne saurait servir de levier à France télévisions pour déstabiliser davantage le secteur, ni pour financer une offre de programmes déjà proposée par des chaînes privées ». Signée par Rodolphe Belmer, le PDG de TF1, Arthur Dreyfuss, le PDG d'Altice Media, Maxime Saada, le président du directoire de Canal+, et Nicolas de Tavernost, le président du directoire de M6, cette lettre a également été envoyée en copie à Bercy et au ministère de la Culture.

Mais elle n'a pas eu l'effet escompté. Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture de l'époque, a balayé ces critiques d'un revers de main. Elle a estimé que « les missions de services publics sont remplies en matière d'information, de création et de documentaires ». Même son de cloche pour Delphine Ernotte, la cheffe de file de France Télévisions. Dans une entretien au Figaro, elle a considéré que les poids lourds de l'audiovisuel privé « se trompent d'époque et de combat ». Si « nous sommes devenus plus puissants », a-t-elle argué, c'est « en nous renforçant sur l'information, sur la création française », mais « pas en allant sur le terrain de jeu des acteurs privés ». Interrogé par La Tribune, Altice affirme ne pas avoir engagé d'action similaire à celle de TF1. M6 et Canal+ n'ont pas, à publication, répondu à nos sollicitations.

« Eviter les querelles inutiles »

Ce bras de fer entre l'audiovisuel public et les chaînes privées va, à n'en point douter, alimenter les débats de ce début d'année. L'annonce de la plainte de TF1 est intervenue - ce qui ne manque pas de sel - alors que tout le gratin du « PAF » était réuni, ce lundi soir à Paris, à l'initiative de l'Arcom, le régulateur du secteur. Lors de ses vœux pour cette nouvelle année au Musée du quai Branly, Roch-Olivier Maistre, son président, a salué « l'esprit d'initiative » des groupes audiovisuels « aujourd'hui engagés dans de profondes évolutions stratégiques ». Avant d'appeler, en bon diplomate, à « éviter les querelles inutiles ». Le message est, vraisemblablement, plutôt mal passé.

Pierre Manière

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Commentaires 3
à écrit le 24/01/2024 à 13:52
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On ne peut pas en vouloir à TF1, M6, C8,... de dire: "produire de la ..., c'est notre pré carré" (qui rapporte bien, merci); FT n'a pas le droit !". Par contre on peut se désoler que La 2 s'y soit mise; que la pub sur la 3, à certaines heures c'est ...

à écrit le 24/01/2024 à 13:44
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Bien sur, personne ne se pose la question de savoir comment et pourquoi des haut fonctionnaires ont pu rédiger un texte, hors des clous de la réglementation européenne. Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage et mieux, la lui inocule. Incompétenc...

à écrit le 24/01/2024 à 9:29
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Avec leurs tout petits bras et leurs toutes petites jambes ça va vite faire un combat ridicule.

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