En 2030, un médecin augmenté et toujours plus connecté

DOSSIER SANTÉ- Innovation numérique, intelligence artificielle et bouleversements organisationnels accélèrent le glissement vers une médecine plus préventive. Dès la prochaine décennie, les praticiens de santé vont voir leurs métiers largement bousculés. Une thématique qui sera au coeur du forum Impacts santé organisé par La Tribune qui se tiendra ce jeudi à Paris.
Le partage et l’exploitation des données de santé vont modifier le quotidien des praticiens.
Le partage et l’exploitation des données de santé vont modifier le quotidien des praticiens. (Crédits : latribune.fr)

Une femme de 45 ans, travaillant en équipe et souvent salariée. C'est le portrait-robot du médecin de 2030. Cette échéance laisse peu de place à la science-fiction, sauf pour les technophiles les plus acharnés. Mais avec la vague d'innovations en cours, le praticien de la prochaine décennie ne sera pas tout à fait le même que celui d'aujourd'hui. L'intelligence artificielle (IA), l'explosion des données, le suivi à distance tracent le chemin vers une médecine « 5 P », c'est-à-dire préventive, prédictive, participative, personnalisée et qui a fait ses preuves.

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L'IA bouscule déjà les pratiques. Ces algorithmes sont des outils précieux en matière d'aide à la décision. Avec sa base de données médicamenteuses intelligente, Posos assiste le médecin dans la prescription. Compatible avec tous les logiciels médicaux, elle a obtenu en début d'année l'agrément de la Haute autorité de santé.

L'IA se charge également des tâches administratives, comme la gestion des comptes-rendus. Et dans certains domaines techniques, elle fait mieux que l'homme notamment pour repérer des fractures ou lésions.

« Après la détection d'un cancer, les algorithmes peuvent aider à orienter les équipes médicales vers le meilleur traitement possible, en fonction de l'avancement de la maladie et des préférences du patient, explique Laure Millet, experte associée santé à l'Institut Montaigne. Parce que l'IA permet aux médecins de se former en continu, d'après les meilleures pratiques, et de pouvoir partager ses connaissances entre pairs, les décisions médicales sont améliorées et prennent en compte des données et des paramètres très larges. »

Et d'autres bouleversements sont attendus. « L'IA pourrait permettre aux médecins de se libérer des biais perceptifs induits par l'approche clinique. Celle-ci conduit à révéler une maladie lorsqu'elle se manifeste sur un organe, donc à un stade relativement avancé. Demain l'IA sera peut-être capable de présenter de nouvelles hypothèses physiopathologiques en trouvant des corrélations entre différents biomarqueurs » (comme l'ADN, l'ARN, ou les protéines), avance Emanuel Loeb, président du syndicat Jeunes Médecins. Le diagnostic serait ainsi posé plus tôt. Le test sanguin des laboratoires Synlab et de la société biopharmaceutique Alcediag différencie ainsi la dépression des troubles bipolaires en s'appuyant sur un séquençage de l'ARN et l'IA, une première. Il ne fait pas l'unanimité, mais ouvre la voie à d'autres solutions de ce type.

Suivi connecté du patient

La technicisation à outrance pose la question de l'adaptation et de la formation des « toubibs du futur ». « La tendance à l'hyperspécialisation des médecins est dangereuse, elle rend vulnérable à l'IA en segmentant la pratique médicale. La plus-value humaine réside, au moins pour les années à venir, dans la capacité à avoir une perception globale et transversale » avertit Emanuel Loeb.

Demain, le suivi à distance du patient sera ancré dans les habitudes. Outre la téléconsultation, le médecin s'appuiera sur la télésurveillance et les thérapies digitales. À côté des traditionnels montres et bracelets, une nouvelle génération d'objets connectés arrive. Withings a présenté au CES de Las Vegas, en début d'année, un « multiscope » intégrant stéthoscope, thermomètre et électrocardiogramme.

Comment s'y repérer dans cette avalanche de données ? Lancé il y a deux ans, Mon Espace Santé permet de les stocker et de les partager. Ce carnet de santé numérique, qui intègre le dossier médical partagé (DMP), commence à trouver son public. Plus de 11 millions de Français l'ont activé et les professionnels de santé y consultent entre 100 000 et 200 000 dossiers chaque mois. Grâce à l'enveloppe de 2 milliards d'euros du Ségur du numérique, 2 000 établissements et 50 000 professionnels de santé sont dotés de logiciels adaptés, ainsi qu'un grand nombre de laboratoires, sites de radiologie et pharmacies.

Le think tank Innovation Days (comptant parmi ses membres le laboratoire Amgen, l'association Les Patients S'engagent et le cabinet Roland Berger) a imaginé ce que pourrait être l'offre de soins en 2032. Un « Parcours santé » sur mesure serait géré individuellement dans Mon Espace Santé. « Notre groupe de travail a considéré le DMP, l'utilisation et le partage global des données de santé comme un acquis indispensable pour disposer rapidement d'une information fiable, mise à jour en continu. Pour améliorer l'adoption du DMP, l'arrivée de nouveaux services serait une forte incitation et le rendre obligatoire une alternative possible », observe Antoine Gizardin, qui a participé à cette réflexion pour Roland Berger. Cette base personnelle de données doit devenir un réflexe. « Une partie des informations figurant dans le DMP relèvent de la décision du patient, or il n'est pas forcément le mieux placé pour faire ce choix. Aujourd'hui, un médecin ne peut pas s'appuyer sur ce dossier pour tout connaître de son patient, mais le point de bascule n'est pas loin », complète Frédéric Thomas, associé santé et pharma au sein du cabinet de conseil.

Temps médical retrouvé

Attaché au travail en équipe, le médecin de 2030 pourra participer à une communauté professionnelle de santé au sein d'un territoire ou exercer dans des centres de santé et maisons de santé pluriprofessionnelles. Pour ces dernières, le gouvernement vise les 4 000 d'ici 2027. D'autres professions s'imposeront aux côtés du praticien, comme les assistants médicaux ou les infirmières de pratique avancée. La délégation de tâches vers les pharmaciens pourra aussi être renforcée.

Évolutions organisationnelles et innovations numériques convergent vers un même but : libérer du temps médical. « En le dégageant de certaines contraintes administratives, l'IA permet au médecin de passer plus de temps en interaction directe avec ses patients, analyse Laure Millet. Ce temps supplémentaire offre la possibilité de faire plus de prévention et d'avoir une meilleure analyse des déterminants sociaux de santé. Ces informations sont clés pour mieux comprendre l'environnement de vie du patient, qui influe directement sur son état de santé physique et mental (pratique sportive, logement, alimentation, etc). Ces déterminants sont encore insuffisamment pris en compte dans les parcours de soins. » Un des enjeux du système de santé est de prendre le « virage préventif », cher à Emmanuel Macron. Mesure phare de cette approche, les bilans de prévention « aux âges clés de la vie » (18-25 ans, 45-50 ans, 60-65 ans et 70-75 ans) sont en passe d'être généralisés.

Au final, quel sera le cadre de travail pour le docteur 5.0 ? La Maison de l'innovation et de la médecine spécialisée (MIMS) a été fondée en 2021 par un entrepreneur, Olivier Colin, et deux médecins, Stéphane Landais et Jean-Pierre Binon. Ils ont créé le concept de Cabinet médical 2030. Olivier Colin le présente comme « un creuset d'innovations technologiques et organisationnelles au service de la santé, qui permet de soigner plus et mieux tout en préservant la qualité de vie du médecin ». Sept premières structures sont labélisées, à Valenciennes (Nord), Paris-Saclay (Essonne) et Poitiers (Vienne). « Chaque Cabinet 2030 doit s'organiser à partir d'un territoire et d'une population. Un cabinet en ruralité n'a rien à voir avec un cabinet à 5 minutes d'un CHU ou à 10 minutes d'une clinique », poursuit son cofondateur. Un audit territorial précède l'implantation et intègre la permanence des soins. Pour mettre en place des solutions novatrices, l'écosystème de la MIMS et sa vingtaine de startups sont mis à contribution. Parmi celles-ci, Quantiq qui mesure les constantes médicales grâce à un selfie, Santé Recycle pour la gestion des déchets, ou encore Gesika assurant le pilotage des flux téléphoniques. Les fondateurs comptent accélérer le développement et lancer une levée de fonds cet automne à hauteur de 2 millions d'euros. Le médecin augmenté de demain aura un cabinet à son image.

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Commentaires 6
à écrit le 22/04/2024 à 14:00
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" Un médecin toujours plus connecté " ! ! ! ... mais connecté à quoi ? peut être pas à son cerveau ! Je suis un médecin à la retraite et il arrive qu' on me demande encore conseil ou que j' ai connaissance des difficultés rencontrrées par certa...

le 22/04/2024 à 18:21
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@heteroi - les patients cherchent bien sûr à être soigné...et guéri MAIS auprès du médecin, ils cherchent aussi une écoute, une attitude rassurante, un peu de réconfort. Un peu d'humanité, ce que ne procure plus beaucoup la médecine techno actuelle.....

à écrit le 22/04/2024 à 11:43
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Un médecin augmente c'est plus de medecins pour exercer dans un désert médical.

à écrit le 22/04/2024 à 11:34
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Sauf que les portraits robots sortis des algorithmes ici ou ailleurs n'existent pas dans la vraie vie , celle que le médecin côtoie au quotidien .Que l'IA participe à l'amélioration des soins soit mais sans la moindre présence humaine je crains le...

le 22/04/2024 à 12:30
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@Idx. Je suis parfaitement d'accord avec vous et en ai fait l'amer expérience aussi.

à écrit le 22/04/2024 à 11:04
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Toujours plus connectés au détournement d'argent public qui rempli les paradis fiscaux oui ! "Les petits patrons font les grandes rivières de diamants !" Brigitte Fontaine. L'Europe.

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