L'épidémie de Covid-19 a semé la zizanie. Avant la crise, l'arrivée de la 5G en France était toute tracée. Les fréquences dédiées à cette nouvelle technologie de communication mobile devaient être attribuées aux opérateurs au printemps. Dans la foulée, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free devaient en débuter le déploiement et lancer de premières offres dans au moins deux villes d'ici à la fin de l'année. Mais la crise sanitaire a tout chamboulé. Les enchères pour les fréquences 5G, prévues fin avril, n'ont pas pu se dérouler comme prévu. Surtout, des questionnements concernant l'utilité de la 5G, sa dangerosité pour la santé et son impact sur l'environnement, ont surgi.
De fait, à quoi bon se presser à déployer, à coups de milliards d'euros, cette technologie alors que dans les campagnes, de nombreux bourgs et villages ne disposent toujours pas de téléphonie mobile ? Ce problème des inégalités d'accès au numérique n'est pas nouveau. Mais il est devenu ultrasensible pendant le confinement. Contrairement aux habitants des villes, beaucoup de foyers ruraux ne pouvaient ni travailler à distance, ni accéder aux téléconsultations médicales, ni télécharger des cours pour les enfants ou faire leurs courses en ligne. En parallèle, la 5G a été accusée de tous les maux. En Grande-Bretagne, des complotistes ont brûlé des pylônes de téléphonie, accusées de propager le virus. En France, des antennes ont aussi été détruites. Le tout sur fond d'inquiétudes de certaines associations, comme Agir pour l'environnement et Priartem, qui redoutent les effets de la 5G sur la santé et l'environnement.
Une technologie « loin d'être mature »
Dans ce contexte, certains opérateurs ont appelé le gouvernement et l'Arcep, le régulateur des télécoms, à revoir le calendrier d'arrivée de la 5G. À la différence d'Orange et de Free, qui souhaitent lancer la 5G sans traîner, SFR et surtout Bouygues Telecom ont demandé un report des enchères de fréquences. Ce dernier souhaitait repousser l'attribution fin 2020, voire début 2021. Le 22 mai, Martin Bouygues, le PDG de Bouygues Telecom, dont les sorties dans la presse sont rares, s'est fendu d'une tribune dans Le Figaro. À l'en croire, reporter les enchères de quelques mois permettrait au secteur d'accélérer la couverture des zones blanches, où le mobile ne passe pas. Quelques jours plus tard, Richard Viel, le directeur général de Bouygues Telecom, suggérait qu'un tel programme pourrait être financé via une ristourne sur les fréquences 5G.
Bouygues Telecom a clamé, en outre, que la France ne pâtirait pas d'un report de lancement de la 5G. Selon Martin Bouygues, cette technologie est « loin d'être mature », et ne servira, au début, qu'à écouler plus de trafic mobile dans les grandes villes. « Pour le grand public, les usages potentiellement innovants n'arriveront pas avant 2023 ou 2024 », a-t-il lancé. Il est vrai que ce n'est qu'à cet horizon que la 5G disposera notamment d'une très faible latence, c'est-à-dire la réponse du réseau lorsqu'on le sollicite. Une caractéristique très attendue dans des domaines comme la voiture autonome, les usines connectées ou les opérations chirurgicales à distance.
Lors d'une audition au Sénat, le 10 juin, l'état-major de Bouygues Telecom en a remis une couche. Martin Bouygues a argué qu'un report des enchères permettrait, aussi, de ne pas « escamoter le débat » sur les risques liés aux ondes et sur l'impact environnemental de la 5G. Directeur général délégué de Bouygues et président de Bouygues Telecom, Olivier Roussat, a même assuré que la 5G accroîtra sans nul doute la consommation énergétique du secteur ! D'après lui, il est vrai que cette technologie « permet de transporter des données avec moins d'énergie ». Mais comme la 5G « augmente considérablement les débits », et favorise ainsi les usages « datavores », la consommation d'énergie des télécoms progressera forcément « de façon importante ». Sur ce point, « nous n'avons pas la pierre philosophale », a-t-il renchéri.
Des déploiements coûteux
Si le sujet préoccupe autant Bouygues Telecom et SFR, c'est parce que la 5G va coûter très cher. En fréquences, d'une part, sachant que leur prix minimum a été fixé à 2,17 milliards d'euros par l'État. Et d'autre part, en déploiements d'antennes à travers tout l'Hexagone. Dans sa tribune, Martin Bouygues a d'ailleurs appelé à une révision du prix des fréquences. « Les opérateurs télécoms peuvent-ils raisonnablement acheter des fréquences dont les prix de base ont été fixés au début de l'année, en pleine euphorie économique, alors que la croissance pour 2020 s'annonce à - 8 % ? », a lancé le dirigeant, avant que Bercy ne révise ce chiffre à - 11 %.
Face à cet intense lobbying de Bouygues Telecom et de SFR, le gouvernement a répondu de manière ferme. Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d'État à l'Économie, a déclaré, début juin, qu'il était hors de question que la France prenne davantage de retard dans le déploiement de la 5G. La ministre a plaidé pour des enchères en septembre, arguant que cette technologie était essentielle « pour relocaliser et remuscler l'industrie ». Pas question, pour Bercy, que la France décroche dans ce domaine, alors que « les États-Unis, la Chine et la Nouvelle-Zélande font de la 5G un des éléments de leur relance [...] et appuient sur l'accélérateur ». À en croire la secrétaire d'État, la 5G constitue une fondation essentielle à la compétitivité économique du pays dans les années à venir. Agnès Pannier-Runacher a également balayé l'idée d'une renégociation du prix des fréquences.
Quelques jours plus tard, l'Arcep s'est mis dans la roue de l'exécutif. Le régulateur des télécoms a précisé que les enchères des fréquences 5G se dérouleraient entre le 20 et le 30 septembre. Mais désormais, les opérateurs ne seront plus contraints d'offrir, ni de déployer, un service 5G dans au moins deux villes d'ici à la fin de l'année. Pas question, souligne l'Arcep, de mettre le couteau sous la gorge des industriels. Libre à SFR et à Bouygues Telecom de ne pas proposer tout de suite cette technologie si elle ne constitue pas, à leurs yeux, une priorité.
« La 5G agglomère plusieurs craintes »
En matière de couverture 4G, notamment dans les zones blanches, pas question non plus de lancer un nouveau programme. Et encore moins de le financer soit en baissant le prix des enchères 5G, soit en rognant les obligations de déploiement de cette nouvelle technologie. Sébastien Soriano a rappelé que les opérateurs sont déjà impliqués dans un programme, baptisé « New Deal », visant à couvrir les zones blanches.
« Ce projet est ambitieux, bien fait, bien conçu, bien calibré, a déclaré le chef de file de l'Arcep en conférence de presse le 16 juin. Je ne crois pas à la capacité du secteur de faire beaucoup plus que le New Deal. »
En revanche, la question de l'impact de la 5G et des réseaux télécoms sur l'environnement préoccupe l'Arcep.
« À ce sujet, nous voulons ouvrir un nouveau chapitre de la régulation, a indiqué Sébastien Soriano. La 5G agglomère plusieurs craintes. Certaines sont peut-être exagérées : par le passé, le secteur des télécoms a réussi à contenir sa consommation énergétique... Néanmoins, ces préoccupations sont légitimes. »
L'Arcep a ainsi lancé une « plateforme de travail » ouverte à tous les acteurs économiques, politiques et associatifs. Son objectif est de récolter un maximum d'informations sur l'impact environnemental des réseaux, puis d'élaborer des outils de mesures fiables (des « baromètres verts ») et de partager des bonnes pratiques.
Bercy, de son côté, a lancé une mission pour répondre aux craintes sur la 5G. Son objectif : faire le point sur les meilleures pratiques dans les pays qui ont déjà débuté les déploiements, et surtout rassurer la population. Concernant la consommation énergétique, le gouvernement se veut confiant. En 2025, elle devra être équivalente à celle d'aujourd'hui, ambitionne Bercy. Reste que les ONG anti-5G, qui souhaitaient un moratoire sur le déploiement de cette technologie fustigent une « surdité démocratique ». Présentée depuis des années comme une révolution technologique, la 5G n'aura jamais suscité autant de controverses.
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