Comment réformer le mammouth de la formation professionnelle ?

Coûtant en moyenne 13,7 milliards d'euros par an aux entreprises, la formation professionnelle est accusée de manquer d'efficacité. Le ministre du Travail, Michel Sapin, demande aux partenaires sociaux de se mettre d'accord sur une remise à plat du dispositif. Quelle serait la réforme idéale ? Six pistes pour y arriver.
Pour être éligible au financement par la taxe à 0,9 %, une formation doit se dérouler en groupe et face à un formateur. / DR

Depuis quelques semaines, ça sent le soufre chez les partenaires sociaux. Poussés par Michel Sapin, ils se sont lancés le 24 septembre dans des négociations difficiles sur un sujet pour le moins ardu qui touche à beaucoup d'intérêts : la formation professionnelle.

Or, la feuille de route que leur a donnée le ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social est claire : ils doivent trouver un accord pour réformer le dispositif avant la fin de l'année. Et pas question cette fois de se contenter de petites réformes comme en 2004 et 2009.

Michel Sapin veut voir l'intégralité du dispositif remis à plat. Pourquoi ? La réponse tient en trois mots : inefficacité, iniquité et opacité.

La réforme devra donc à la fois donner des armes pour mieux former les demandeurs d'emploi et les salariés, du privé comme du public, afin qu'ils s'adaptent en permanence à une économie en changement perpétuel où les compétences et les qualifications sont essentielles à la compétitivité.

Accusée de coûter 31,5 milliards d'euros sans résultats probants, blâmée pour servir de pompe à finances aux syndicats comme au patronat, épinglée par la Cour des comptes en 2008 pour des stages inadaptés aux besoins des salariés, la formation professionnelle pâtit de sa complexité et de son manque de transparence.

« Quand il a été créé en 1970 par les partenaires sociaux, le dispositif visait à qualifier en masse des salariés peu formés dans un contexte de plein-emploi », explique Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de FO et négociateur de l'accord.

Depuis, le moins que l'on puisse dire, c'est que le contexte économique et social a bien changé... Et qu'une vraie remise à plat s'impose.

Pour les entreprises, la formation professionnelle est une obligation d'investissement. La loi leur impose de consacrer 0,9 % de leur masse salariale à la formation de leurs effectifs (0,55 % pour les sociétés de moins de 10 salariés). Mais aussi de participer au financement de la professionnalisation et du congé individuel de formation (CIF), ce qui porte l'effort financier à 1,6 %. Pourtant, les 31,5 milliards qui, au total, financent la formation professionnelle ne sont pas centralisés dans un ministère. Ils ont une multitude de sources, comme le rappelle Jean-Marie Luttringer, consultant et expert de la matière :

« Sur cette somme, la participation des entreprises représente 13,7 milliards d'euros. Mais elle comprend aussi les budgets de l'État pour la formation des agents de la fonction publique et l'insertion des jeunes, des régions pour l'apprentissage et les demandeurs d'emploi, de Pôle emploi et ce que dépensent les Français eux-mêmes pour se former. »

La remise à plat demandée par Michel Sapin concerne essentiellement les 13,7 milliards d'euros des entreprises, avec une exigence : la formation doit aller à ceux qui en ont le plus besoin.

Qui finance le budget de la formation professionnelle ?

Sources : annexes du projet de loi de Finances 2014, FFP 2013 / ASKMédia

Des postes vacants faute de candidats qualifiés

Sans doute plus facile à dire qu'à faire. Depuis trois ans, le système actuel a été épinglé par de nombreux rapports. Les uns lui reprochent de profiter essentiellement aux plus qualifiés : les ouvriers y accèdent 2,5 fois moins souvent que les cadres (Insee octobre 2012).

Les autres de ne pas assez s'occuper des demandeurs d'emploi : ils sont 20,3 % à être entrés en formation en 2011, contre 42,7 % des salariés. De fait, un grand nombre de postes vacants ne trouvent pas de candidats qualifiés. Quant aux formations pour les chômeurs, beaucoup d'experts se demandent si elles sont bien adaptées au marché du travail.

Au total, observe Emmanuelle Pérès, déléguée générale de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), « la France se place parmi les derniers dans le classement 2013 de l'OCDE sur les compétences des adultes. Sur 24 pays, elle occupe le 22e rang pour la maîtrise linguistique et le 21e pour les mathématiques ! »

Pas vraiment de quoi être fier

Face à tous ces reproches, les milliards du budget de la formation professionnelle font désordre. Quels pourraient être les objectifs d'une refondation du dispositif à laquelle se sont attelés les partenaires sociaux ? À n'en pas douter qu'elle participe à la lutte contre le chômage et qu'elle devienne un véritable levier de compétitivité des entreprises pour participer au redressement économique. Le tout avec l'exigence de transparence et d'efficacité que requiert l'état des finances publiques.

En prend-on aujourd'hui le chemin ? Parmi les pistes explorées, le compte personnel de formation (CPF), successeur du droit individuel à la formation (DIF), instaurerait un droit à la formation pour tous et transférable au-delà du contrat de travail. Le patronat plaide aussi pour la suppression de l'obligation légale de 0,9% du plan de formation, alors que les entreprises dépensent déjà en moyenne presque deux fois plus que ce que leur impose la loi.

En attendant de savoir si de la fumée blanche sortira des négociations en cours, voici, de l'avis des principaux experts, les six clés de ce que serait - ou devrait être - une véritable réforme de la formation professionnelle en France.

1. ASSORTIR LE CAPITAL FORMATION D'UN DROIT À L'INFORMATION

Si le compte personnel de formation semble sur les rails, il ne sera réellement bénéfique qu'assorti de moyens d'orientation et d'accompagnement efficaces. Car disposer d'un droit sans savoir quoi en faire ne permettra pas aux moins qualifiés de monter dans l'ascenseur social.

« Créé par l'accord du 11 janvier 2013 et introduit dans le Code du travail, le CPF n'est pour l'instant qu'un compteur d'heures issu du droit individuel à la formation ; il s'agit maintenant de lui donner un véritable contenu, souligne Stéphane Lardy. J'estime que ce compte doit prioritairement être utilisé pour améliorer la qualification des salariés et des demandeurs d'emploi. C'est l'enjeu majeur de cette négociation : passer d'une logique quantitative à une logique qualitative permettant à la fois d'assurer la promotion sociale et la compétitivité. »

Pour ne pas s'arrêter à la porte de l'entreprise, ce compte serait universel, individuel et transférable tout au long de la vie professionnelle, que l'on soit chômeur ou en activité. S'il sera sûrement bien adapté aux cadres, le CPF devra être assorti d'un droit à l'information et à l'orientation pour les moins diplômés.

Pour les accompagner, des postes de conseiller en parcours professionnel pourraient se développer dans les entreprises et dans les branches, mais aussi dans les syndicats, les mairies et les missions locales pour les personnes souhaitant gérer leur capital formation en dehors des intérêts de leur employeur. Les syndicats soulignent l'importance de garantir l'efficacité de ce compte, peut-être en le réservant à des formations labellisées CPF ou qualifiantes. Mais pour être efficace, ce nouveau droit devra aussi être simple à utiliser, ce qui invite l'idée du guichet unique dans les négociations.

« Dans la mesure où il viendra s'ajouter au CIF qui qualifie de nombreux actifs et que nul partenaire ne souhaite voir disparaître, il aura besoin d'une bonne lisibilité, reconnaît Jean-Marie Luttringer. Et pour assurer son caractère universel, pour les chômeurs comme pour les salariés de grands groupes ou de TPE, la réforme aura intérêt à préserver le principe de mutualisation de fonds. C'est la seule manière de rééquilibrer les chances. »

2. VALORISER LA FORMATION COMME CAPITAL SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Au printemps, la Fédération de la formation professionnelle a mis au point une dizaine d'indicateurs de mesure de l'investissement formation des entreprises, dont trois indicateurs de base.

« Le premier évalue le nombre d'heures de formation par an et par salarié, explique le président de la FFP, Jean Wemaëre. Il place la France en mauvaise position, avec 25 heures en moyenne contre 45 pour les pays européens. Le deuxième définit le taux d'accès à la formation par catégorie et peut laisser apparaître que les bas niveaux de qualification n'y accèdent qu'à 30%. Le troisième répertorie les programmes de développement de compétences mis en place par l'entreprise pour aider ses salariés à évoluer vers de véritables qualifications. »

En 2014, la formation professionnelle devrait faire partie des critères du Global Reporting Initiative (GRI) mesurant la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les entreprises devront ou pourront donc afficher ce qu'elles font pour valoriser les compétences de leurs salariés et cultiver au mieux le capital humain de notre société. Cette reconnaissance de la formation professionnelle comme capital social et environnemental lui donnera des allures d'investissement d'avenir au service de la compétitivité.

3. FACILITER LE CALCUL DU RETOUR SUR INVESTISSEMENT DE LA FORMATION

Selon Sandra Enlart, directrice générale d'Entreprise&Personnel, « très peu d'entreprises se donnent les moyens de mesurer l'efficacité des dispositifs de formation et de savoir si les salariés formés appliquent leurs nouvelles connaissances dans leurs pratiques professionnelles ».

Pourtant, apprendre à évaluer l'efficience de la formation va devenir un enjeu primordial dans les prochaines années. Pour les professions commerciales, une augmentation du chiffre est un indicateur, comme la baisse des accidents après une formation sécurité. Mais les retours sur investissement sont plus difficiles à évaluer pour des formations qualité, management ou communication. Pour que les entreprises et les branches professionnelles acceptent d'élaborer de véritables outils d'évaluation, la reforme devra les y inciter.

« Ces évaluations deviendront des garanties propres à améliorer la qualité des prestations et assainir encore le marché », estime Jean Wemaëre.

4. DOPER LA FORMATION DES MOINS QUALIFIÉS

Lors de la campagne présidentielle, François Hollande s'y était engagé : « Le financement de la formation sera concentré sur les publics les plus fragiles, les moins formés et les chômeurs. »

Et il promet, d'ici l'an prochain, 100 000 formations aux chômeurs pour les emplois non pourvus, dont 30 000 dès 2013. Dans notre société de la connaissance, les moins qualifiés sont ceux qui ont le plus besoin d'être formés pour servir leur parcours professionnel et les intérêts de l'entreprise. En se concentrant sur les compétences de leurs cadres, les entreprises ont tendance à alimenter une baisse de l'employabilité d'une partie des salariés et donc, un chômage chronique.

« Aujourd'hui, l'employeur doit maintenir les compétences de ses salariés et, demain, il devra leur permettre d'obtenir des qualifications », estime Jacques Barthélémy, avocat en droit social et cosignataire du rapport « Réformer vraiment la formation professionnelle », pour l'Institut de l'entreprise.

« Un droit des actifs à la formation financé par un prélèvement pourrait être plus pertinent. Cette forme d'assurance employabilité commence à être reconnue lorsque certaines jurisprudences sanctionnent des entreprises souhaitant licencier des salariés pour seul défaut de compétence au motif que l'employeur n'a pas tout mis en oeuvre, notamment par l'information, pour y remédier. »

Des entreprises associées au soutien des plus fragiles

Pour inciter à une meilleure formation des moins qualifiés, le rapport de l'Institut de l'entreprise mentionne des critères de priorités sur des publics sélectionnés suivant leur niveau de qualification initiale ou leur distance à l'emploi. Un principe que les entreprises semblent avoir accepté.

« Elles doivent aussi contribuer à l'effort pour des personnes mal intégrées au monde du travail en participant au financement de politiques nationales pour les bas niveaux de qualification et les publics fragiles, estime Sandra Enlart. Les grandes entreprises sont prêtes à augmenter leur soutien à ces politiques dans une logique de mutualisation. »

Mais la qualification de ces salariés peu formés implique aussi de réfléchir à la motivation de personnes fâchées avec le système scolaire et aux moyens de reconnaître leurs nouvelles compétences.

5. PROMOUVOIR DE NOUVEAUX MODÈLES D'APPRENTISSAGE

Pour être éligible au financement par la taxe de 0,9 %, une formation doit généralement se dérouler en groupe et face à un formateur. Mais cette conception ne correspond plus ni à la disponibilité des salariés, ni aux formes actuelles de pédagogie.

« Nous avons une vision pauvre de la formation, regrette Sandra Enlart. Il existe une multitude de manières d'apprendre, Mooc, e-learning ou en situation de travail avec le blended-learning. Ce qui intéresse les entreprises, ce sont les formations dans leurs locaux avec une vision plus large que ce que l'on peut apprendre aux stagiaires. »

Pour Stéphane Lardy, la réforme doit aussi penser aux possibilités de capitalisation des compétences.

« Il faudra voir comment mieux organiser les formations afin que les stagiaires puissent capitaliser différents modules sur une année. Même si la formation ne peut être envisagée à la carte pour toutes les actions, il est important de sortir de la logique du face-à-face scolaire pas toujours adapté. »

Avec des pédagogies modernes, plus interactives et des modules souples, les salariés seront sans doute plus motivés et pourront se mettre à étudier quand ils seront prêts à y accorder leur attention.

6. ACCOMPAGNER LE RETOUR DES STAGIAIRES

Directeur Formation & Compétences de CCI France, Patrice Guezou est formel :

« La formation n'est pas une baguette magique qui règle tous les problèmes de compétence en entreprise une fois le stage passé. »

Il arrive encore trop souvent que l'action de formation se révèle mal adaptée aux niveaux des salariés ou aux attentes de leur manager. Pourquoi ? Parfois parce que l'organisme n'est pas très bon, mais le plus souvent parce que l'entreprise a mal évalué les besoins du poste de travail.

« Il est indispensable de bien prendre en compte la situation de travail et les compétences déjà acquises, précise Patrice Guezou. Il est tout aussi essentiel d'anticiper le retour des stagiaires dans leurs équipes de travail et l'accompagnement de la mise en oeuvre de leurs nouvelles compétences. Pour être vraiment efficace, le processus de développement des compétences doit être envisagé dans sa globalité. »

Suivant leur expérience et leur taille, les services du personnel n'ont pas toujours le temps de travailler à cette adéquation et vont parfois choisir des programmes sans avoir bien défini les besoins et le retour sur investissement attendu.

« Pour continuer à contribuer à la montée en gamme des compétences des actifs, la formation doit être envisagée comme une démarche articulant la situation de travail, le management de proximité et la motivation des salariés. Ces démarches existent et sont référencées. Elles doivent être mieux appropriées aux acteurs ! »

propose l'expert de CCI France. Peut-être une bonne manière d'anticiper les besoins en compétence à travers les dispositifs de gestion prévisionnelle des emplois.

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formation

Commentaires 17
à écrit le 21/11/2013 à 11:23
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La dispute sur ce mammouth de la formation professionnelle ressemble à la dispute sur le mammouth des dépenses publiques. L'on ne met pas à plat les apprentissages sur le tas, brodant sur la distribution du grisbi. Pareil pour l'utilisation du servic...

à écrit le 14/11/2013 à 5:25
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C'est simple à réformer : ne plus donner d'argent public à aucune formation pro !

à écrit le 13/11/2013 à 20:50
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Suis scandalisée par cet article qui ne fait qu'accentuer le brouillard dans ce domaine. Ce ne sont pas des pistes d'amélioration mais un écran de fumée toujours complexe et inutile. Remettons déjà a plat les OPCA et la rente de situation de syndicat...

à écrit le 13/11/2013 à 19:48
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La formation professionnelle en France n'a pas d'égal dans le monde. C'est une telle usine à gaz qu'il faut s'y reprendre à plusieurs fois pour expliquer à un étranger comment elle fonctionne. Personne n'y comprend rien, c'est juste un hold up organ...

à écrit le 13/11/2013 à 17:39
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La formation professsionnelle accusée de manquer d'efficacité ? que nenni, elle remplit parfaitement son office de machine à traire les entreprises au profit de nos chers syndicats et associations acoquinées au PS.

à écrit le 13/11/2013 à 17:01
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l abatre il est grand temps il est trop gras plein de parasites ensuite PRIVATISER

à écrit le 13/11/2013 à 16:54
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On lit n'importe quoi. La part payée et gérée par les entreprises et les syndicats c'est juste 13 milliards de ces 31 milliards. Le reste c'est l'etat et les régions. Que les entreprises et les salariés gère leurs parts, leur argent en suivants les r...

à écrit le 13/11/2013 à 16:23
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Est un pays qui a toujours eu la réputation (européenne du moins) d'incapacité à FORMER et à REFORMER. Je ne parle même pas de GERER... C'est devenu depuis un demi-siècle le premier pays émergent européen... Plus facile que de dire le dernier de la ...

à écrit le 13/11/2013 à 15:48
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le mammouth de la formation professionnelle ne peut être réformé qu/en excluants TOUS les syndicats nuisibles qui en profitent honteusement !

à écrit le 13/11/2013 à 15:13
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tant que la formation engraissera les partenaires sociaux elle ne sera pas reformée sauf par un courage politique ,de meme l'éducation nationale qui en est la base

le 13/11/2013 à 17:23
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Et c est sur que flambi reculera avant même d avoir avance

à écrit le 13/11/2013 à 14:53
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Le gouvernement fera du vent il osera pas s attaquer a tous ces lobies Comme d habitude ils vont en faire des tonne et ce sera zayro

à écrit le 13/11/2013 à 14:46
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Réformons d'abord le mammouth de l'éducation nationale, si des personnes sont non qualifiées sur le marché du travail ce n'est pas la faute de la formation continue!

le 13/11/2013 à 15:16
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Pour anticiper quoi? Un baby-boom? Quand vous aurez 99 % de Bac++ au chômage qui portera le chapeau? L'industrie? La technologie? Et l'homme dans tout ça?

à écrit le 13/11/2013 à 14:33
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La formation professionnelle n'est pas seulement un mammouth, c'est aussi un FROMAGE !

à écrit le 13/11/2013 à 14:15
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Une part importante de la formation professionnelle va à des entreprises "bidon" qui pourvoient les partis politiques (PS et PC surtout). Cela n'est pas près de changer.

à écrit le 13/11/2013 à 13:59
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C'est plutôt un troupeau de singes pickpockets qu'un mammouth tranquille ....

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