Lutte contre la corruption internationale : "la France plutôt un bon élève"

La convention OCDE contre la corruption fête ses dix ans. Daniel Lebègue, président de Transparence International France, en fait le bilan.

La Tribune - Quel bilan peut on faire de la convention OCDE contre la corruption interdisant le versement de pots de vin à des fonctionnaires étrangers pour l'obtention de marché dix ans après sa mise en place ? 

Daniel Lebègue - Cette convention a constitué une avancée incontestable dans la lutte internationale contre la corruption puisqu'elle a érigé en délit ce qui était une pratique courante tolérée par de nombreux Etats. En France, par exemple, les sociétés exportatrices qui estimaient avoir besoin de verser des commissions à l'étranger pour obtenir des marchés demandaient au préalable, et obtenaient généralement, l'accord de la direction générale des douanes. Les entreprises pouvaient ensuite, en présentant le document revêtu du timbre officiel des douanes à la direction des impôts, déduire les commissions versées de leurs bénéfices. Alors que l'administration faisait alors preuve d'une complaisance coupable à l'égard de la corruption, elle a aujourd'hui pour obligation de saisir le procureur de la République lorsqu'elle découvre ce genre de pratiques. Aujourd'hui, l'immense majorité des entreprises et des gouvernements ont pris conscience des atteintes graves qu'elle constitue aux règles d'une concurrence équitable. 

Au delà de la législation, la convention est elle efficace ? 

Les mécanismes d'évaluation par les pairs et la société civile se révèlent efficaces. Le nombre de dossiers instruits et de condamnations prononcées augmente d'année en année. Depuis la transposition en droit national de la convention OCDE, pas moins de 250 enquêtes et poursuites ont été engagés dans une dizaines de pays dont 33 en France, et 150 condamnations ont été prononcé pour fait de corruption à l'étranger mais aucune en France. Le montant cumulé des amendes atteint 1,250 milliards d'euros. 

Tous les pays membres de l'OCDE appliquent ils la convention OCDE avec le même zèle ?

Certains pays signataires font toujours preuve d'une inertie, voir d'une tolérance coupable, dans l'application de la convention. Le Japon n'a jamais engagé une seule poursuite et encore moins prononcé une seule condamnation depuis dix ans. Le Royaume-Uni a également envoyé un très mauvais signal en bloquant, au nom de la sécurité nationale, l'enquête engagée par le Serious Fraud Office (SFO) contre British Aerospace (BAE) dans le cadre de contrats d'armement avec l'Arabie saoudite. L'intérêt national ne doit pas servir de prétexte au blocage de certaines enquêtes. En France, l'utilisation extensive du secret défense pour bloquer les enquêtes est inacceptable. Le juge Van Ruymbeke a dû rendre une ordonnance de non lieu dans l'affaire des frégates de Taiwan faut d'avoir pu poursuivre son enquête.
 

Le fait que la convention OCDE laisse de côté de grands pays exportateurs comme la Chine ou l'Inde n'est il pas problématique ?

Le fait que de grandes entreprises exportatrices chinoises ou indiennes ne soient pas soumises aux mêmes règles que leurs homologues européennes ou américaines constitue en effet un vrai problème.
 

La convention des Nations unies contre la corruption signée en 1995 et ratifiée par 140 pays n'est elle pas la solution ?

C'est un progrès. Mais la conférence des Etats signataires qui s'est tenue à Doha le mois dernier a été un échec. Elle n'a pas permis de mettre en place un système d'évaluation et de contrôle similaire à celui que s'appliquent les pays membres de l'OCDE. Plusieurs Etats, comme la Chine, l'Iran ou Cuba s'opposent à des missions de contrôle par des observateurs étrangers, à un pouvoir de contrôle de la société civile ou encore à la publication des rapports d'évaluation. C'est une situation très dangereuse. Dès lors que les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde, le risque que nous redescendions la pente que nous avons eu tant de mal à gravir au cours des dix dernières années. Le blocage de la Chine est évidemment le plus lourd de conséquence. Mais il faut également souligner la position ambiguë de pays comme l'Inde ou la Russie.

Comment se situe la France sur le front de la lutte contre la corruption internationale ?

La France est plutôt un bon élève. Elle a été le premier Etat du G8 à transposer en droit national la convention de l'Onu (Merida) sur la corruption. J'ai toutefois d'autres réserves importantes. Tout d'abord, la France ne condamne pas le trafic d'influence dans le commerce mondial qui consiste pour une entreprise à recourir à un tiers pour décrocher des marchés. C'est pourtant un délit en France. En deuxième lieu, Transparence international condamne l'extension du secret défense. C'est une décision très grave qui conduit à placer hors du périmètre de la justice des lieux publics et privés. Il est désormais possible d'interdire à un magistrat l'accès à une entreprise au nom du secret défense. En troisième lieu, on ne peut que regretter la faiblesse des moyens des magistrats pour poursuivre et sanctionner des faits de corruption internationale. Le fait qu'aucune condamnation n'ait été prononcée alors que 33 poursuites ont été engagées illustre les lenteurs des procédures en France. Enfin, la volonté du gouvernement de supprimer le juge d'instruction débouchera sur un nouvel affaiblissement des moyens de la justice pour lutter contre la corruption internationale. La suppression du juge d'instruction n'est envisageable que si elle est assortie d'une véritable indépendance des magistrats du parquet.
 

N'est il pas temps d'introduire en France la procédure du plaider coupable en matière de corruption internationale ? 

Nous avons engagé une réflexion en ce sens au sein de TI France. Le plaider coupable donne en effet des résultats intéressant aux Etats-Unis et en Allemagne. Ce type de procédure permet à une personne morale ou physique de reconnaître sa responsabilité et de négocier avec un magistrat une amende et des mesures visant à éviter la récidive. Dans le cas de l'affaire Siemens, en Allemagne, cette procédure a prouvé son efficacité. Deux ans seulement ont été nécessaires pour régler l'affaire Siemens alors que certaines procédures durent plus de 10 ans en France. Siemens s'est acquitté d'une amende de 2 milliards d'euros, frais de justice inclus. Enfin, l'entreprise fait l'objet d'un accompagnement de la justice allemande pour mettre en place des procédures de contrôle visant à éviter une rechute.

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