Ouverture du procès des journalistes de Cumhuriyet à Istanbul

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Ouverture du proces des journalistes de cumhuriyet a istanbul[reuters.com]
(Crédits : Murad Sezer)

par Can Sezer

ISTANBUL (Reuters) - Le procès de 17 salariés du quotidien turc d'opposition Cumhuriyet poursuivis pour soutien à une organisation terroriste s'est ouvert lundi à Istanbul, une affaire que nombre d'opposants du gouvernement considèrent comme un nouveau signe de la dégradation de la liberté d'expression en Turquie.

"Le journalisme n'est pas un crime", ont scandé plusieurs centaines de personnes réunies devant le palais de justice pour dénoncer les poursuites judiciaires contre des journalistes, des cadres et des avocats du journal, titre emblématique de la presse laïque.

L'accusation réclame jusqu'à 43 ans de prison pour les accusés, parmi lesquels figurent certains des journalistes les plus connus de Turquie dont Murat Sabuncu, le rédacteur en chef de Cumhuriyet, en détention préventive depuis novembre. Can Dundar, qui vit en Allemagne, est jugé par contumace.

Selon l'acte d'accusation, ils s'en sont pris au président turc Recep Tayyip Erdogan avec des "méthodes de guerre asymétrique". Le journal, poursuit l'acte d'accusation, serait passé sous le contrôle de fait du réseau que dirigerait le prédicateur en exil Fethullah Gülen, accusé par le pouvoir d'être l'instigateur du coup d'Etat manqué de juillet 2016.

"Je ne suis pas ici parce que j'ai, en connaissance de cause, aidé une organisation terroriste, mais parce que je suis un journaliste indépendant, curieux et critique", a déclaré à la cour l'un des accusés, l'éditorialiste Kadri Gürsel.

Comme Murat Sabuncu, il est en détention préventive depuis le mois de novembre.

Kadri Gürsel a démenti avoir des liens avec le mouvement de Fethullah Gülen, rappelant qu'il avait par le passé révélé des relations entre l'AKP, le parti islamo-conservateur du président Erdogan et le mouvement de Gülen.

"SINISTRE COOPÉRATION"

"J'ai exposé la coalition de fait entre l'actuel gouvernement avec ce groupe et j'ai prévu le mal que cette sinistre coopération ferait au pays", a-t-il déclaré au tribunal.

Parmi les accusés, figure aussi Ahmet Sik, qui a écrit un livre critique du mouvement de Fethullah Gülen.

Des messages diffusés sur les réseaux sociaux constituent l'essentiel des pièces de l'accusation, qui s'appuie aussi sur des contacts présumés entre des journalistes du quotidien et des utilisateurs de l'application ByLock, une messagerie cryptée utilisée, selon le gouvernement turc, par les réseaux gülénistes.

"A en croire le gouvernement, quiconque se trouve dans l'opposition est un terroriste, seuls eux-mêmes ne sont pas des terroristes", a dénoncé la députée Filiz Kerestecioglu, élue du Parti démocratique des peuples (HDP), formation pro-kurde.

Cumhuriyet, qui a dénoncé pour sa part des "accusations imaginaires", est soutenu par des associations de défense des droits de l'homme.

Dans un communiqué publié vendredi, l'organisation Reporters sans Frontières (RSF) a annoncé le lancement d'une pétition pour appeler la justice à abandonner les poursuites et à remettre en liberté les journalistes emprisonnés. "Le procès de Cumhuriyet est celui du journalisme en Turquie", a dénoncé Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF.

Depuis le putsch manqué du 15 juillet 2016, quelque 50.000 personnes ont été placées en détention préventive en Turquie dans le cadre de la répression lancée par les autorités contre les auteurs de la tentative de coup d'Etat. S'y ajoutent 150.000 personnes interpellées ou limogées de leurs fonctions.

Quelque 150 organes de presse ont été fermés et 160 journalistes environ se trouvent derrière les barreaux, selon l'Association des journalistes turcs.

La répression, qu'Ankara justifie par la gravité de la tentative de putsch qui a fait 250 morts, des civils pour la plupart, a aussi tendu les relations entre la Turquie et ses alliés occidentaux.

(Henri-Pierre André et Danielle Rouquié pour le service français)