BCE : pourquoi Mario Draghi surjoue la fermeté dans la poursuite du QE

Le président de la BCE a insisté sur la "pression" qu'il entendait poursuivre sur les marchés, malgré la réduction du montant des achats de titres à partir de mars prochain. Une position qui cache une situation délicate et qui vise à gagner surtout du temps.
Mario Draghi ne veut pas baisser la garde, tout en la baissant légèrement.

Pour Mario Draghi, le « mot en T » est un mot interdit. Pas question de parler de « tapering », ce terme anglophone qui désigne la sortie du programme de rachats d'actifs menée depuis avril 2015 par la BCE. « Nous n'avons pas évoqué de tapering », a martelé l'Italien qui a ajouté, un peu plus tard, qu'aucun membre du Conseil des gouverneurs n'avait évoqué ce mot. Pourtant, l'institution de Francfort a annoncé une réduction de ses rachats d'actifs de 80 à 60 milliards d'euros mensuels à partir d'avril 2017. Mais, pour Mario Draghi, ce n'est pas là une sortie du programme de rachat parce qu'il n'est pas question de se diriger ultérieurement - pour le moment - vers la fin des rachats.

« Retour à la normale » ?

Du reste, il convient de ne pas oublier qu'il s'agit là d'une prolongation du programme qui devait s'arrêter fin mars 2017. Il s'arrêtera finalement à fin décembre 2017, dans un an donc. Si le rythme est réduit, le programme de rachats, lui, est prolongé et donc renforcé de pas moins de 540 milliards d'euros. Mario Draghi a indiqué que le Conseil des gouverneurs se trouvait devant deux options : soit celle qui a été choisie de prolonger de neuf mois le programme à 60 milliards d'euros mensuels, soit celle de le prolonger de six mois à 80 milliards d'euros mensuels. Le choix qui a été fait prévoit donc davantage de rachats de titre que la deuxième option qui tablait sur 480 milliards d'euros supplémentaires.

Mario Draghi a donc cherché, dans la conférence de presse, à prouver que cette réduction du montant racheté n'était pas une « réduction », mais un retour à une forme de rythme normal pour le programme après l'augmentation enregistrée en mars dernier. « Lorsque nous avons relevé le montant de nos rachats en mars dernier, le risque de déflation n'était pas immatériel et les perspectives étaient négatives », a expliqué le président de la BCE qui juge à présent que « le risque de déflation a largement disparu », mais que « l'incertitude continue à prévaloir ». Autrement dit : si les conditions qui ont présidé au relèvement en mars 2016 du montant des rachats ont largement disparu, la situation justifie le maintien du programme à son niveau initial. C'est donc un « retour à la normale » du programme que propose Mario Draghi.

Discours ferme de Mario Draghi

Ce dernier a, en conséquence, tenu, un discours particulièrement clair sur la poursuite d'une politique accommodante. La sortie du programme n'est pas évoquée et le programme pourrait même être poursuivi « si nécessaire » après décembre 2017. Mieux même : en cas de besoin, si les conditions de financement de l'économie se détériorent, la BCE pourra tout moment décider de remonter à 80 milliards d'euros mensuels de rachat.

On est donc loin du « tapering » puisque la seule option qu'ouvre la BCE est celle d'une augmentation des rachats et non de sa réduction. De plus, la BCE a pris une série de mesure pour rendre plus crédible l'extension de la durée des rachats, notamment la levée possible de la restriction sur les taux. Jusqu'à aujourd'hui, la BCE ne pouvait acheter aucun titre obligataire avec un rendement inférieur à son taux de dépôt (-0,4 %) : cette restriction pourra être levée. De même, les titres dont la maturité est comprise entre un et deux ans seront inclus dans le programme. Tout ceci, selon l'économiste de Pictet Frederik Ducrozet permettra de donner de la « matière première » à la BCE jusqu'à la mi-2018.

 « Notre message central, c'est qu'il n'y a aucune sortie du programme en vue, que la BCE reste sur le marché et qu'elle va continuer à faire pression sur le marché », a résumé un Mario Draghi qui s'est montré assez étonnamment offensif. Le président de la BCE a même assumé le fait que les banques centrales nationales prenaient des risques en rachetant des titres à des taux très négatifs et que ces risques étaient justifiées par la mission de la BCE : « notre rôle est de maintenir la stabilité des prix, pas d'assurer la rentabilité des banques centrales ». Une franchise nouvelle qui montre une détermination forte à poursuivre la politique actuelle, en écartant les arguments de prudence.

Persistance des risques

Il y a plusieurs raisons à ce positionnement. D'abord, si l'inflation se redresse sous le coup du renchérissement de l'énergie, l'inflation sous-jacente reste faible, signalant un problème de demande évident. Les nouvelles prévisions de la BCE en termes d'inflation sont, d'ailleurs, pour Mario Draghi trop faibles encore. Les équipes de la banque centrale tablent sur une inflation de 1,3 % en 2017 (contre 1,2 % prévu précédemment), sur 1,5 % en 2018 (contre 1,4 % prévu précédemment) et de 1,7 % en 2019.

Pour le président de l'institution monétaire, ces niveaux, même celui de 2019 « ne sont pas en accord avec l'objectif de la BCE ». Il est vrai que ces prévisions demeurent fragiles et, surtout, soumis à la poursuite du programme. Relâcher la pression risquerait d'affaiblir l'inflation. D'autant que la remontée des taux depuis l'élection aux Etats-Unis risque de poser un problème aux entreprises de la zone euro et, sans le soutien de la BCE, de freiner un investissement déjà mis à mal par le rétrécissement de l'écart entre prix à la production et inflation sous-jacente, donc des marges d'entreprises. Enfin, les risques politiques présents (en Italie) et à venir imposent à la BCE de rester en alerte et le faire savoir.

La logique du « tapering » est enclenchée

Pour autant, le choix qui a été fait inclut clairement l'option du « tapering » dans l'avenir. La narration présentée par Mario Draghi a sa cohérence, mais aussi ses limites. Choisir de poursuivre pendant 6 mois le programme à 80 milliards d'euros n'était pas un choix moins « accommodant » que celui qui a été fait puisqu'on aurait pu poursuivre encore les rachats à ce rythme. Passer à 60 milliards d'euros mensuels signifie donc bien - quoi qu'en dise Mario Draghi - le passage à un cran inférieur dans le programme, ce dernier fût-il plus long que prévu. La BCE estime donc que les conditions actuelles justifient un ralentissement des rachats. Sans le dire, elle justifie donc l'idée d'un lien entre le relèvement de l'inflation globale et le ralentissement des rachats. Elle ouvre donc indiciblement la voie à un ralentissement futur. Le « tapering » est donc bien engagé, mais il l'est avec toute la lenteur et la prudence nécessaire.

Satisfaire tout le monde

La BCE a donc cherché à satisfaire tout le monde. En réduisant ses rachats, elle envoie un message rassurant en Allemagne, où le QE est de moins en moins toléré et où il pourrait être un des thèmes de l'élection de septembre 2017. L'association des banques privées allemandes, Bankenverband, a ainsi salué cette annonce. Mais, parallèlement, le message devait être répété sur la détermination de la BCE pour éviter tout effet négatif sur les taux et l'inflation. Mario Draghi a donc joué son va-tout en tentant de satisfaire à peu près tout le monde. Un choix qui permet de reporter à plus tard les décisions sur le « vrai tapering ». Mais cette stratégie de communication ne règle toujours pas le vrai et seul problème de la BCE : son isolement dans le soutien à la demande européenne.

Isolement

Mario Draghi a, comme d'habitude, éludé la question sur le refus de l'Eurogroupe de retenir l'idée de la Commission d'une relance de 0,5 % du PIB l'an prochain. Mario Draghi espère sans doute qu'avec le temps, la croissance repartira et réglera ce problème. Mais c'est ce refus de coopération budgétaire, en réalité, qui l'oblige à poursuivre encore le programme de rachats et à prendre encore plus de risques.Car il n'est pas à exclure que le QE alimente, dans le contexte actuel de retour d'une certaine confiance sur les marchés, des inflations de prix d'actifs financiers plutôt que l'inflation des prix à la consommation. Autrement dit, les bulles financières plutôt que la croissance. Ce risque, Mario Draghi n'en portera certes pas la seule responsabilité. Ceux qui le laissent agir seuls seront les vrais responsables des déséquilibres à venir.

Commentaires 8
à écrit le 09/12/2016 à 12:00
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LA CROISSANCE NE REVIENDRAS PAS EN EUROPES T EN QUE L EUROPE ET L AMERIQUE NE RENGOSIRONS PAS LES MARCHES AVEC LA CHINE ET LES AUTRE PAYS EMERGENT/UN JOUR JOUR PLUS RIEN NE VENDRAS ET PLUS RIEN NE SACHETERAS SI ONT LAISSE CES PAYS CONTINUEZ A DOMINE ...

le 10/12/2016 à 4:28
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MERSI DEUX TRAVAYER VAUTR AURTOGRAFE

à écrit le 09/12/2016 à 10:24
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Quand on ne sait pas quoi faire, on ne fait rien!!

à écrit le 08/12/2016 à 22:29
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Il faudrait passer à la méthode "hélicoptère" pour faire remonter les prix et ainsi court circuiter les banques qui ne veulent au final pas jouer le jeu...

à écrit le 08/12/2016 à 18:44
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Le QE on sait quand il commence mais pas quand il se termine, et c'est souvent très mal.....On ne sort jamais indemne ....

à écrit le 08/12/2016 à 18:23
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"Car il n'est pas à exclure que le QE alimente, dans le contexte actuel de retour d'une certaine confiance sur les marchés, des inflations de prix d'actifs financiers" Non seulement ce n'est pas à exclure mais c'est ce qui se passe depuis un momen...

à écrit le 08/12/2016 à 17:24
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"Mario Draghi a joué son va-tout en tentant de satisfaire à peu près tout le monde": on sait depuis " Le Meunier, son Fils et l'Ane " que c'est une chimère. Mais ici, il a fait preuve d'habileté et M.Godin la décrit fort bien. De fait, il restera à M...

à écrit le 08/12/2016 à 17:12
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Quand quelqu'un reste très longtemps en service "réanimation", le pronostic est rarement optimiste. Le chirurgien de choc, Wolfgang Schäuble, finira par triompher du gentil anesthésiste "Super Mario". Et à la fin on aura un corbillard pour l'Euro, p...

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