L'inquiétante descente aux enfers des médias d'information grecs

Fermeture de journaux, licenciements, baisses drastiques des salaires: le secteur des médias en Grèce, déréglementé depuis plusieurs années et frappé de plein fouet par la crise financière, se transforme en une bulle menaçante pour l'économie du pays et sa démocratie.
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Depuis le début de la crise de la dette, en 2010, deux quotidiens grecs ont fermé, Apogevmatini et To Vima, tandis qu'Elefthérotypia, journal historique de gauche et la chaîne de télévision privée Alter sont en quasi-faillite.
Le syndicat de journalistes Poesy compte "4.000 licenciements" dans le secteur et dénonce les "pressions" individuelles exercées sur les salariés pour rénegocier les contrats de travail imposant des réductions de salaires allant jusqu'à 30%.
Dans les médias publics, le personnel des trois chaînes de télévision Net, ainsi que celui de l'agence de presse Ana (semi officielle), qui s'est vu privée de subventions en 2011, a subi des coupes salariales de plus de 25%, comme tout le secteur public, et une réduction de personnel.
Caractérisés par leur nombre pléthorique --une dizaine de télés, plus de 15 quotidiens généralistes et des dizaines de mensuels pour une population d'à peine 11 millions de personnes--, les médias grecs ont connu un "boom" depuis 1990, surtout dans l'audiovisuel, favorisé par le soutien des partis politiques, l'abondant crédit bancaire et l'absence de toute réglementation.
"Avec l'entrée des capitaux privés, l'audiovisuel a été déréglementé, comme en Espagne ou au Portugal", relève Manolis Hairetakis, enseignant sur les médias à l'Université d'Athènes.
"Le système politique n'a pas voulu le réglementer, les licences dans l'audiovisuel continuent d'être temporaires et les critères pour la distribution publicitaire étatique sont opaques", rappelle-t-il.
Pour Dimitris Trimis, président du syndicat des journalistes d'Athènes "la crise des médias date d'avant la crise de la dette; c'était l'époque où leur croissance ne visait pas seulement des bénéfices, mais servait aussi des intérêts de l'élite économique et politique".
"Les employeurs n'investissent plus, les crédits bancaires dont certains avaient bénéficié ont été détournés sur des comptes personnels et le système politique ou bancaire ne peut plus financer les médias; d'où cette asphyxie qui conduit au massacre de la profession et porte atteinte au droit à l'information", ajoute M. Trimis, ancien journaliste d'Elefthérotypia.
Le porte-parole du gouvernement, Pantélis Kapsis, lui-même ex-directeur de l'information du premier groupe de presse Lambrakis, reconnaît pudiquement que "le secteur devra traverser de grands changements".
En 2011, les pertes des principaux groupes de médias ont atteint 107,7 millions d'euros tandis que les ventes des journaux ont baissé entre 9% et 20% après une chute de 25 à 30% en 2010, première année de la crise.
M. Hairetakis ne mâche pas ses mots: "Les médias sont directement contrôlés par le pouvoir, ils constituaient leur petit magasin, mais après l'écroulement de l'économie, la baisse de la demande de 10% en 2011 et la réduction de la publicité, la bulle est patente".
Les salariés du secteur ont observé de nombreuses grèves depuis deux ans. La dernière en date, les 17 et 18 janvier a privé le pays d'information, alors que le gouvernement menait des négociations cruciales sur l'effacement de la dette du pays avec ses banquiers.
Les locaux de la chaîne Alter à Athènes restent occupés par les employés, impayés depuis dix mois, tandis que les journalistes d'Elefthérotypia se réunissent chaque semaine pour réclamer des arriérés de cinq mois.
Toutefois, la mobilisation ne prend pas, compte tenu des bas salaires du secteur, de nombreux journalistes étant contraints d'avoir un deuxième emploi, ou de monnayer leur talent d'écriture dans des services de presse.
"Le peuple et l'économie du pays ne sont plus en mesure de conserver des dizaines de médias déficitaires, entretenus par la publicité étatique ou autres moyens", souligne M. Kapsis.
Empruntant au jargon informatique, M. Hairetakis estime que "la solution ne peut arriver qu'après un 'restart'+ du système politique".

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