Qu'il provienne du sondage réalisé en juin par BVA pour La Tribune ou du 32e baromètre des médias de Kantar (WPP) pour le quotidien La Croix sorti début janvier, le constat est à la fois sévère et paradoxal. D'une part, la défiance des sondés vis-à-vis des différents canaux médiatiques s'est accélérée en 2018 pour une raison majeure : le manque supposé d'indépendance des journalistes et leur connivence avec les pouvoirs politique et économique. Si la dégringolade est générale (31 % de confiance tous canaux confondus selon BVA), la radio reste crédible pour 50 % des personnes interrogées. En revanche, la presse écrite, considérée en 2017 comme fiable par plus de la moitié de l'opinion, perd huit points (44 %). Mais la chute de confiance la plus significative s'exerce vis-à-vis des chaînes de télévision. Fiable pour 48 % des Français en 2017, le petit écran recule à seulement 38 % d'opinions positives. Le traitement médiatique de la crise des « gilets jaunes » est passé par là. En cause notamment, BFM TV, accusée d'avoir accordé une place démesurée à cet évènement par rapport à d'autres, comme le réchauffement climatique et la montée du vote écologiste aux élections européennes. Ironie amère du sondage, la chaîne d'information en continu d'Altice est parallèlement décriée par les « gilets jaunes » eux-mêmes.
Pour autant, l'intérêt pour l'information bat d'autre part des records avec 67 % d'appétence. Ce fort pourcentage est sujet d'optimisme pour Catherine Marcé, directrice associée chez Kantar, au même titre que le rôle central reconnu aux journalistes pour débusquer les fake news. Au-delà du constat, plusieurs explications sont avancées sur ce phénomène inquiétant pour le débat démocratique dans l'Hexagone, dont les médias sont le premier reflet. Le chercheur du CNRS Jean-Marie Charon, spécialisé dans les médias, pointe en premier lieu un niveau d'éducation du public, qui s'est largement élevé depuis trente ans. Conséquence, le lecteur et l'auditeur remettent régulièrement en cause les compétences des journalistes. Ils se situent désormais dans une relation d'égalité avec ceux qu'ils ne considèrent plus comme les sachants d'antan. L'élargissement exponentiel des sujets d'information accélère encore ce processus de déclassement des journalistes, via la transformation des rédactions en plates-formes réclamant toujours plus de rédacteurs polyvalents et moins de spécialistes et d'experts. Ce phénomène est encore renforcé par la mutation numérique, qui a instillé la gratuité dans les médias, et paupérise le secteur. Résultat, une distorsion entre les attentes du public et le niveau des rédactions, qui favorise la défiance. Professeur d'histoire des médias à la Sorbonne, Patrick Eveno constate de son côté que l'individualisme de la société moderne, synonyme de repli, et la multiplication exponentielle des outils d'information, favorisent également le manque de confiance et le ressentiment.
Pour autant, l'aura des médias n'a pas disparu en tant qu'élément de socialisation, contrairement à celles des syndicats ou des partis. À preuve, dans le baromètre de La Croix, la confiance qui leur témoigne encore le public pour lutter contre les fake news envahissant les réseaux sociaux et le Web. Cette donnée rassurante ne saurait être suffisante pour inverser la tendance dans un paysage largement dégradé.
Vers un conseil de déontologie journalistique
Les débats actuels sur l'opportunité de créer un Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) sont au coeur de la problématique de la défiance, pour Patrick Eveno. Président de l'Observatoire de la déontologie de linformation (ODI), l'enseignant est la cheville ouvrière de la future instance, prévue pour voir le jour fin 2019. Remis en mars au premier ministre Edouard Philippe, qui suit en direct cette question sensible, le rapport sur le sujet commandé à l'ancien PDG de l'AFP, Emmanuel Hoog, a mis de l'eau au moulin de Patrick Eveno. Pour cet historien de la presse, Le CDJM, grâce à sa saisine ouverte à tous, aurait plusieurs vertus. Via l'obligation pour les médias de prendre en compte les remarques du public sur la véracité de leurs informations, il permettra notamment d'améliorer la transparence et de renouer le dialogue entre public et professionnels de l'information.
À la clé, une probable amélioration de leur image à l'instar des 21 autres pays européens dotés de ce type d'instance de régulation. Si elle reste élevée, surtout dans les rangs des populistes, la défiance vis-à-vis des médias y est moins prononcée qu'en France, où elle s'est transformée en haine ces derniers mois. Reste à mettre en oeuvre cette nouvelle structure. Le récent couac de secrétaire d'État au numérique, Cédric O, qui a suggéré de créer un Ordre des journalistes, a démontré, s'il en était besoin, le caractère très sensible de la question dans un contexte de protection de la liberté de l'information.
Pierre à l'édifice de la reconstruction de la confiance dans les médias, l'instauration d'un CDJM ne saurait être suffisante, d'après Jean-Marie Charon. Outre la mise en oeuvre d'un plan Orsec pour l'éducation aux médias, le chercheur préconise la généralisation des expériences de making off au sein des rédactions. À ce travail explicatif sur son fonctionnement interne, le quotidien Libération a ajouté un pan serviciel unique dans la presse avec Checknews. Créé en 2017, ce service doté de neuf journalistes et dirigé par Cédric Mathiot tente de répondre aux questions des lecteurs. Lors de fortes actualités, ces dernières peuvent atteindre un rythme quotidien de 150 par jour. Objectif, faire enfin se croiser deux mondes parallèles qui cohabitent sans communiquer, les pages Facebook individuelles et la presse nationale. Car si les Français ne sont pas tendres avec les médias, ils se montrent encore plus critiques à l'égard des réseaux sociaux : 86 % s'en méfient, dont 44 % qui ne leur font pas du tout confiance selon notre sondage BVA.
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