Samsung Galaxy Note 7 : un désastre industriel à 10 milliards de dollars ?

Face au fiasco, Samsung arrête les frais. La firme sud-coréenne a décidé d’arrêter totalement la production de son dernier modèle, le Galaxy Note 7, et de demander à ceux qui l’ont acheté de ne plus l’utiliser en raison des multiples explosions de batteries. Une catastrophe industrielle qui pourrait coûter jusqu’à 10 milliards de dollars, estiment les analystes. Sans compter l’énorme impact en terme d’image et de réputation.
Sylvain Rolland
Dès que Samsung a acté l'échec de son produit, mardi matin, la valeur de l'action a plongé de 8% à la Bourse de Séoul. Soit presque 14.700 milliards de wons (près de 12 milliards d'euros) partis en fumée.

Qu'il paraît loin le temps où Samsung se considérait à deux doigts de détrôner Apple dans le segment des smartphones très haut de gamme ! Mardi 10 octobre, la firme sud-coréenne a décidé d'arrêter totalement la production de son dernier modèle, le Galaxy Note 7, le plus ambitieux de la marque à ce jour. Toutes les personnes qui en posséderaient un exemplaire sont invitées à ne plus l'utiliser. Un désaveu terrible pour Samsung, qui ne veut plus de bad buzz, comme cette vidéo où l'on voit une employée d'un Burger King sud-coréen utiliser des maniques pour se débarrasser tant bien que mal d'un modèle fumant.

Pourtant, il y a seulement six semaines -une éternité à l'heure de la circulation de l'information en temps réel avec les réseaux sociaux- la presse montait encore en épingle le "duel des innovateurs", avec Samsung dans le rôle de Goliath qui surpasse, à force d'abnégation, le géant Apple en panne d'inspiration.

De "la réussite totale" au cauchemar

Pour Samsung, 2016 était jusqu'à présent une année exceptionnelle, celle qui devait enfin voir la marque sud-coréenne atteindre et même dépasser Apple sur le segment du haut de gamme. Après le succès, au printemps, des modèles Galaxy S7 et S7 Edge, concurrents sérieux de l'iPhone 6, le Galaxy Note 7 devait enfoncer le clou et ringardiser l'iPhone 7.

Cet été, les tests et autres critiques du nouveau modèle étaient même tout simplement dithyrambiques. "Un des tout meilleurs smartphones à grand écran" pour le site Les Numériques. "Une réussite totale, une merveille de design" pour "un cocktail explosif", s'enflammait, un brin prémonitoire, le site spécialisé Frandroid. "Samsung ne suit plus Apple mais créé les standards de demain", ajoutait le site américain Re/code, louant la qualité de l'écran incurvé ou encore le stylet.

Porté par les excellentes ventes des Galaxy S7 et S7 Edge (26 millions d'unités écoulées de mars à juillet), Samsung venait même de voir ses ventes progresser après deux années difficiles. De quoi consolider sa première place mondiale (22,3% de parts de marché, contre 12,9% pour Apple et 8,9% pour Huawei), grâce à la présence de la marque sur tous les segments de marché (entrée, moyen et haut de gamme) et à une très bonne implantation en Asie.

Patatras : alors que les étoiles semblaient enfin alignées, un premier caillou dans la chaussure apparaît le 2 septembre. Alors que Samsung a déjà vendu 2,5 millions d'appareils, l'entreprise annonce le rappel planétaire du produit. "Nous avons reçu plusieurs signalements d'explosion de la batterie du Note 7. Il y a un problème", lâche Koh Dong-jin, le directeur de l'activité mobile de la marque, en conférence de presse.

Une semaine plus tard, la spirale de la défiance s'enclenche. Face à la multiplication des explosions, l'Administration fédérale américaine de l'aviation (FAA), suivie par la Commission américaine de protection des consommateurs (CPSC) appellent les utilisateurs à éteindre leur Note 7. Le 11 septembre, Samsung lui-même formule la même recommandation..

Des dysfonctionnements beaucoup plus larges

Octobre devait marquer la fin de cet épisode fâcheux pour Samsung, qui le considère alors comme un raté au démarrage. L'impact du rappel du premier produit se chiffrait déjà, d'après des analystes américains, à environ 1 milliard de dollars. Au moment de reprendre ses ventes en Corée du Sud, le 1er octobre, Samsung est confiant. Mais rapidement, de nouvelles plaintes font état d'une surchauffe des appareils et de batteries défectueuses. Et la crise redouble d'intensité lorsque, le 5 octobre, un avion de la compagnie Southwest Airlines est évacué à cause de la fumée dégagée par le Galaxy Note 7 d'un passager, qui venait pourtant d'être remplacé. Les témoignages dans les médias se multiplient : ici une brûlure à la jambe, là un modèle qui prend feu en pleine nuit...

Cette fois, la crise est trop contagieuse. Lundi 10 octobre, les trois plus gros opérateurs américains (AT&T, Verizon et T-Mobile US) renoncent à remplacer les modèles défectueux. Un signe fort d'une perte de confiance dans la marque. Ce mardi, Samsung, critiqué pour avoir tenté de minimiser le problème, se résout finalement à jeter l'éponge. Une décision sage, bien que tardive, selon Thomas Husson, analyste pour le cabinet Forrester, interrogé par La Tribune:

"Arrêter la production est une décision radicale et significative. Le fait que même les nouveaux modèles, post-rappel, prennent feu ou explosent, montre qu'il ne s'agit pas simplement d'un problème de batterie mais d'un dysfonctionnement plus large".

Si Samsung s'est crashé en vol, c'est peut-être car il a voulu aller trop vite pour doubler Apple. D'après une enquête de l'agence de presse Bloomberg, les dirigeants de Samsung auraient mis énormément de pression à leurs fournisseurs et à leurs propres équipes, pour sortir le Note 7 en un temps record... Un empressement qui serait lié aux troubles causés par la transition générationnelle à la tête du conglomérat.

Un impact financier considérable d'au moins 10 milliards de dollars...

Difficile d'estimer l'impact financier réel du fiasco du Galaxy Note 7. D'autant plus que Samsung se garde bien de communiquer sur le sujet, même si les pertes représenteraient un "montant qui brise le cœur" selon Koh Dong-jin, le chef de l'activité mobile.

D'après les estimations des analystes, ce désastre industriel pourrait coûter jusqu'à 10 milliards de dollars. Cette somme englobe à la fois le coût du premier rappel, ceux liés à l'arrêt "définitif" de la production, la gestion de la relation-client (indemnisation des utilisateurs ou échange avec un autre produit), le manque à gagner (Samsung comptait sur ce modèle pour concurrencer sérieusement l'iPhone 7) et l'impact sur les ventes des autres smartphones du groupe.

A ce coût doit s'ajouter l'impact boursier. Dès que Samsung a acté l'échec de son produit, mardi matin, la valeur de l'action a plongé de 8% à la Bourse de Séoul. Soit presque 14.700 milliards de wons (près de 12 milliards d'euros) partis en fumée. Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres. A Wall Street, le titre Apple profitait des déboires de son concurrent, initialement rapportés par des médias sud-coréens lundi, pour inscrire un plus haut depuis 10 mois.

... mais un impact à relativiser à l'échelle du groupe

Si l'impact économique devrait donc être considérable, il convient toutefois de le relativiser. Le crash du Galaxy Note 7 ne signifie pas que Samsung est en danger. Vendredi dernier, la firme a d'ailleurs publié des prévisions de résultats trimestriels encore meilleures que ceux du trimestre précédent. Pour le trimestre en cours, Samsung table sur des bénéfices de 6,2 milliards d'euros (+5,6% sur un an). Si l'activité de la division mobile se taille la part du lion et tire la croissance du groupe, cette croissance provient aussi des modèles d'entrée et de milieu de gamme, malgré la concurrence acharnée des constructeurs chinois (dont Huawei et Oppo) sur ces segments.

De plus, le groupe ne dépend pas uniquement du mobile. La division des semi-conducteurs (Samsung produit des composants pour de nombreuses autres marques, reste le n°2 mondial du secteur et domine le marché des puces mémoire), et celle de l'électronique grand public représentaient toujours 24,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires au deuxième trimestre, contre 21,4 milliards d'euros pour l'activité mobile.

Des conséquences de long-terme sur l'image et la réputation de Samsung

Reste que Samsung devra faire oublier cet épisode désastreux pour repartir de l'avant. Pas une mince affaire. La marque peut faire son deuil, du moins pour un temps, des comparaisons flatteuses avec Apple. Car désormais, plus personne ne conteste à la firme de Tim Cook son statut de leader de l'innovation dans le smartphone haut de gamme. Eux au moins commercialisent des modèles qui fonctionnent...

Le pire pour Samsung serait que la crise du Note 7 rejaillisse sur les ventes de tous ses autres modèles de la gamme Galaxy. "Les conséquences du rappel initial auraient été importantes mais limitées, car cela aurait été perçu comme une exception, une erreur. Mais l'arrêt définitif pourrait marquer le début d'une crise de confiance envers la marque", ajoute Thomas Husson. "C'est le pire scénario, estime, de son côté, Jan Dawson, analyste chez Jackdaw Research. Perdre deux versions d'un même produit ressemble à de la négligence".

Aujourd'hui, les analystes s'accordent pour dire que Samsung ne tentera pas de relancer le Galaxy Note 7, mais va plutôt travailler sur un nouveau produit. Quoi qu'il en soit, il n'aura pas le droit à l'erreur. Et en attendant que la nouveauté chasse l'humiliation, il va falloir faire le dos rond.

Sylvain Rolland

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Commentaires 3
à écrit le 13/10/2016 à 8:16
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je crois que certains ( y compris ici ) ont voulu " enterrer " Apple trop vite ? non ?

à écrit le 12/10/2016 à 14:42
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Quelqu'un peux m'expliquer comment est calculé cette somme de 10 milliard

à écrit le 12/10/2016 à 9:33
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C'est comme s'ils avaient intégré un Drahi en sommes, c'est vrai que ça commence à faire beaucoup !

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