Un coup de tonnerre dans le PAF ! À la suite d'une saisine de Reporters sans frontières concernant la chaîne CNews, le Conseil d'État a demandé mardi à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de durcir son contrôle en matière de pluralisme de l'information. Plus question désormais de se limiter au temps de parole des politiques. Il faudra également prendre en considération la « diversité des courants de pensée et d'opinion » de toutes les personnes présentes sur le plateau. Du côté de la chaîne du groupe Bolloré, la réaction ne s'est pas fait attendre, ses présentateurs dénonçant à l'antenne une grave atteinte à la liberté d'expression. Retour avec Roch-Olivier Maistre sur cette décision hautement sensible.
LA TRIBUNE DIMANCHE - Que demande concrètement le Conseil d'État à l'Arcom ?
ROCH-OLIVIER MAISTRE - La décision du Conseil d'État offre une lecture renouvelée de la loi de 1986. Il indique que le pluralisme de l'information ne se résume pas au seul pluralisme politique, c'est-à-dire au temps de parole des personnalités politiques, mais qu'il faut désormais l'apprécier en prenant en compte l'ensemble des participants. Notamment les chroniqueurs, animateurs et invités. Mais soyons très clairs : il ne nous est pas demandé de comptabiliser chacun des intervenants. Il n'y aura pas de catalogage des journalistes et invités. Il s'agira d'une appréciation globale sur l'ensemble des programmes diffusés. L'Arcom n'est ni la police de la pensée ni un tribunal d'opinion. La loi de 1986 est d'abord une loi de liberté, qui consacre la liberté de communication et la liberté éditoriale.
Mais, même si l'appréciation est « globale », cela risque d'être un casse-tête pour vous en pratique. Comment savoir qui est de gauche ou de droite ?
Cette décision vient tout juste d'être rendue. Nos services ont entamé un travail de réflexion et nous serons amenés à préciser les règles de sa mise en œuvre, dans le respect de la liberté éditoriale des chaînes. Par ailleurs, il est important de souligner que cette décision ne concerne pas seulement CNews, mais l'ensemble des médias audiovisuels, qu'ils soient publics ou privés.
Comment avez-vous accueilli cette décision ? Certains ont pu y voir un désaveu...
Ce n'est pas le cas. Il s'agit d'une évolution, avec une capacité d'appréciation élargie de la notion de pluralisme. Ces dernières années, l'Arcom n'a pas été inactive. Concernant CNews et C8, puisque les débats ont beaucoup porté sur ces deux chaînes, nous avons pris un certain nombre de sanctions significatives à des niveaux sans précédent dans l'histoire de notre institution. Et pas uniquement en matière de pluralisme [notamment une amende de 3,5 millions d'euros infligée en 2023 à C8 à la suite des propos de Cyril Hanouna contre Louis Boyard]. Le régulateur remplit sa mission.
Avec cette décision du Conseil d'État, n'y a-t-il pas un risque de censure, voire de maccarthysme ?
À l'Arcom, notre feuille de route, c'est la loi, toute la loi, rien que la loi. Je comprends que cette décision puisse faire réagir. Encore une fois, j'insiste sur le fait que la loi de 1986 est un texte de liberté. Pour autant, les médias ont des obligations à respecter, qui sont la contrepartie de l'autorisation à diffuser leurs programmes sur des fréquences qui appartiennent au domaine public de l'État et qui leur sont attribuées gratuitement. Notre rôle est d'assurer constamment cet équilibre.
Cette nouvelle lecture du pluralisme va-t-elle s'appliquer dès les élections européennes ?
Nous tiendrons compte de cette décision du Conseil d'État dans la délibération que nous allons adopter à la fin du mois et qui fixera les règles applicables pour ce scrutin. Ces élections présentent plus largement des enjeux très importants, vu le contexte géopolitique de notre continent. Nous allons être très attentifs à ce qui se passe sur les réseaux sociaux. L'Autorité sera vigilante sur les risques d'ingérence étrangère et de manipulation de l'information. Comme pour les échéances de 2022, nous coopérerons étroitement avec Viginum et les plateformes en ligne.
Prochain temps fort pour l'Arcom, le lancement de l'appel à candidatures pour le renouvellement de 15 fréquences de la TNT...
C'est un moment inédit dans l'histoire de la télévision française ! Quinze chaînes voient leur autorisation arriver à terme [dont C8, W9, TMC, BFMTV, LCI ou encore CNews]. Le jeu est totalement ouvert, on va repartir d'une feuille blanche. L'appel à candidatures devrait être lancé le 28 février. Les candidats auront jusqu'à mi-mai pour y répondre. Ils seront auditionnés publiquement en juillet. À l'issue de ces auditions, nous présélectionnerons les candidats retenus, puis nous négocierons, avant fin novembre, les conventions en retenant un niveau d'engagements élevé. L'objectif est de délivrer les autorisations avant fin 2024. Il s'agit d'une procédure totalement transparente, à toutes les étapes.
Quels critères vont guider vos choix ?
Ce qui nous guide avant tout, ce sont les critères du pluralisme de l'offre et de l'intérêt du public, qui sont inscrits dans la loi. Nous souhaitons qu'il y ait une grande diversité d'acteurs et nous voulons offrir aux téléspectateurs un très large choix, avec des formats de chaîne variés : chaînes info, généralistes, jeunesse... Nous espérons que les candidats feront valoir un « mieux-disant », par exemple en matière de soutien à la production audiovisuelle et cinématographique ou concernant les engagements sociétaux. Cet appel à candidatures sera également l'occasion de revoir les conventions des chaînes, comme cela a été le cas l'an passé lors du renouvellement des autorisations de TF1 et de M6.
Concernant C8 et CNews, l'ex-ministre de la Culture Rima Abdul Malak avait laissé entendre que leurs nombreuses sanctions pourraient peser dans la balance. C'est également le sens d'une pétition que vous a adressée la députée Sophie Taillé-Polian...
Chacun est libre d'exprimer son point de vue. L'Arcom est évidemment très attentive aux débats légitimes qui portent sur son action. Mais l'Autorité n'agit pas sous influence. Elle statuera en toute indépendance, en toute impartialité, loin de toute agitation. La prise en compte des manquements d'une chaîne sortante qui candidaterait à nouveau fait partie des paramètres que le régulateur peut prendre en compte. Mais ce n'est pas le seul.
C'est votre dernière année de mandat. Au cours de celui-ci, le champ de compétences de l'Arcom s'est largement élargi en matière de numérique. Quels sont les prochains défis ?
Sur ce plan aussi, le régulateur a changé de dimension. Notre action s'étend désormais aux acteurs du numérique, avec notamment le règlement européen sur les services numériques [entré en vigueur en août dernier pour les principales plateformes et le 17 février pour les autres]. Ce texte nous permet de mieux lutter contre les contenus illicites. Dans cet univers en mutation, je pense que la question du modèle économique de nos médias est un sujet central. Une étude de l'Arcom et du ministère de la Culture publiée récemment montre qu'en 2030, si nous ne faisons pas évoluer la réglementation, 65 % de la recette publicitaire des médias sera captée par les grands acteurs du numérique que sont notamment Alphabet [maison mère de Google], Amazon, Meta et TikTok. Enfin, il est nécessaire de mieux mettre en avant les chaînes de télévision sur les écrans connectés. C'est le sens de la délibération que nous venons de prendre sur les « services d'intérêt général », avec le souhait d'une « application » qui regrouperait les chaînes de la TNT afin qu'elles soient plus visibles.
Rachida Dati s'est prononcée récemment en faveur d'un projet de création de holding dans l'audiovisuel public. Qu'en pensez-vous ?
C'est un choix qui appartient au gouvernement et au Parlement. Ce qui est certain, c'est que le service public joue un rôle essentiel dans l'équilibre de notre paysage. Les Français y sont très attachés. Si l'on veut un audiovisuel public fort, l'Arcom a répété à plusieurs reprises qu'il est nécessaire de rassembler les forces et de fédérer les énergies. Cela suppose également un financement pérenne, qui garantisse l'indépendance du service public et lui permette de mener à bien ses missions.
L'Arcom publiera le 5 mars son baromètre annuel de la représentation des femmes à la télévision et la radio. Les avancées sont-elles suffisantes ?
Ce chantier est primordial pour le collège de l'Arcom, qui est d'ailleurs paritaire. Les médias audiovisuels doivent veiller à une juste représentation de la société française. Nous ne sommes pas encore arrivés à une parfaite parité, mais avec 44 % de femmes à l'antenne nous avons fait des progrès significatifs. On voit que les lignes ont bougé, y compris dans le domaine du sport, avec beaucoup plus de journalistes sportives et davantage d'épreuves féminines retransmises. En février prochain, au moment où je quitterai mes fonctions, j'aurai le sentiment que nous avons bien avancé sur ce terrain-là, mais il ne faudra pas relâcher nos efforts.
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