SFR au centre d'un nouveau big bang

Numericable est sorti du bois le premier : un rapprochement avec SFR l'intéresse. Alors que le gouvernement n'est plus hostile à une consolidation du secteur, plusieurs scénarios de fusion sont possibles, générant des milliards d'euros de synergies.
Delphine Cuny
Olivier Roussat, PDG de Bouygues Telecom (à gauche) et Jean-Yves Charlier, PDG de SFR, après leur accord du 31 janvier dernier sur la mise en commun d'une partie de leur réseau d'antennes-relais.

SFR, le numéro deux français des télécoms, va-t-il poursuivre son chemin en solo ou en duo ? La réponse devrait être connue sous un mois au plus tard. Vivendi avait prévu une scission par introduction en Bourse de sa filiale à 100% fin juin, dont elle continue les préparatifs, officiellement.

Mais le principal actionnaire de Numericable, Patrick Drahi, est sorti du bois, revenant à la charge après des discussions préliminaires restées sans suite à l'automne 2012 : il a proposé, il y a deux semaines, un rapprochement du câblo-opérateur et de SFR, donnant ainsi le coup d'envoi de la course à la consolidation... et d'un bras de fer entre milliardaires des télécoms.

Deux ans après l'arrivée fracassante de Free Mobile, les acteurs du secteur sont tentés par des mariages, pour restaurer leurs marges. Et le gouvernement n'y est plus hostile : Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, a même parlé « d'organiser les ententes » pour sortir de la spirale de la baisse des prix.

« Il n'y a pas de chiffre magique, quatre ou trois opérateurs, tant que l'emploi et l'investissement sont préservés », explique-t-on à Bercy.

Ce qui est loin d'être acquis, comme dans toute fusion.

Le 31 janvier dernier, SFR s'est déjà allié à Bouygues Telecom, avec lequel il va mettre en commun une grande partie de ses antennes-relais, afin de réduire les coûts et les investissements. Et Martin Bouygues est prêt à aller plus loin pour renforcer sa filiale, quitte à s'endetter et à transformer le profil de son groupe, où les télécoms prendraient plus de poids que la construction.

L'Autorité de la concurrence a cependant indiqué qu'un mariage entre opérateurs mobiles était a priori difficilement envisageable. Free, qui avait discuté fusion avec SFR et sa maison mère à l'automne 2012, dans l'espoir de récupérer un réseau mobile national, sans terminer de déployer le sien, et d'économiser ainsi les 700 millions d'euros d'itinérance versés par an à Orange, en avait été dissuadé par le gendarme de la concurrence.

Le groupe de Xavier Niel pourrait revenir sur le dossier s'il s'avérait qu'une union de Bouygues et SFR était possible. Des fonds, comme CVC Capital Partners, pourraient entrer dans la danse.

Seul Orange, au poids trop important tant dans le fixe que dans le mobile, est hors jeu. Un rapprochement de SFR avec un autre acteur, une opération à 15 milliards d'euros pouvant générer 3 à 4 milliards de synergies, aurait néanmoins un impact majeur sur tout le secteur, y compris sur l'opérateur historique, qui serait privé d'une partie des recettes du dégroupage et serait rétrogradé au rang de numéro deux. Il pourrait provoquer par ricochet d'autres alliances, tel qu'un rachat de Bouygues Telecom par Free, mais aussi une remontée des prix, comme cela s'est produit en Autriche en un an depuis que le marché mobile est repassé de quatre à trois acteurs.

Orange, trop lourd, est hors jeu

Cependant, « SFR est tellement gros dans le mobile qu'il peut difficilement fusionner avec un autre opérateur, sans de lourdes contreparties », relève un dirigeant du secteur : le numéro deux français des télécoms, avec ses 21 millions de clients dans le mobile, 5 millions de moins qu'Orange, pèse près d'un tiers du marché. Un rapprochement avec le numéro trois, Bouygues Telecom, ferait grimper sa part de marché à près de 45 % et risquerait de marginaliser Free.

« Dans aucun pays du monde, le deuxième et le troisième d'un marché mobile n'ont fusionné », relève un banquier.

Il faudrait donc prévoir des « remèdes » contre les atteintes à la concurrence, tels que la revente d'un des deux réseaux mobiles et d'une partie des fréquences, qui pourraient limiter l'intérêt de l'accord et surtout retarder sa mise en oeuvre effective, une incertitude juridique qui déplaît fort au conseil de surveillance de Vivendi. Même en se mariant avec le quatrième opérateur, Free, SFR deviendrait numéro un du mobile devant Orange, mais aussi numéro un dans le fixe, laissant planer le risque d'un duopole affaiblissant Bouygues Telecom, déjà considéré comme l'homme malade du secteur, bien qu'il soit redevenu légèrement bénéficiaire en 2013.

Avec Numéricable, SFR fait l'économie de 1,2 milliards

A contrario, un rapprochement avec Numericable ne poserait pas de grave problème de concurrence et obtiendrait facilement un feu vert réglementaire. Le câblo-opérateur est à peine présent dans la téléphonie mobile, en tant qu'opérateur virtuel (MVNO) sur les réseaux de Bouygues et de SFR : il propose des forfaits uniquement à ses abonnés et compte 170.000 lignes.

Même dans le fixe, sa part de marché dans le haut débit est modeste, de l'ordre de 5 %, quand SFR se situe à 25 %, au troisième rang derrière Free. Numericable est même derrière Bouygues Telecom, arrivé tardivement dans le fixe, qui vient de passer le cap des 2 millions d'abonnés à sa Bbox, dont 360.000, parfois sans le savoir, sont en fait sur le réseau du câblo-opérateur. En revanche, il est le leader du très haut débit (plus de 30 mégabits par seconde), avec 1,3 million de clients, loin devant Orange, à 320.000, et SFR, à 197.000.

À base de fibre optique jusqu'au pied des immeubles et de câble coaxial ensuite, le réseau rénové du « câblo » est en fait quasiment vide : il dessert environ 10 millions de foyers raccordés en France mais ne compte que 1,6 million d'abonnés, dont une partie sous marque blanche Bouygues et d'autres seulement à la TV. Il souffre de la concurrence des offres couplées ADSL-mobile moins chères des opérateurs intégrés (le quadruple play, comme Open d'Orange), mais aussi d'une image de marque durablement affectée par les perturbations intervenues au moment de la fusion de Noos et de Numericable en 2005-2006 (service clients aux abonnés absents, erreurs de facturations, etc.).

On comprend mieux la détermination de l'actionnaire de Numericable à récupérer une marque comme SFR pour mieux remplir ses tuyaux. Il envisage même la disparition de la marque Numericable. De son côté, s'il se mariait avec le câblo-opérateur, SFR ferait l'économie d'une partie des 1,2 milliard d'euros de frais de dégroupage et d'interconnexion qu'il paie à Orange chaque année et arrêterait de déployer de la fibre optique (150 millions par an). Il se renforcerait aussi sur le marché des entreprises avec l'apport de Completel, mais le mobile ne serait plus la priorité.

La question de l'emploi, cruciale mais pas décisive

Reste la question épineuse, cruciale, de l'emploi. Vivendi affirme que l'un des critères de choix entre les offres, outre les aspects financiers (valorisation, partie en cash, durée de conservation des parts dans l'entité fusionnée), la gouvernance équilibrée et le projet industriel, sera « l'absence de casse sociale ».

Or, SFR compte environ 9.000 salariés, comme Bouygues Telecom, qui est « presque le doublon exact de SFR : tous les services, marketing, finance, informatique, sont en double », relève une source interne.

Reçu par François Hollande, Martin Bouygues a fait valoir sa « tradition de dialogue social, sa culture aux antipodes du cost-cutting à tout va », et pris des engagements sur l'emploi et sur l'investissement, dans la fibre et les fréquences mobiles. Le groupe Numericable, qui emploie 2 400$ personnes, présente moins de doublons, mais son actionnaire a procédé à des plans sociaux massifs au moment du rachat de Noos, notamment en 2005.

Également reçu à l'Élysée, Patrick Drahi, dont le statut de résident fiscal suisse alimente les craintes et les fantasmes, a tenté de rassurer sur ses intentions et s'est engagé à ne pas licencier. Il a même joué la carte du patriotisme économique, cher à Arnaud Montebourg, en affirmant qu'il aurait recours à des industriels français comme Alcatel-Lucent ou Technicolor.

Le gouvernement a transmis à Vivendi ses « préoccupations », l'emploi, la capacité à investir dans l'outil industriel et la qualité du service aux consommateurs, sans exprimer officiellement de préférence.

Mais il pencherait plutôt pour un attelage SFR-Bouygues, qui recèle la promesse d'un marché assaini du mobile. Il se défend de toute velléité de « Meccano » industriel, d'ingérence dans la vie des affaires d'entreprises privées, mais stratégiques, dans un secteur fortement régulé.

L'Autorité de la concurrence sera « l'arbitre impartial » de cette recomposition du secteur, le gendarme des télécoms, l'Arcep étant consulté. Mais, in fine, le conseil de surveillance de Vivendi reste souverain et devra trancher entre intérêts de court terme, la rentrée de cash pour les actionnaires, et vision de long terme, l'avenir de SFR. Il se dit que le président du conseil, Jean-René Fourtou, serait prêt à signer avec Patrick Drahi, mais que Vincent Bolloré, premier actionnaire et membre du conseil, ne serait pas aligné sur cette position... La réaction des marchés financiers pourrait aussi peser sur la décision.

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>>> FOCUS [INFOGRAPHIE] Les grands acteurs des télécoms français

 

 

Delphine Cuny

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