Internet des objets : Sigfox à l’heure de la rationalité

Le spécialiste de l’Internet des objets (IoT) s’est longtemps rêvé en géant mondial du secteur, mais la croissance n’a pas été au rendez-vous. L’an dernier, le groupe toulousain a essuyé une sévère restructuration. Le nouveau PDG, Jeremy Prince, a revu les ambitions à la baisse. Il espère toujours profiter, un jour, d’une massification des objets connectés dans tous les secteurs de l’économie.
Pierre Manière
Jeremy Prince, le PDG de Sigfox.
Jeremy Prince, le PDG de Sigfox. (Crédits : DR)

C'est l'histoire d'une révolution qui n'a pas eu lieu. Ou du moins pas encore. Dans le monde de l'Internet des objets (IoT), le toulousain Sigfox est un précurseur. Fondé en 2009 par Christophe Fourtet et Ludovic Le Moan, cet opérateur a développé une technologie novatrice, capable de connecter des myriades d'objets à Internet. Sigfox n'a pas grand-chose à voir les puissants réseaux cellulaires, comme la 4G ou la 5G, utiles pour transférer des monceaux de données en un clin d'œil. A l'opposé, il est plutôt « le Twitter des objets connectés »dixit Anne Lauvergeon, l'ex-patronne d'Areva, qui a longtemps aidé la startup à lever des fonds. En clair, Sigfox permet aux objets de communiquer via des messages très courts, grâce à des capteurs à bas coût, et surtout très peu énergivores.

Pendant ses premières années, Sigfox était promis à un bel avenir. Il a multiplié les levées de fonds. A l'époque, son PDG, Ludovic Le Moan, avait de beaux arguments pour convaincre des investisseurs aussi prestigieux que GDF Suez, Air Liquide, Eutelsat ou Telefonica de passer à la caisse. Le dirigeant a longtemps présenté Sigfox comme l'acteur de référence du monde des objets connectés. Celui qui allait permettre aux entreprises, en connectant leurs actifs, de révolutionner leurs processus industriels, leur logistique, comme de lancer de nouveaux services tout en réalisant, au passage, de grosses économies. A l'en croire, Sigfox avait alors toutes les cartes en main pour devenir un champion mondial de l'IoT. En clair un « Gafa », mais français pour une fois.

Tous les analystes se sont trompés

L'ambition peut paraître démesurée. Mais comment lui donner tort ? Au moins jusqu'au milieu des années 2010, tous les analystes étaient unanimes, et promettaient monts et merveilles au marché de l'IoT. Le secteur était perçu comme un eldorado. En 2013, le think tank Idate ne pariait-il pas sur 80 milliards de dispositifs communicants à l'horizon 2020 ? Le géant américain des matériels télécoms Cisco, lui, évoquait un marché de 14.400 milliards de dollars d'ici à 2022. Aujourd'hui, ces chiffres font sourire. En la matière, tous les analystes se sont copieusement trompés. L'explosion du nombre d'objets connectés n'a pas eu lieu, et encore moins dans ces proportions.

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Pour Sigfox, la chute a été rude. Lui qui, en 2019, espérait encore connecter 1 milliard d'objets sur son réseau n'en compte, aujourd'hui, qu'un peu plus de 19 millions. Faute d'avoir atteint l'équilibre financier, l'opérateur est passé, l'an dernier, par la case restructuration. Après un plan social, l'entreprise, qui comptait 400 salariés, n'en dispose plus qu'environ 300. Ludovic Le Moan, son emblématique patron, a pris la porte. C'est Jeremy Prince, ancien président de Sigfox USA et membre du comité exécutif, qui a pris le relais.

« Garantir le temps long »

Sous sa coupe, l'objectif du groupe est toujours de miser sur l'arrivée du « massive IoT », argue ce franco-britannique. Mais c'en est fini des déclarations tapageuses. Pas question de se mettre encore le couteau sous la gorge en claironnant des perspectives extraordinaires. Place, désormais, à une certaine « rationalité », affirme Christophe Fourtet, père la technologie Sigfox et directeur technique du groupe. « Très clairement, nous assistons aujourd'hui au décollage du marché de l'IoT, assure Jeremy Prince. Sa croissance est exponentielle, c'est une certitude. » Sa priorité est, dès lors, d'assurer la « pérennité » de Sigfox, qui ne publie plus son chiffre d'affaires depuis 2018.

Pour « garantir le temps long », affirme Christophe Fourtet, Sigfox s'est « réorganisé »« Nous ne misons pas que sur les revenus de nos abonnements, explique-t-il. Nous faisons autant d'argent, sinon plus, à accompagner nos clients dans la mise en place de leurs solutions IoT. »

Cette activité doit aussi permettre, vraisemblablement, de compenser en partie la baisse des revenus liés à l'expansion du réseau de Sigfox à l'international. Pendant plusieurs années, le groupe a étendu son empreinte dans 75 pays, à l'exception notable de la Chine. Son modèle consistait à trouver, dans chaque marché national, un partenaire qui bénéficiait de l'exclusivité. Sigfox en retirait des revenus, notamment en fournissant les antennes nécessaires au déploiement du réseau.

De gros industriels se convertissent à l'IoT

Jeremy Prince affiche sa confiance dans son nouveau business model, comme dans l'évolution favorable du marché. Selon lui, l'IoT intéresse désormais « les gros acteurs, et plus seulement les petites sociétés innovantes ». En témoignent, selon lui, les importants contrats de Sigfox avec Michelin, le suédois Verisure, l'allemand DHL ou le japonais NICIGAS.

Surtout, Sigfox s'est recentré sur deux segments où il estime que sa technologie est plus efficace que celles de ses concurrents, et notamment les solutions des opérateurs télécoms traditionnels. Il mise d'une part sur le tracking, consistant à localiser des objets pour améliorer les flux logistiques, et, d'autre part, sur le metering, pour effectuer, par exemple, des relevés à distance sur des réseaux d'eau ou d'énergie. Sigfox a notamment connecté les chariots de DHL servant au transport des colis. Pour NICIGAZ, le groupe effectue des relevés automatiques des compteurs de gaz.

Ici, la frugalité énergétique et le faible coût de la solution de Sigfox constituent un atout. A la différence de la 5G, qui serait, elle, davantage adaptée à des usages plus « datavores », comme la voiture autonome. « Il est tout à fait possible, en soit, de tracker une palette d'approvisionnement en 5G, explique Jeremy Prince. Mais c'est comme pêcher à la grenade. Cela fonctionne et les poissons remontent à la surface. Mais ce n'est pas du tout optimisé... »

Plus de droit à l'erreur

Cela dit, Sigfox ne pourrait-il pas pâtir d'une méfiance des clients, dont certains ne dissimulent pas leur inquiétude pour l'avenir du groupe au regard de ses difficultés récentes ? Jeremy Prince comme Christophe Fourtet ne cachent pas qu'ils sont confrontés à ces questionnements. Mais ils soulignent qu'il existe « un plan de continuité » si les choses devaient mal tourner. « Même dans le pire des scénario, Sigfox existera toujours d'une manière ou d'une autre, juge le patron du groupe. Pour certains usages, cette technologie est absolument nécessaire. » Désormais, Sigfox n'a, quoi qu'il en soit, plus le droit à l'erreur.

Pierre Manière

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Commentaires 3
à écrit le 11/01/2022 à 9:00
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Qui va acheter des objets plus chers pour se faire espionner par eux ? Soit il faut les vendre moins chers soit ça va être compliqué le business du moins le temps que la société marchande nous envahisse avec le concept parce qu'ils y tiennent telleme...

à écrit le 11/01/2022 à 6:12
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La French Tech, quoi ... dont l'unique but est de se faire racheter très cher par un américain ou un chinois. Aucune notion de souveraineté ou d'indépendance là dedans.

à écrit le 10/01/2022 à 18:27
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Les éternelles innovations ne sont pas des progrès! C'est de l'aliénation!

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