Menace à La Haye sur les libertés du monde Internet

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase : les grandes lignes du projet de loi présenté mercredi dernier par la commission constituée des représentants de 52 pays. Un des premiers à protester a été le bouillant Ralph Nader, le "vert" américain adversaire de la globalisation. Cette fois, son Consumer Project on Technology (CPT), une organisation chargée de la protection du consommateur face aux technologies, prend le parti des Internautes. "En gros, nous pensons que ces décisions vont étrangler Internet en le soumettant à des contraintes juridiques insupportables, s'insurge Jamie Love, directrice du CPT. Elles exposent tout propriétaire d'un site à des poursuites juridiques pour diffamation et délits de ce genre de la part de n'importe quel pays. En outre, elles dépouillent tout prestataire de services des protections légales dont il jouissait jusqu'à présent."L'objectif des négociations de La Haye n'est pourtant apparemment pas démoniaque : il s'agit de définir comment et dans quelles conditions faire appliquer la législation des différents pays dans les litiges liés à Internet. En théorie, une compagnie en activité dans un pays donné doit se soumettre au lois qui y sont en vigueur. Mais comme les entreprises du cyber-espace n'ont pas besoin de quitter leur pays d'origine pour assurer leur présence, les litiges se transforment vite en sac de nœuds. En l'absence d'une juridiction internationale, ceux-ci se sont jusqu'à présent réglé au "cas par cas". Un des exemples les plus récents : le portail Yahoo! et ses ventes aux enchères de reliques nazies. Un tribunal français a conclu que Yahoo! devait empêcher les ressortissants français d'avoir accès au site, avec à la clé une amende de 14.000 dollars par jour de retard. Yahoo!, tout en affirmant haut et fort que la compagnie était normalement protégée par le droit américain, a néanmoins mis un terme aux ventes d'objets nazis. L'affaire n'est toutefois par terminée : une cour américaine doit prochainement décider dans quelle mesure les lois françaises sont applicables à une compagnie basée aux Etats-Unis. Très clairement, le nouveau traité de La Haye rendra la décision des juges américains plus difficile. Durant le dernier round des négociations, les porte-drapeaux américains du droit à la liberté d'expression ont tout fait pour que les représentants des 52 pays travaillant à ce nouveau cadre juridique tiennent compte de leurs doléances. "On n'a pas pu faire grand-chose et ce n'est pas trop bon pour nous, déplore Barry Steinhardt, un des responsables de la puissante American Civil Liberties Union. Les délégués américains ont bien voulu nous entendre mais pas les autres. C'est comme si on avait reçu un coup de pied au cul. Malheureusement, si nous devons nous aligner sur les lois de pays comme la Chine ou le Maroc, qu'adviendra-t-il de tous les sites qui critiquent ici ouvertement tous les travers du gouvernement et sont parfaitement légaux aux Etats-Unis?"Face à ces inquiétudes, les négociateurs - y compris américains - essayent de tempérer. "Nous n'essayons pas d'utiliser ce traité pour changer les lois en vigueur dans les pays participants, affirme-t-on du côté américain. Nous avons prévu des amendements pour les pays qui violent les lois sur la liberté d'expression." Mais les adversaires du projet affirment que cela ne va pas assez loin. Et ces propos rassurants ne suffisent pas à calmer l'inquiétude des grands prestataires de services ou des hébergeurs de sites. Ces derniers se demandent si, désormais, ils ne vont pas devoir faire la police et s'assurer que les sites qu'ils abritent ne violent pas, par exemple, les lois sur les droit d'auteur. "Cela risque de mettre la pagaille dans l'e-commerce, affirme-t-on chez le géant de la communication américain Verizon. Nous ne voulons pas avoir à nous transformer en gendarmes. La tâche serait fastidieuse. Et malgré les inquiétudes que nous avons soulevées aux côtés d'AT&T et de Yahoo! les délégués n'ont rien voulu entendre. Nous sommes plutôt déçus." Les seuls qui semblent satisfaits dans tout cela : les maison de disques, les artistes et auteurs de logiciels qui voient la protection des "copyrights" renforcée. Une version finale du traité n'est pas prévue avant au mieux l'année prochaine. Et si la pression s'accroît, les Etats-Unis, qui abritent des myriades de compagnies Internet, pourraient finir par refuser de signer. Ce qui ferait de ce traité de La Haye le "Kyoto" du cyber-espace...
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