TousAntiCovid : une utilité "marginale" d'après l'étude d'impact, faut-il l'arrêter ?

Avec plus d'un an de retard, le ministère de la Santé a enfin publié le rapport d'impact de l'application TousAntiCovid, chargé d'étudier l'utilité et l'efficacité du dispositif dans la lutte contre la propagation de l'épidémie de Covid. Problème : les auteurs de cette évaluation se basent sur une étude de Kantar Public qu'ils qualifient eux-mêmes de "non-représentative" pour juger de l'utilisation et de l'appréciation de l'app, et manquent de données cruciales pour correctement analyser le dispositif de contact tracing. L'utilité de TousAntiCovid dans la lutte contre la propagation du Covid, sa mission première, est donc qualifiée de "marginale", et au mieux "complémentaire" des autres dispositifs au plus fort de la crise Omicron. Dans un contexte de polémiques depuis l'origine du projet au printemps 2020, de fin annoncée du pass vaccinal en mars prochain, de coûts qui explosent et d'une étude d'impact inconsistante, faut-il arrêter TousAntiCovid ?
Sylvain Rolland
(Crédits : DR)

Il était temps ! Alors que la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) avait demandé au gouvernement de fournir une étude d'impact analysant l'utilité de l'application TousAntiCovid avant janvier 2021, celui-ci s'est enfin exécuté... avec plus d'un an de retard. En catimini, sans aucune communication ni information du public, le ministère de la Santé et le secrétariat d'Etat à la Transition numérique ont fini par publier, en début de semaine, le fameux rapport tant attendu.

Pour le trouver, il faut vraiment le chercher. Sur le site dédié à TousAntiCovid, il faut d'abord cliquer sur la page "Ressources" située tout en bas de la page d'accueil, puis, sur cette nouvelle page, "scroller" à nouveau l'écran jusqu'en bas. Le Rapport 2020-2021, de 32 pages, apparaît enfin en-dessous des dossiers de presse, des kits de communication et de la vidéothèque. L'objectif affiché : "évaluer l'utilisation de l'application TousAntiCovid et son appropriation par les utilisateurs, mais également l'efficacité des fonctionnalités de contact tracing". Pour rappel, la Cnil avait conditionné son approbation du dispositif StopCovid (la première version de l'application du 2 juin 2020) et de TousAntiCovid (son successeur à partir du 22 octobre 2020) à la réalisation d'une étude d'impact devant prouver que l'outil, très intrusif car collectant les données de déplacement des Français, était utile et proportionné pour lutter contre la propagation de l'épidémie.

Lire aussi 10 mnComment le gouvernement manipule les chiffres de Tous Anti-Covid

Un rapport incomplet et biaisé

Disons-le tout net : ce rapport d'activité est un simulacre d'évaluation. Les données sur lesquelles il se base sont incomplètes et biaisées, comme le rapport l'admet lui-même page 29 dans la section "Limites et biais de l'étude". Ainsi, le rapport déduit l'utilisation et l'appropriation de TousAntiCovid par les utilisateurs sur la base d'une étude qualitative réalisée par Kantar Public en octobre 2021.

Problème :

« Le panel interrogé est constitué d'utilisateurs assidus de l'application, ne pouvant pas constituer par conséquent un échantillon représentatif des comportements de l'ensemble de la population en termes d'utilisation et d'appréciation de l'application, s'agissant d'utilisateurs plutôt assidus et portant un regard globalement positif sur TousAntiCovid ».

Autrement dit, le rapport d'activité de TousAntiCovid précise lui-même que les conclusions qu'il tire sur l'utilisation et l'appréciation de l'application par ses utilisateurs, se basent sur une étude non-représentative...

Autre anomalie, ce rapport est censé évaluer l'application du 2 juin 2020 à fin 2021, mais les différentes sources sur lesquelles il s'appuie se basent sur des petites périodes, et particulièrement entre septembre et décembre 2021. « La période couverte par les analyses statistiques se situe sur une période de rentrée et de début de reprise épidémique, puis de forte dégradation épidémique. Elles ne reflètent pas nécessairement l'usage et l'efficacité de l'application en période de très faible circulation du virus », est-il écrit.

Lire aussi 11 mnTousAntiCovid : le grand imbroglio du traçage numérique des contacts

Manque de données cruciales sur l'utilisation du Bluetooth

Encore plus étonnant, ce rapport est censé évaluer le dispositif de contact tracing, mais là encore il lui manque une donnée cruciale : l'utilisation du Bluetooth. C'est le Bluetooth qui permet aux smartphones de communiquer entre eux, donc de « se reconnaître » pour que le système prévienne ceux que l'on croise en cas d'infection au Covid. Pour que le contact tracing fonctionne, il faut que le Bluetooth soit activé sur le téléphone lors de chaque déplacement. Sur iPhone, en raison des restrictions techniques imposées par Apple, il faut même que l'application soit ouverte et reste au premier plan sur l'écran d'accueil, car TousAntiCovid a choisi un protocole technique, baptisé ROBERT, incompatible avec les standards de sécurité d'Apple. Sur certains appareils iPhone et Android anciens, le contact tracing ne fonctionne pas ou mal. Bref, connaître l'utilisation exacte du Bluetooth est crucial pour comprendre l'utilité du dispositif. Or :

« Les données relatives au nombre d'activations/désactivations du Bluetooth (BLE) par utilisateur TousAntiCovid ne sont pas conservées et ne permettent pas d'estimer précisément le nombre d'utilisateurs utilisant activement la fonctionnalité de contact tracing par Bluetooth », indique l'étude.

Traduction : on ne connaît pas la proportion d'utilisateurs qui actionnent correctement le Bluetooth ! Et pourquoi ces données ne sont-elles pas conservées ? En raison « des règles observées en matière de protection des données dans le cadre du protocole ROBERT », précise l'étude.

Sauf que ces règles n'obéissent à aucune exigence légale. S'imposer une telle restriction paraît même contre-productif aux développeurs d'applications contactés par La Tribune. « Les données techniques d'utilisation d'une application ne sont pas des données personnelles au sens RGPD du terme qui nécessitent un consentement éclairé. Tout développeur a le droit d'y accéder, il est même possible de savoir très précisément chacune des actions réalisées à l'intérieur d'une application, y compris un clic, un swipe, le nombre de secondes passées sur une page... Ce sont des données techniques, anonymisées, qui servent à comprendre l'utilisation de l'outil d'un point de vue expérience utilisateur », nous précise une entreprise nantaise spécialisée dans la conception d'applications. Bref, s'interdire d'utiliser des données techniques comme le fait TousAntiCovid, n'est absolument pas nécessaire ni justifié au titre de la protection des données. Et rend l'étude d'impact forcément incomplète.

L'utilité "marginale" du contact tracing numérique dans la lutte contre le Covid

Pour ne rien arranger, une autre donnée indispensable manque à l'appel : le nombre d'utilisateurs actifs par jour. Car le contact tracing doit être quotidien, sur chaque déplacement, pour être une méthode efficace de lutte contre la propagation de l'épidémie de Covid. C'est une donnée théoriquement accessible à n'importe quel développeur d'application qui le souhaite, mais que le ministère de la Santé indique ne pas détenir pour TousAntiCovid, en brandissant encore une fois l'argument contestable de la protection des données alors que la finalité du traitement de ces données techniques n'est pas commerciale.

On pouvait espérer que l'étude d'impact aurait accès à ces chiffres. Ce n'est pas le cas. Le rapport se contente de reprendre des chiffres déjà connus : 36,9 millions d'enregistrements nets au 30 novembre 2021, dont 2,8 millions pour StopCovid entre le 2 juin et le 22 octobre 2020, et 34,4 millions depuis le lancement de TousAntiCovid. Parmi ces 36,9 millions, 33,5 millions peuvent être considérés comme des utilisateurs actifs, dans le sens d'au moins une ouverture de l'application par mois. Mais cette période d'un mois est beaucoup trop importante pour juger d'un outil qui doit être utilisé quotidiennement pour être efficace.

Malgré tout, le rapport dispose de certaines données intéressantes, qui permettent de juger de l'efficacité du contact tracing par rapport au tracing manuel. Ainsi, seulement 2,3% des utilisateurs se déclarant positifs au Covid-19 dans l'application, avaient été notifiés auparavant comme contacts à risque par l'app. En comparaison, dans le cadre du contact tracing manuel mis en place par l'Assurance Maladie, la proportion de personnes testées positives qui avaient été préalablement identifiées comme cas contact oscille entre 17% et 24% selon Santé publique France. « La détection de contacts à risque via TousAntiCovid est moins précise », conclut l'étude.

Les personnes notifiées par TousAntiCovid sont également moins enclines à se faire tester : 55% seulement, contre 83% des personnes informées par l'Assurance maladie, d'après une étude de l'Université Grenoble-Alpes. L'étude souligne également qu'en rapportant le taux d'incidence de l'épidémie au nombre d'enregistrements dans TousAntiCovid, on peut estimer à 38% le nombre d'utilisateurs testés positifs qui vont se déclarer dans l'application. Là encore, un chiffre décevant étant donné toute la communication réalisée pour inciter les malades à se déclarer dans l'app. Et de conclure, mi-figue mi-raisin :

« Le contact tracing mis en œuvre via l'app TousAntiCovid apparaît donc comme un outil complémentaire aux autres dispositifs de contact tracing mis en place, qui peut constituer un levier efficace de lutte contre l'épidémie si les utilisateurs s'en emparent davantage, à savoir : s'ils activent le Bluetooth, s'ils utilisent l'application régulièrement, se font tester en cas de notification et se déclarent dans l'application s'ils sont testés positifs ».

Mais ces conditions semblent remplies de manière insatisfaisante, ce qui amène l'étude à considérer que la fonctionnalité de contact tracing numérique est d'une "utilité marginale dans le dispositif global de lutte contre l'épidémie". Point positif : elle reste utile "dans le cadre d'un pic de contaminations", notamment quand le contact tracing manuel est débordé par l'avalanche de cas, comme ce fut le cas à cause du variant Omicron. « Une meilleure exploitation des fonctionnalités de l'application pourrait avoir un rôle indéniable en termes de contact tracing, à condition que les utilisateurs se saisissent pleinement de cet outil », est-il écrit.

L'accès au Pass Sanitaire, principale raison de l'utilisation de TousAntiCovid

Contactée par La Tribune, la Cnil a fait savoir que l'étude était toujours « en cours d'analyse ». De son côté, le ministère de la Santé se dit « conscient des biais » de l'étude Kantar sur l'appréciation de l'app, et se contente des aspects positifs relevés dans le rapport, c'est-à-dire le fait que le dispositif de contact tracing soit considéré comme "complémentaire" des autres gestes barrières contre le Covid.

Si ce bilan d'utilisation indique donc en creux que TousAntiCovid est une déception en ce qui concerne le contact tracing, la fonction TousAntiCovid Signal, c'est-à-dire le cahier de rappel numérique qui permet de s'enregistrer dans un lieu à forte fréquentation comme les bars, restaurants, cinémas, pour être prévenu s'il y a des cas de Covid dans l'établissement, apparaît également comme une déception.

En raison du manque d'accès aux données et aux « disparités d'utilisation de l'outil par les établissements », l'étude en conclut qu'il « n'est pas possible de calculer un ratio entre le nombre de contacts à risque détectés dans un type lieu et le nombre de scans ayant été effectués dans ce même type de lieu ». Sur la base des données disponibles, l'étude conclut que cette fonctionnalité déployée depuis le 9 juin 2021 est « sous-utilisée ». « Les notifications effectuées dans le cadre du cahier de rappel numérique ne représentent que 15% des notifications totales sur la période du 10 au 28 novembre 2021 », est-il écrit.

A la lecture du rapport, la seule vraie utilité de TousAntiCovid semble être la fonctionnalité d'accès au pass sanitaire, et aussi la fonctionnalité Carnet, qui permet d'entrer dans l'application des certificats de vaccination et ses tests de dépistage. La fonctionnalité "chiffres et actualités" est également appréciée des utilisateurs, bien qu'il soit possible d'obtenir des informations sur le Covid par de multiples autres moyens et de manière très facile.

« L'accès au pass sanitaire est la principale raison du téléchargement de TousAntiCovid pour les répondants, et la fonctionnalité de contact tracing (Bluetooth) arrive en quatrième position après la fonctionnalité de chiffres et actualités et celle des attestations», indique l'étude.

Dans le détail, 91% des personnes ayant téléchargé l'appli entre avril et octobre 2021 -au moment où son utilisation a explosé- utilisent TousAntiCovid surtout pour le Pass sanitaire et vaccinal -ils pouvaient sélectionner deux fonctionnalités-, et seulement 9% mentionnent le contact tracing.

Faut-il arrêter TousAntiCovid ?

Avec la suppression prochaine du Pass vaccinal qu'Olivier Véran promet pour mi-mars, l'application TousAntiCovid va donc perdre sa principale utilité. De son côté, la Cnil avait conditionné son approbation du dispositif à l'utilité du contact tracing numérique. Mais tout en soulignant l'utilité de l'app dans le contexte Omicron "en complément des autres dispositifs", cette étude d'utilisation émet au fil de ses pages de sérieuses réserves sur la pertinence du dispositif et ne cesse d'insister sur ses failles, notamment les restrictions techniques et l'activation du Bluetooth.

Dans son audition devant le Sénat du 2 février 2022, Cédric O a annoncé que le coût « à date » de TousAntiCovid est d'environ 15 millions d'euros. Il était de 6,5 millions d'euros fin 2020, l'application a donc coûté en 2021 environ 8,5 millions d'euros. En 2021, l'association Anticor a porté plainte devant la Cour de la justice de la République (CJR) contre le ministre de la Santé, pour « favoritisme » dans la gestion de l'application, notamment pour avoir choisi comme prestataires de gestion, et ce sans appel d'offres, les acteurs privés à l'origine de son développement, qui s'étaient engagés à le faire « à titre gratuit ».

Dans un contexte de polémiques depuis l'origine du projet au printemps 2020, de coûts qui explosent et d'une étude d'impact inconsistante sur l'utilité de l'application dans la lutte contre le Covid, faut-il arrêter TousAntiCovid ? La question se pose.

Sylvain Rolland

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 8
à écrit le 24/02/2022 à 20:26
Signaler
Et les sénateurs exigent le plus rapidement possible la fin du pass vaccinal.

le 26/02/2022 à 8:25
Signaler
C'est eux même qui l'ont autorisé et voté pour majoritairement donc arrêté de dire n'importe quoi...

à écrit le 24/02/2022 à 14:20
Signaler
"et manquent de données cruciales pour correctement analyser le dispositif de contact tracing" seront-elles accessibles un jour ou pas ? Certains ont fait des études avec ce qu'ils ont pu, ne pas s'étonner si le résultat n'est pas fiable, par princip...

à écrit le 24/02/2022 à 14:00
Signaler
Ils me font encore bien rigoler ces politiciens quand on a un problème on va à la source, bon j'avoue, après avoir entendu parler de Corona virus, j'ai trouvé le mot étrange et inconnu, mais quand on a parlé de covid ,Eureka!, C'est t'y pas la malad...

à écrit le 24/02/2022 à 13:50
Signaler
Tout le monde sait que StopCovid est un cadeau de Macron à la famille Dassault... au détriment des finances publiques.

à écrit le 24/02/2022 à 13:48
Signaler
Encore un joujou de la macronie qui a donné des sous aux copains. Il ne disparaitra pas avant le second tour, sinon ce serait reconnaitre une erreur de gestion de plus.

à écrit le 24/02/2022 à 13:48
Signaler
Encore un joujou de la macronie qui a donné des sous aux copains. Il ne disparaitra pas avant le second tour, sinon ce serait reconnaitre une erreur de gestion de plus.

à écrit le 24/02/2022 à 13:30
Signaler
Bref, encore des millions d'euros partis en fumée. Ah non, au profit de quelques cabinets de conseil très probablement. D'autres postes de dépense comme l'armée ou les hôpitaux en auraient sûrement plus besoin, mais pas autant que certains cabinets d...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.