À peine nommée, la nouvelle Première ministre Elisabeth Borne va devoir s'attaquer au chantier titanesque de la réindustrialisation. La succession des crises (pandémie, guerre en Ukraine) ces dernières années a jeté une lumière crue sur l'extrême dépendance de l'économie française à l'égard des pays étrangers. En seulement quelques semaines, l'exécutif avait dû commander en urgence des millions de masques de protection et des médicaments de base en Asie.
La propagation de l'onde de choc de la guerre en Ukraine sur l'économie européenne risque une nouvelle fois d'affaiblir le tissu productif tricolore déjà mis à mal par les nombreux confinements et la paralysie des échanges commerciaux pendant de longs mois. Cette semaine, le fabricant français de tubes sans soudure Vallourec a annoncé qu'il allait supprimer 2.950 postes dont 320 en France dans le cadre d'une restructuration.
Dans ce contexte troublé, le député socialiste (PS) Gérald Lesseul a présenté un vaste catalogue de 76 propositions lors d'une table ronde organisée cette semaine par l'association Origine France Garantie devant un parterre d'industriels et d'experts. Cet élu, qui se représente à la députation en Seine-Maritime pour les prochaines élections législatives, est le rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur la désindustrialisation. Cet épais travail de plus de 450 pages dresse le portrait d'une situation particulièrement alarmante du tissu productif tricolore. "La crise est une bonne prise de conscience de cette désindustrialisation. Tous nos territoires ont souffert de la désindustrialisation par la perte d'emplois. Cette illusion d'une France sans usines était un mirage", a-t-il déclaré lors d'un point presse en amont du salon Global Industrie à Paris qui se tient jusqu'au 20 mai.
1-Une grande conférence en début de mandat
Dans son propos liminaire, Gérard Lesseul préconise d'organiser une grande conférence nationale afin de "réconcilier la France et l'industrie". L'objectif serait de rassembler "le patronat, les syndicats et tous les corps intermédiaires pour se fixer un cap commun". L'élu du Palais Bourbon estime "qu'il ne s'agit pas de réindustrialiser dans tous les domaines."
En revanche, il déplore la dégringolade de l'industrie pharmaceutique française. "Je pensais que l'industrie pharmaceutique tricolore était la première en France. Elle est désormais à la cinquième ou sixième position sur le globe. La France ne fabrique plus de paracétamol, ce n'est pas normal", a-t-il ajouté.
2-Un grand ministère de l'industrie
Le rapporteur de la commission d'enquête plaide également pour la mise en oeuvre d'un grand ministère de l'Industrie et de la recherche technologique et d'une loi de programmation stratégique. "Je suis favorable à l'introduction de l'énergie dans ce ministère", a-t-il ajouté. Il faut dire que l'industrie n'a pas toujours occupé une place de choix dans les gouvernements successifs ces dernières années. En 2017, le président de la République, chantre de "la startup nation" n'avait pas attribué de portefeuille spécifique au moment de la nomination de son premier gouvernement.
Entre 2017 et octobre 2018, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, était en charge de l'industrie mais il n'y avait pas de portefeuille spécifique. Ce qui était une première depuis 1886, sous la IIIe République, et la nomination d'Édouard Simon en tant que ministre du Commerce et de l'Industrie. Le dernier titulaire du portefeuille, sous la présidence de François Hollande, était le secrétaire d'État Christophe Sirurgue, parti en mai 2017.
Juste avant la crise des "Gilets Jaunes" en novembre 2018, Agnès-Pannier Runacher arrive à Bercy pour reprendre les dossiers de Delphine Gény-Stephann sans obtenir de maroquin propre à l'industrie. Ce n'est qu'en juillet 2020 au moment de la nomination de Jean Castex à Matignon qu'elle devient ministre déléguée à l'industrie avec des missions plus précises.
3-Renforcer la place des salariés dans les conseils d'administration
La commission d'enquête parlementaire a également fait des propositions en matière de gouvernance des entreprises. "Dans les grandes entreprises, 30% des sièges dans les conseils d'administration doivent être réservés aux salariés et 25% dans les entreprises intermédiaires. C'est le premier moyen pour réconcilier les Français et l'industrie", a déclaré le député. Il a notamment comparé la situation de la France avec celle de l'Allemagne où les salariés ou les représentants des salariés occupent une place plus importante dans la gouvernance des entreprises dans un système de cogestion ou de codétermination.
Sur ce point, le célèbre économiste Thomas Piketty, auteur du best seller, "Le Capital au XXIème siècle", (éditions du Seuil) a régulièrement cité cette exemple de gouvernance permettant une plus grande implication des salariés dans les conseils d'administration et d'un plus grand équilibre des pouvoirs. "Au niveau de l'entreprise, dans des pays comme l'Allemagne ou la Suède où les salariés ont environ un tiers des droits de vote dans les conseils d'administration des entreprises, cela a permis une plus grande implication des salariés dans les stratégies des entreprises et une plus grande productivité", avait expliqué le chercheur dans un entretien à La Tribune. Gérald Lesseul a également regretté que "les gouvernances des entreprises sont de moins en moins ancrées dans les territoires. Si l'on a fait la liste des sièges à Paris, l'adhésion aux territoires est bien moindre qu'en Allemagne".
4- Renforcer la recherche
Les cris d'alerte des chercheurs n'ont cessé de se multiplier ces dernières années face à la baisse des dépenses dans l'enseignement supérieur. "L'effort consacré à la recherche est insuffisant que ce soit dans le financement public ou le financement privé", juge Gérald Lesseul. "Sanofi a licencié 400 chercheurs en pleine pandémie", a-t-il rappelé.
Sur ce dossier brûlant, les mesures fiscales et les dépenses en matière de recherche seront particulièrement scrutées par les économistes et les chercheurs, surtout si la France ne veut pas décrocher dans les classements internationaux. Il préconise d'étendre le dispositif CIFRE (convention industrielle de formation par la recherche) notamment en faisant plus souvent appel aux doctorants dans les entreprises.
5- Conditionner les aides et et la fiscalité
La mise sous cloche de l'économie au moment du premier confinement en mars 2020 a obligé le chef d'Etat a annoncé les mesures du "quoi qu'il en coûte". En seulement quelques mois, le gouvernement a déployé un arsenal de dispositifs (PGE, fonds de solidarité, chômage partiel) pour limiter les pertes de revenus des entreprises et des salariés contraints de suspendre ou de réduire leur activité pour freiner la circulation du virus.
Deux ans après, la question de la conditionnalité des aides resurgit. "Il faut conditionner l'attribution des aides publiques et des crédits d'impôt. Ce sont surtout les grands groupes qui bénéficient du crédit d'impôt recherche alors que les TPE (très petites entreprises) et les PME devraient également en bénéficier",a-t-il conclu. Reste à savoir si le nouveau gouvernement prendra en compte les propositions de cette commission d'enquête transpartisane.