Austérité : pourquoi le Portugal persiste, signe...et se trompe

Le rejet par la Cour constitutionnelle lusitanienne d'une partie du plan d'austérité de Lisbonne aurait pu être une chance pour infléchir sa politique économique. Mais ni le gouvernement portugais, ni Bruxelles ne veulent en entendre parler.
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Le Portugal s?annonce désormais comme le prochain laboratoire de la crise européenne. La décision de la Cour constitutionnelle du pays de rejeter quatre des neuf mesures d?austérité prévues dans le budget 2013 place en effet le pays à nouveau au centre de tous les regards. Mais surtout, cette crise portugaise traduit une nouvelle phase de la crise européenne. Celle où la crise budgétaire, devenue crise économique, s?est finalement muée en crise politique. Ce qui est en jeu à Lisbonne, c?est la prise en compte des institutions démocratiques du pays et du risque social dans la zone euro en crise. Le Portugal pourrait être une chance pour les dirigeants européens de prouver la bonne volonté affichée lors du dernier sommet de Bruxelles où ils s?étaient dits « pleinement conscients des frustrations, voire du désespoir grandissants de la population. »

Chômage à 17,5 % en février 2013

De ce point de vue, le Portugal est exemplaire. Rappelons que, début mars, près d?un dixième de la population du pays était descendue dans les rues de la capitale pour protester contre les mesures d?austérité. A 17,5 %, le chômage portugais est le troisième plus élevé de la zone euro. En trois ans, il a progressé de six points. Pour les moins de 25 ans, le taux de chômage dépassait en février les 38 %, soit 11 points de plus que voici trois ans. C?est assez dire le choc social qu?ont vécu les Portugais. Du reste, dans une étude publiée ce lundi, l?Organisation Internationale du Travail (OIT) souligne combien le Portugal figure, avec Chypre, l?Italie, l?Espagne et la Grèce, parmi les pays ayant connu la plus forte augmentation du risque de conflit social. Bref, il y a au Portugal un risque d?explosion sociale aiguë qui pourrait conduire à un ajustement de la politique économique.

La croissance en berne

D?autant que la politique de rigueur ? une des plus sévères mise en place en Europe ? des deux derniers gouvernements portugais, tant de centre-gauche que de centre-droite, n?a pas prouvé encore, malgré les applaudissements de la troïka, son efficacité. Le pays va connaître cette année sa troisième année de contraction du PIB. L?an passé, cette contraction a atteint 3,2 %, elle serait de 1,9 % cette année selon la Commission européenne, mais le gouvernement a dû reconnaître que le recul atteindra 2,2 %, car la situation s?est encore dégradée en fin d?année 2012. La perspective d?un retour à la croissance en 2014 semble bien incertaine. La demande intérieure du pays s?est effondrée de plus de 7 % l?an passé. Une chute vertigineuse que la progression des exportations de 5,6 % sur un an en janvier, tant célébrée par les bailleurs de fonds du pays, ne suffit pas à compenser. Bref, la « dévaluation interne » ne semble pas fonctionner. Du reste, sans même la décision de la Cour constitutionnelle, les objectifs budgétaires de Lisbonne, fondés sur une prévision de croissance de 0,6 % en 2013, semblaient déjà caducs.

Une chance à saisir ?

La décision du tribunal constitutionnel aurait, par conséquent, pu être une chance pour le Portugal et l?Europe de reconsidérer sa politique et d?écouter les recommandations de l?OIT qui, ce matin, souligne combien est nécessaire une « stratégie de croissance et d?emploi » et combien « les mesures d?austérité n?ont pas traité des causes profondes de la crise ni fait baisser le chômage. » Il eût été possible de tenter de redonner un peu de confiance aux agents économiques portugais en acceptant la mesure des Sages et en assouplissant la politique menée. D?autant que Bruxelles a dû reconnaître récemment que les objectifs fixées précédemment étaient irréalistes et a lâché un peu de lest sur les conditions des prêts accordés en 2010 à Lisbonne et sur les dates de retour à l?équilibre budgétaire. D?autant aussi que chacun convient que la décision du tribunal constitutionnel ne remettait pas fondamentalement en cause « la trajectoire » de la politique budgétaire portugaise. On ne parle ici que de 900 millions d?euros à 1,3 milliard d?euros de mesures sur un total de 5 milliards d?euros de mesure. L?essentiel du plan choc de Lisbonne, l?augmentation considérable de l?impôt sur le revenu pour la classe moyenne de 35 % à 45 % a été validé par le tribunal.

Persévérer dans la rigueur

Ce serait assez pour beaucoup. Mais pas pour Bruxelles et le gouvernement lisboète. Le premier ministre lusitanien, Pedro Passos Coelho s?est empressé d?annoncer qu?il remplacerait ces mesures par des réductions de dépenses publiques dans des domaines aussi sensibles que les aides sociales, la santé ou l?éducation. « Nous n?hésiterons pas », avait-il prévenu. La priorité du premier ministre portugais est en réalité claire depuis longtemps : il veut faire de son pays un « modèle », une « Irlande bis » et le sortir de l?infâme club des « pays du sud. » Et pour cela, l?essentiel n?est pas la croissance ou l?emploi, l?essentiel, c?est le retour sur les marchés.

Pedro Passos Coelho veut être le dirigeant portugais qui trouvera preneur pour une obligation à 10 ans du pays. C?est son obsession, il ne cesse de placer cet objectif en évidence depuis plusieurs mois. Or, il pense ? comme les Européens ? que seule l?austérité est en mesure de rassurer les marchés. Il ne va donc pas hésiter à aller plus loin encore dans l?austérité. Il trouve un appui sans nuances de la Commission européenne qui, dès dimanche, a mis en garde le Portugal sur « le respect de ses engagements. » Le risque, c?est de voir la troïka ne pas remettre au pays les deux prochains milliards d?euros du plan d?aide. L?invitation à remplacer euro pour euro les mesures censurées est évidente.

Le spectre de « l?aléa moral »

En réalité, ne pas remplacer ces mesures ne serait pas un désastre pour le Portugal. Ce serait même un message positif envoyé à une population qui en aurait bien besoin. La troïka ne prendrait certainement pas le risque de couper les vivres à Lisbonne, et donc de sortir le pays de la zone euro pour un manque d?un milliard d?euros dans son plan de rigueur. Mais le symbole serait trop fort : il signifierait que l?on peut assouplir sans danger l?austérité. Il relancerait, dans les pays du nord, le débat sur « l?aléa moral », sur la vraie volonté des pays du sud de « se redresser » et, in fine, il retarderait sans doute le retour sur les marchés du pays. Retour qui, soit dit en passant, n?est pas urgent dans l?immédiat et qui ne sera définitif que lorsque le potentiel de croissance du pays sera reconstruit.

Ce n?est certainement pas en détruisant les systèmes de santé et d?éducation que l?on parviendra à ce but. Mais l?Europe ne veut pas, malgré l?échec patent de sa recette, remettre en cause sa stratégie. Et Wolfgang Schäuble a, sans surprise, ce lundi, redit combien « le Portugal est en bonne voie pour retrouver l?accès aux marchés. » Un imprimatur allemand au nouveau plan du gouvernement de Lisbonne.

 

Commentaires 23
à écrit le 09/04/2013 à 11:31
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Un point de vue de fond qui découle de cet article qui ffait froid dans le dos: Que veulent les despotes de BXL ? Car au final j'ai comme l'impression que c'est l?éclatement des états pour mieux les dissoudre dans l'Europe .. Une sorte de nouvelle U...

à écrit le 09/04/2013 à 10:51
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Romaric insiste, l'austérité ce n'est pas bien, les allemands ne sont pas gentils, etc. OK on a bien compris. Mais il faut dire ce qu'il faut faire Romaric. On a le choix : 1/ On continue avec la rigueur budgétaire et les pays du sud continuent un ...

le 09/04/2013 à 11:37
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Mais ce qu'il faut faire est très simple, sortie de l'UE et de l'UEM de tous les pays du Sud et de la GB et de l'Irlande et chacun pour soi, rétablissement des frontières et des droits de douane, dévaluation, contrôle des mouvements de capitaux, nati...

le 09/04/2013 à 12:20
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@ Poppy: dans l'hypothèse où vous ne l'auriez pas remarqué, c'est le maintien dans l'euro à n'importe quel prix qui engendre une explosion de la misère et un effondrement de leur économie. Vous devriez remettre les choses dans l'ordre avant de donner...

à écrit le 09/04/2013 à 9:18
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je l'ai dit hier ou écrit mais j'ai été censuré, j'ai donc dit que les technocrates de Bruxelles ou d'ailleurs aillent se faire voir chez les grecs et qu'ils récupèrent, s'ils sont capables de quoi que c soit, le fric fraudé ou évadé qui doit bien f...

le 09/04/2013 à 9:31
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lire NON à tout et surtout....

le 09/04/2013 à 11:42
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pas de bank run et commencer a mettre un tiers de votre épargne en gold silver (de jolies pièces somme toutes) Car les banques doivent vraiment payer pour leur inconséquence (je vous rappelle que ce problème est lié aux banques depuis les affaires d...

à écrit le 09/04/2013 à 8:42
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Quand on a vécu longtemps au-dessus de ses moyens, grâce aux emprunts et aux subsides européens, bref, "aux frais de la princesse", il est toujours difficile de retrouver le niveau normal. C'est évidemment frustrant, humiliant, et facteur de tensions...

le 09/04/2013 à 9:25
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@Yves Les portugais n'ont pas vécu aux "frais de la princesse", ils ont vécu, travaillé et maintenant sont dépouillés,spoliés pour que perdure un système financier au service exclusif des spéculateurs.

le 09/04/2013 à 10:09
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Tu na pas totallement tort. Depuis l'euro 2004 le portugal c'est beaucoup trop vite dévellopé. Les crédit ce sont accumulé pour les citoyens qui n'ésitté pas a se surendétté pour avoir de belle voiture et de belle maison ( des crédit sur 35 voir 40 a...

à écrit le 08/04/2013 à 23:12
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Le peuple portugais est en train d?être étouffé par l'augmentation des taxes et impôts. Tout augmente (sauf les salaires)...les entreprises PME et TPE ferment les unes après les autres laissant des dizaines de milliers de personnes sur le carreau... ...

à écrit le 08/04/2013 à 21:50
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Les pays du sud ont tout intérêt à sortir de l'Euro, et pour cela il n'y a qu'une seule solution : la sortie de l'UE par l'article 50 du TUE.

à écrit le 08/04/2013 à 20:43
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Je reste attéré des analyses de la TRIBUNE : il semble que les bases de la macro et de la micro economie n'existent plus ? que la seule BONNE solution est la fuite en avant Française ?? dont toutes les femmes et les hommes raisonables dénoncent l'ave...

le 08/04/2013 à 21:30
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il reste vrai que les pays qui ont choisi la voie de l'austérité se retrouvent avec une sévère récession depuis un certain temps déjà.

à écrit le 08/04/2013 à 19:28
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le portugal ne se trompe pas; il montre qu'il va serrer les fesses comme prevu ( et la l'allemagne sera bcp plus magnanime sur les delais)... rien a voir avec la france qui estime qu'elle peut offrir ' la retraite a 30 ans pour tous payee par personn...

le 08/04/2013 à 21:28
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Peut-être qu'en France on se fait des illusions, mais ces illusions permettent de ne pas trop paupériser la population. De toute façon, toute l'économie du capital est désormais basée sur des illusions, c'est-à-dire des chiffres qui défilent sur les ...

à écrit le 08/04/2013 à 19:06
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"le Portugal figure, avec Chypre, l?Italie, l?Espagne et la Grèce, parmi les pays ayant connu la plus forte augmentation du risque de conflit social." Ma foi, il ne s'agit que de sudistes se la coulant douce ! Et pas de plus de 150 millions d'habitan...

à écrit le 08/04/2013 à 18:40
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Supprimer au Portugal le quatorzième mois des fonctionnaires aurait été injuste,inefficace,inutile et humiliant.

le 09/04/2013 à 9:34
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@La Branche.....Vous ne pensez pas à ceux qui, les 12 mois on été supprimés!!!!

à écrit le 08/04/2013 à 17:43
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Le désespoir de la population réside dans l?inaction des gouvernements vis-à-vis des fonctions publiques. Aucun gouvernement des pays BRICS ne se décide à sabrer dans les dépenses publiques, quid à décevoir les apparatchiks qui sont payés par le budg...

le 08/04/2013 à 20:07
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BRICS=BRESIL RUSSIE INDE CHINE AFRIQUE DU SUD, je vois que tu sais de quoi tu parles!.....

le 09/04/2013 à 0:44
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Sorry ALEX, vous avez raison, c'est les PICGS que j'avais en tete.

à écrit le 08/04/2013 à 17:16
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Parce que le Portugal a été sous protectorat britannique pendant deux siècles, et est en train d'y retourner.

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