Publicité ciblée : pourquoi Apple s'attire les foudres du secteur

L'Autorité de la concurrence examine ce mercredi 10 février une plainte déposée contre Apple par quatre associations professionnelles du secteur de la publicité. En cause : les futures restrictions de ciblage publicitaire que le fabricant d'iPhone souhaite instaurer dans la prochaine mise à jour de son système d'exploitation mobile. Explications.
Anaïs Cherif
(Crédits : Aly Song)

Le monde de la publicité, vent debout contre Apple. L'Autorité de la concurrence examine ce mercredi 10 février une plainte déposée contre Apple en octobre dernier par quatre associations professionnelles : la filiale française de l'IAB (Interactive Advertising Bureau) - lobby de la publicité en ligne, qui compte parmi ses membres des géants de la tech Facebook, Google mais aussi LinkedIn - la MMA (Mobile Marketing Advertising), le Syndicat des Régies Internet (SRI) et l'Udecam (Union des entreprises de conseil et d'achat média).

Les quatre associations redoutent les conséquences potentielles de la prochaine mise à jour du système d'exploitation mobile d'Apple. Fin juin, la firme de Cupertino annonçait le développement de l'iOS14 avec une promesse à destination des utilisateurs : restreindre le ciblage publicitaire. Actuellement en cours de développement, l'iOS14 devrait être déployé massivement sur les appareils Apple au printemps 2021.

Apple se pose en défenseur de la vie privée en ligne

Le géant américain, qui a fait de la protection de la vie privée un argument marketing depuis quelques années, va instaurer dans son futur système d'exploitation une fonction baptisée "App tracking transparency". Concrètement, un utilisateur d'un appareil Apple se verra demander explicitement son consentement pour chaque application souhaitant partager ses données personnelles avec des tiers.

Si l'utilisateur refuse le partage de ses données, alors Apple ne transmettra plus à l'application concernée l'identifiant publicitaire nécessaire au traçage des utilisateurs entre les différentes applications. Cet identifiant, baptisé IDFA, est une suite unique de numéros que le géant américain attribue à chacun de ses appareils. Il est utilisé par les éditeurs d'applications et les annonceurs pour pouvoir cibler finement les publicités en fonction des habitudes des utilisateurs et mesurer l'efficacité de leurs campagnes.

Lire aussi : Vie privée: Apple lance la bataille de la publicité sur mobile

Trouver un compromis

Pour le secteur de la publicité, cette annonce a été vécue comme en coup de massue. "Cette fonctionnalité est inutile : le consentement est déjà demandé de façon très granulaire depuis l'entrée en vigueur en 2018 du Rgpd (règlement général sur la protection des données). Apple tente d'agir comme un régulateur privé", dénonce Nicolas Rieul, président de l'IAB et directeur général de Criteo.

C'est pourquoi les quatre associations ont déposé plainte auprès de l'Autorité de la concurrence. La coalition y a inséré deux demandes de mesures conservatoires, qui sont examinées ce mercredi. D'une part, elles souhaitent que le gendarme de la concurrence empêche la création de la fonctionnalité "App tracking transparency". D'autre part, la coalition veut contraindre Apple à négocier pour trouver un compromis. La décision de l'Autorité pourrait être rendue au cours du mois de février, selon l'IAB. Si les mesures conservatoires sont refusées par le gendarme de la concurrence, l'enquête se poursuivra tout de même sur le fond.

Une chute massive des recettes publicitaires attendue

Dans le détail, la coalition s'inquiète de l'impact économique induit par la mise à jour de l'iOS d'Apple. "Les effets seront dévastateurs : les éditeurs verront leurs recettes publicitaires diminuer (jusqu'à 50%)", anticipait la coalition en octobre dernier, dans un communiqué de presse relayé par le SRI. En cause : ils s'attendent à un très faible taux d'adhésion des utilisateurs.

"Le message proposé par Apple n'est pas personnalisable par les éditeurs. Il a fait le choix d'employer les mots de "tracking" et de "suivi" pour toutes les applications, mais pour ses propres services, il évoque la "publicité personnalisée", regrette Nicolas Rieul.

Et de poursuivre : "Il est donc logique de s'attendre à un faible taux d'adhésion des utilisateurs car aucune contrepartie ne peut leur être proposée par les éditeurs via ce message - comme par exemple, le fait de souscrire à un abonnement payant - et les utilisateurs pourront toujours accéder aux services, même s'ils refusent la publicité ciblée." Or, la publicité ciblée fait "partie intégrante du contrat de lecture et des modèles de financement des applications qui sont proposées gratuitement aux utilisateurs", estime-t-il.

Pour la coalition, cette décision pourrait inciter les applications financées par la publicité à devenir payantes pour les utilisateurs. Ce qui permettrait à Apple de prélever sa fameuse commission, entre 15% à 30%, pour toute transaction réalisée via son magasin d'applications App Store.

Lire aussi : Procédure contre Google : le début de la fin pour le modèle "gratuit" du Net basé sur la publicité ?

"Apple ne s'applique pas ses propres règles"

De plus, ils dénoncent le fait qu'Apple ne s'applique pas ses propres règles. S'il est loin d'être un acteur dominant de la pub, le groupe de Tim Cook vend tout de même des annonces personnalisées sur l'App Store ou encore l'App News grâce aux données récoltées dans son propre écosystème. Et pour ses propres applications, aucune fenêtre de consentement ne sera automatiquement mise en avant auprès de ses utilisateurs.

Conséquence : si un utilisateur veut s'opposer au partage de ses données par Apple, il doit lui-même aller dans les paramètres de son appareil pour désactiver cette option. Le groupe américain justifie son choix en expliquant ne pas partager les données avec des applications tiers.

"Apple réalise cette mise à jour dans son propre intérêt - et c'est pourquoi cela pose un problème de concurrence selon nous. Il ne s'applique pas les mêmes règles pour ses propres services, et donc, il s'octroie un avantage", affirme Nicolas Rieul.

Anaïs Cherif

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Commentaires 2
à écrit le 11/02/2021 à 8:28
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Faut les comprendre tout ces publicitaires, ils ont déjà du s'adapter une fois à la publicité sur internet plus complexe que la pub à la télé et radio, alors si faut changer s'adapter et évoluer tout le temps non hein ça suffit maintenant le changeme...

à écrit le 10/02/2021 à 15:51
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J'adore, les chantres de la pire immoralité de surveillance furieuse qu'Apple veuille en finir avec la pub ciblée? Et si Apple était une association non gratuite, mais sans la moindre pub, ils diraient quoi? Parce que ça arrivera surement un jour, ...

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