Alors qu'aux Etats-Unis, la consolidation s'organise pour créer des géants capables d'attirer en masse les abonnés, la France... fait le chemin inverse ! Pourtant, pour une fois, l'Hexagone semblait avoir tout compris avant tout le monde en lançant Salto en 2020. Présenté comme le « Netflix de la TV française », Salto devait réunir sur la même plateforme tous les programmes à la fois du groupe public France Télévisions, et des deux géants privés TF1 et M6. Une alliance historique et inédite, qui aurait pu -et dû- créer un mastodonte capable de tenir la dragée haute au leader mondial Netflix et disputer à Canal+ le titre du champion tricolore.
Las ! L'incapacité de TF1, de M6 et de France Télévisions à travailler ensemble, et la poursuite par chacun de sa propre stratégie basée sur le développement de services maison, ont tué la nouvelle plateforme. A cause d'une offre illisible et incomplète, et d'un manque criant d'ambitions et de moyens, Salto a fermé début 2023. Un vrai gâchis.
Au moins 4 plateformes à la place d'une seule
Résultat : les plateformes de streaming françaises se multiplient et se font concurrence : en plus de l'historique myCanal, le service public a renforcé ses plateformes France.tv et Arte.tv, TF1 vient de lancer TF1+, et M6 travaille à la refonte de 6play. Pourtant, aucune n'a le catalogue ou l'attractivité suffisants pour rivaliser avec Canal+ d'un côté, et les géants américains de l'autre comme Netflix, Disney+, Paramount+, AppleTV+ et bientôt Max, la giga-plateforme de Warner Bros. Discovery qui arrivera en France à l'été 2024 avec l'immense catalogue des films Warner, des séries HBO, des documentaires et émissions de Discovery, et les droits de diffusion des Jeux Olympiques, partagés avec France Télévisions.
Dans l'incapacité de jouer dans la même cour, tous ont privilégié le modèle économique des offres gratuites financées par la publicité plutôt que l'abonnement (TF1+ propose les deux, mais il met davantage l'accent sur l'offre gratuite). Alors que Salto aurait pu rivaliser, en quantité et diversité de l'offre, avec les géants américains et devenir un vrai rival à Canal+ sur le marché français, France Télévisions, TF1 et M6 se sont eux-mêmes condamnés à n'être que des plateformes complémentaires.
A ce petit jeu, le service public semble le mieux armé pour se faire une place dans le cœur du public. Les plateformes gratuites Arte.tv et France.tv, dotées d'une vraie politique éditoriale différenciante et de qualité, sont de plus en plus plébiscitées. La série Sambre, sur l'affaire dite du « violeur de la Sambre » qui a sévi des années 1980 aux années 2010, diffusée par France 2 à l'automne, a été le plus grand succès série de la fin d'année dans l'Hexagone. L'oeuvre de Jean-Xavier de Lestrade a battu le record de France.tv en engendrant plus de 5 millions de vues sur la plateforme.
Du côté du privé, l'heure est au lifting de façade. M6 et TF1 ont chacun annoncé en 2023 une réorganisation interne pour amplifier leur activité de streaming. La première chaîne a lancé le 8 janvier sa plateforme gratuite TF1+, financée par la publicité, avec 15.000 heures de programmes. Une offre payante sans pubs à 5,99 euros par mois est aussi disponible. Mais le nouvel acteur semble surtout moderniser sa plateforme existante myTF1 et simplifier l'accès au replay. Ses quelques innovations cosmétiques, dont un système de résumés de matchs de foot et des recommandations personnalisées, ne suffisent pas à déclencher l'enthousiasme.
Canal+ grand gagnant
Avec un tel éclatement des offres, Canal+ peut dormir sur ses deux oreilles. Le groupe de Vincent Bolloré a un boulevard pour devenir la seule vraie alternative française aux Américains.
Sa triple stratégie, qui consiste à développer ses propres contenus originaux avec myCanal, d'investir massivement dans le cinéma français et de pouvoir diffuser les films six mois après leur sortie, et enfin de distribuer les offres de des concurrents -via notamment son offre groupée Canal+ Ciné Séries qui donne accès à myCanal, Netflix, Disney+, AppleTV+ et Paramount+ pour moins cher que toutes ces offres seules-, devrait continuer à renforcer ses positions en 2024. D'autant plus que l'Autorité de la Concurrence a enfin autorisé, début janvier, le rachat d'OCS et de Orange Studio, la filiale cinéma du groupe Orange, en contrepartie d'engagements pour investir dans le cinéma français sur plusieurs années.
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