Le plan Paulson, un énorme bluff

Le 3 octobre 2008, le Congrès des états-Unis votait le plan proposé par le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, pour sauver le système financier américain. Une enveloppe record de 700 milliards de dollars. Mais rien, absolument rien, n'a été réalisé comme le prévoyait la loi. Démonstration, sur le mode pédagogique.

 Bonjour, jeunes gens. Je vous rends aujourd'hui votre devoir d'économie dont l'intitulé était : le plan Paulson. J'avais délibérément choisi une formulation brève et neutre. Beaucoup d'entre vous, dès l'introduction, l'ont défini comme le plus grand plan de sauvetage financier de tous les temps. C'est assez grandiloquent, mais vous avez des excuses : la plupart des titres et commentaires, à l'époque, ont employé des superlatifs plus ou moins extasiés. Un journal américain a même représenté Henry Paulson, le secrétaire au Trésor de Bush, en George Washington menant ses troupes à la bataille. La plupart d'entre vous connaissaient les points clés : en pleine crise financière internationale, le Congrès américain a adopté le 3 octobre 2008 une loi permettant d'appliquer le Tarp, ou « Troubled Asset ReliefProgram », d'un montant de 700 milliards de dollars. Pour la traduction de Tarp, c'est un peu l'imagination au pouvoir : Programme de soutien aux actifs à problèmes, Programme d'intervention sur les actifs toxiques, Plan de reprise des actifs toxiques, Programme visant à soulager les banques de leurs actifs dépréciés. Vous avez fait des efforts pour clarifier ce dont il s'agissait et vous avez du mérite parce que ce n'est pas plus clair en anglais. Bravo à l'humoriste savant qui a écrit que Tarp était la contraction de roche Tarpéienne, laquelle est, comme chacun sait, proche du Capitole. Ceux qui n'ont pas compris n'auront qu'à regarder dans le dictionnaire. En tout cas, vous avez, avec une belle unanimité, expliqué que le plan Paulson servait à reprendre les actifs toxiques des banques américaines. C'est en effet ainsi qu'il a été présenté et voté.

Dans mon corrigé, je m'en vais démontrer qu'en réalité, le plan Paulson n'existe pas. En introduction, je rappelle le contexte. Le retournement du marché immobilier américain, à partir de 2006, a mis en difficulté les acheteurs endettés et les banques qui leur avaient prêté sans aucune précaution, misant sur une hausse continue du prix des maisons sur lesquelles étaient gagés les prêts. Et comme les banques s'étaient endettées pour prêter et avaient revenduleurs crédits immobiliers sous forme d'obligations complexes (on a parlé de produits structurés), la méfiance s'est reportée sur elles. La crise des subprimes de 2007 est devenue une crise bancaire dans la première moitié de 2008 et une crise financière généralisée à partir du 15 septembre, quand Henry Paulson et le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, ont laissé Lehman Brothers, une des grandes banques de Wall Street, faire faillite. Paulson est lui-même un banquier, qui a dirigé Goldman Sachs jusqu'en 2006. Il n'a pas voulu être accusé de soutenir ses copains avec l'argent du contribuable. Mais la panique provoquée par la chute de Lehman change tout : il lui faut coûte que coûte rétablir la confiance.

Première partie : si j'affirme que le plan Paulson n'existe pas, c'est d'abord parce que Paulson naviguait à vue. Encordé avec Bernanke et Tim Geithner (le président de la banque de réserve de New York devenu depuis secrétaire au Trésor d'Obama), Paulson improvisait d'heure en heure, sauvant une banque ici, en mariant d'autres là, laissant fermer les plus petites. Aucune doctrine là-dedans.

Mais, très vite, la technique du coup par coup ne suffit plus. Après être allé devant le Congrès le 18 septembre au soir avec Bernanke pour exposer la gravité extrême de la situation, « Hank » Paulson demande, le vendredi 19, l'autorisation de racheter jusqu'à 700 milliards de dollars de crédits immobiliers ou de titres dérivés de ces crédits. L'important dans ce message, c'est l'engagement massif de l'État fédéral : en 1933, Franklin Delano Roosevelt avait mis 1,3 milliard de dollars-or pour sauver les banques américaines, ce qui équivalait à 200 milliards de dollars actuels. Paulson fait plus que tripler la mise, et c'est normal vu la taille qu'a atteinte l'économie américaine en soixante-quinze ans. 700 milliards est un chiffre énorme, mais choisi de façon parfaitement arbitraire. Personne à ce moment-là ne sait de combien ont besoin les banques : les actifs toxiques sont souvent sortis de leurs bilans, les titres émis à partir de leurs crédits à risque l'ont parfois été via des filiales dans des paradis fiscaux. Et surtout, comment distinguer les mauvaises dettes des bonnes ? Les « congressmen » démocrates critiquent l'idée qu'on sauve Wall Street plutôt que les ménages américains qui perdent leur maison faute de pouvoir rembourser leurs traites. Les « congressmen » républicains sont choqués qu'on emploie l'argent des contribuables pour sauver des entreprises privées, alors que, depuis trente ans, ils expliquent à leurs électeurs que l'État ne doit pas intervenir dans l'économie. À une courte majorité, le 29 septembre, le Congrès rejette le plan Paulson et déclenche une nouvelle vague de panique mondiale. Il faudra trois jours de négociations enfiévrées pour que le Tarp soit finalement voté le 3 octobre.

Dans ma deuxième partie, je vais maintenant vous montrer que le plan Paulson n'a jamais été appliqué. Pour parler clair : on a dit qu'on allait faire des choses qu'on n'a pas faites, et on a fait d'autres choses qu'on n'a pas dites. Première remarque : aucun actif toxique n'a été racheté par le Tarp (ni ailleurs dans le monde jusqu'à présent). La Réserve fédérale a acheté au cours des mois pour 2.300 milliards de dettes, mais aucune mauvaise dette : de fait, cette somme représente le tiers des bonnes dettes du système financier américain. Ce que le Trésor a fait, c'est qu'il a injecté du capital dans les institutions financières. L'idée a été soufflée à Paulson par le Premier ministre britannique, Gordon Brown, juste après le vote du Tarp : il est bien moins coûteux d'apporter du capital que de racheterdes dettes parce que chaque dollar de capital « stabilise » 10 ou 12 dollars de dettes. Du coup, le Trésor américain a administré le 28 octobre une dose de 25 milliards de dollars de capital à chacune des plus grandes banques américaines (Citigroup, Bank of America, JP Morgan et Wells Fargo). Goldman Sachs et Morgan Stanley ont reçu 10 milliards chacune, et d'autres institutions de moindre importance entre 2 et 7 milliards. L'aide d'urgence à l'assureur AIG est aussi incluse dans le Tarp. Le 1er janvier 2009, on a encore ajouté 25 milliards dans Citigroup et 20 milliards dans Bank of America-Merrill Lynch. Les actions préférentielles sans droit de vote acquises par le Trésor doivent normalement assurer au contribuable une rémunération confortable quand les banques redeviendront bénéficiaires. Mais l'intervention de l'État a été assortie de limites imposées aux rémunérations des dirigeants des banques. Pour retrouver leur libertéde distribuer des bonus et des parachutes dorés, quatre des principales banques, sur les 500 en tout qui ont reçu des fonds fédéraux, ont déjà remboursé les actions préférentielles de l'État à la date du 31 mars 2009.

Le prétendu plan Paulson n'a cessé d'évoluer. Le 19 décembre, le président Bush a décidé par décret que l'argent pouvait être utilisé de façon discrétionnaire pour lutter contre la crise : il a donc servi pour renflouer General Motors et Chrysler. Il devait aussi inciter les banques à prêter de l'agent. Mais une enquête du « New York Times » auprès des bénéficiaires a montré qu'ils ne se sentaient tenus en rien : la plupart disaient qu'ils employaient l'argent « pour se désendetter, racheter leurs concurrents ou investir pour l'avenir. » Un autre engagement du plan Paulson n'a pas été rempli : l'aide aux ménages américains menacés de perdre leur maison. Sur les 350 milliards de la première tranche, pas un sou n'a été consacré à ce volet. Il a fallu attendre le 10 février 2009 pour que le nouveau secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, annonce que 50 milliards de dollars de la deuxième tranche seraient employés pour éviter les expulsions.

À plusieurs reprises, le Congrès a apporté des retouches au Tarp pour renforcer le contrôle des fonds dépensés. Mais l'opacité reste la règle, comme l'a constaté la Commission de supervision de la Chambre des représentants (House Oversight Committee). Auditionné le 21 juillet 2009, Neil Barofsky, inspecteur général spécial du Tarp, a reconnu que les contribuables ne savaient pas et ne sauraient sans doute jamais ce que les bénéficiaires du Tarp avaient fait de l'argent reçu. Même les montants dépensés ne sont pas faciles à connaître. Les 700 milliards initiaux fonctionnaient comme un crédit revolving : dès que de l'argent est remboursé, il peut être réutilisé. Une clause de sauvegarde (« recoupment ») a été ajoutée au plan Paulson pour convaincre le Congrès de le voter. Elle prévoit que, au bout de cinq ans, si les actifs acquis par l'État n'ont pas pu être remis sur le marché au moins au prix qu'ils ont coûté, « le président devra soumettre au Congrès un plan permettant de récupérer la différence auprès du secteur financier. » Autrement dit, le plan Paulson ne devrait pas au final aggraver la dette publique américaine. En théorie.

Pour conclure, je citerai un mot d'Eric Thorson, un haut responsable du Trésor américain, qui a décrit le Tarp comme « a mess » (un vrai foutoir). Je comparerais volontiers ça à la reconstruction de l'Irak : des sommes hallucinantes ont été dépensées n'importe comment, et surtout au profit des amis. Un constat positif, toutefois : le secteur financier américain s'est remis sur pied. Le plan Paulson n'était qu'un bluff, mais il a fini par marcher.

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