Le gouvernement veut stocker le CO2 en France : comment fait-on et à quel prix ?

Le ministre délégué à l'Industrie et à l'Energie, Roland Lescure, prévoit de tester dès début 2025 « quatre ou cinq projets de stockage de CO2 », dans d'anciens gisements pétroliers français, a-t-il annoncé vendredi. L’idée : accélérer la décarbonation de certaines industries qui peinent à réduire leurs émissions. Mais concrètement, où ce CO2 sera-t-il stocké, et à quel prix ? Surtout, cela permettra-t-il aux industriels de poursuivre leurs activités polluantes sans encombre ? La Tribune fait le point.
Marine Godelier
Le gouvernement publiera à l'été 2024 sa stratégie en matière de captage et stockage du CO2, qui contiendra une cartographie du potentiel de capture de CO2, « pour décarboner l'industrie et au-delà ».
Le gouvernement publiera à l'été 2024 sa stratégie en matière de captage et stockage du CO2, qui contiendra une cartographie du potentiel de capture de CO2, « pour décarboner l'industrie et au-delà ». (Crédits : YVES HERMAN)

Reconvertir d'anciens puits de pétrole français en sites de stockage du CO2, pour que ce gaz carbonique soit réinjecté en sous-sol plutôt que de réchauffer l'atmosphère. Voilà l'idée du gouvernement, qui a annoncé vendredi son intention de tester, dès début 2025, « quatre ou cinq projets » de ce type sur le territoire français afin d'aider l'industrie à tenir ses objectifs de décarbonation.

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Le ministre délégué à l'Industrie et à l'Energie Roland Lescure a en effet lancé « un appel à manifestations d'intérêt » ciblant notamment les acteurs des hydrocarbures afin qu'ils proposent des projets d'enfouissement du CO2 en priorité dans des gisements inactifs ou en fin de vie. Et ce, à l'occasion d'une visite sur l'usine de Technip Energies à Sens (Yonne), qui marque « la concrétisation du lancement de la stratégie de stockage de la France », selon l'exécutif. « On active la machine », se félicite-t-on dans l'entourage du ministre.

Depuis quelques mois, celui-ci avait d'ailleurs planté des graines en ce sens. D'abord, en intégrant pleinement le captage et le stockage du CO2 dans sa feuille de route pour atteindre -55% d'émissions de CO2 d'ici à 2030, et la neutralité carbone d'ici à 2050. Surtout, l'an dernier, après un travail de consultation avec les 50 sites les plus émetteurs du pays, il en avait encore précisé les enjeux : d'ici à la fin de la décennie, 8 millions de tonnes de CO2 générées par l'industrie française devront être captées, et 20 millions de tonnes d'ici à 2050, avait-il affirmé.

Mais concrètement, où ce CO2 sera-t-il stocké, et à quel prix ? Surtout, cela permettra-t-il d'offrir un chèque en blanc aux industriels pour continuer de polluer ? Afin d'y voir plus clair, La Tribune fait le point.

Combien de tonnes de CO2 pourrait-on stocker en sous-sol ?


Si la France ne dispose pas d'un sous-sol particulièrement riche en pétrole, elle compte quelques gisements en région parisienne et dans le bassin aquitain. Selon le ministère de l'Industrie et de l'Energie, le potentiel sur les concessions existantes d'hydrocarbures au niveau national est estimé « aux alentours de 800 millions de tonnes de CO2 », ce qui permettrait de couvrir « cinquante ans des besoins de stockage de CO2 de l'industrie française non neutralisables ».

« Nous savons quelle quantité de « vide » il y a dans ces gisements, puisque ça correspond à ce qu'on a extrait dans le passé », précise-t-on.

Un chiffre à comparer avec les quelque 380 millions de tonnes de CO2 équivalent - hors émissions importées et émissions liées à l'agriculture et aux déchets - que l'Hexagone a émis sur l'année 2023.

Cela ne reste néanmoins, à ce stade, qu'une estimation. Pour y voir plus clair, l'exécutif a missionné le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), bras armé de l'Etat sur l'exploration du sous-sol, afin de disposer de données plus poussées. « Les experts du BRGM sont en train de finaliser ce travail, en lien avec les entreprises actives dans le secteur géophysique en France », précise à La Tribune l'entourage de Roland Lescure. Une analyse complète est ainsi attendue à horizon mi-juin.

Le gouvernement publiera ensuite à l'été 2024 sa stratégie en matière de captage et stockage du CO2, qui contiendra une cartographie du potentiel de capture de CO2, « pour décarboner l'industrie et au-delà ».

Par ailleurs, il ne mise pas que sur le stockage dans le sous-sol français. Après la Norvège mi-janvier, l'exécutif tricolore a en effet annoncé, lundi 4 mars, avoir signé un accord bilatéral avec le Danemark pour y exporter du CO2 « dès cette année ». Et ce, afin de l'emmagasiner en sous-sol, principalement, là aussi, dans d'anciens champs gaziers et pétroliers. En effet, Copenhague a déjà pris un train d'avance, en disposant d'une cartographie complète des opportunités de son sous-sol, et commence déjà à offrir des permis de stockage à différents opérateurs.

« Ce sont des stratégies totalement complémentaires. Pour le CO2 émis à Dunkerque, par exemple, il pourrait être intéressant de l'envoyer vers la mer du Nord plutôt qu'en région parisienne et dans le bassin aquitain, étant donné qu'un projet européen de plateforme d'exportation de dioxyde de carbone baptisé « D'Artagnan » va voir le jour là-bas », explique-t-on au ministère de l'Industrie et de l'Energie.

A quel prix ?


Selon l'entourage de Roland Lescure, cependant, stocker le CO2 dans d'anciens gisements français restera souvent bien moins cher que d'envoyer le CO
2 en mer du Nord.

« Stocker ce CO2 en France va permettre de diviser par deux ou trois le coût cumulé du transport et du stockage » par rapport à ces projets nordiques, dans laquelle la France restera associée, indique-t-on.

Néanmoins, même en France, les quatre ou cinq premiers « projets tests » devront toucher des aides de l'Etat pour se mettre en place : ils pourront bénéficier d'une enveloppe globale encore provisoire d' « environ 20 à 30 millions d'euros » dans le cadre du programme France 2030. Ces tests devront vérifier que les puits sont bien étanches pour y accueillir du CO2.

Pour en déterminer le prix, la question du prix de la tonne de carbone sera cruciale. Et pour cause, si émettre du CO2 coûte moins cher que de le stocker, la loi du marché ne permettra pas de rentabiliser l'investissement dans des projets de CCS (« capture carbon and storage »). Or, sous l'effet du ralentissement de l'économie, le prix des quotas de CO2 dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission de l'UE s'est effondré ces derniers mois.

Dans ces conditions, l'Etat français cherche à mettre en place un mécanisme de protection baptisé « Contrat carbone pour différence » (Ccfd). L'idée : accorder aux industriels, sur quinze ans, des versements correspondant à la différence entre le prix (variable) du CO2 sur le marché et un tarif du CO2 fixé au préalable. En d'autres termes, un dispositif assurantiel pour s'assurer que l'entreprise soit toujours incitée à capturer des gaz à effet de serre, quelle que soit leur valorisation. « Nous avons commencé à discuter avec la Commission européenne en janvier dernier pour une pré-notification. Espérons que dans les six prochains mois, la France sera autorisée à utiliser cet instrument », expliquait une source au sein de l'exécutif il y a quelques semaines.

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S'agit-il d'une fable pour continuer de produire toujours plus ?


Interrogé par Les Echos, Roland Lescure a affirmé que le plan de décarbonation des 50 sites industriels les plus polluants, annoncé en novembre 2022, prévoit d'abord des mesures telles que « l'efficacité énergétique, de l'électrification, le remplacement du charbon par de l'hydrogène ». « Le captage n'arrive qu'en dernier recours », a-t-il assuré.

Seront ainsi visés les usages résiduels, c'est-à-dire dont on ne pourrait que très difficilement se passer. Et notamment les usines les plus difficiles à décarboner, à l'instar des cimenteries, qui émettent du CO2 via la décarbonatation du calcaire.

« Il faut non seulement déployer toutes les nouvelles technologies décarbonées le plus rapidement possible, mais aussi capturer le CO2 là où il n'existe pas d'alternatives », soulignait en mars le cabinet de Roland Lescure, en citant « la fabrication du ciment Portland, qui représente environ 20% des émissions industrielles de la France » ou encore « de produits chimiques comme les engrais ».

Mais l'argumentaire peine à convaincre certaines associations de défense de l'environnement, qui accusent les partisans du CCS d'empêcher l'émergence d'alternatives, en favorisant le maintien des combustibles fossiles sous prétexte de captage du CO2. D'autant que certaines entreprises, notamment outre-Atlantique, en profitent pour lancer de vastes opérations de greenwashing. A l'instar de l'Américain Occidental Petroleum, qui promet de commercialiser un « pétrole net zéro » grâce au captage du CO2.

Il n'empêche, le CCS a été retenu dans les scénarios du GIEC et de l'Agence international de l'Energie (AIE), et fera vraisemblablement partie des réponses à apporter à l'urgence climatique. Néanmoins, selon ces mêmes scénarios, leur généralisation ne permettra pas d'éviter une transition profonde des modèles de production, laquelle devra s'imposer dans tous les cas.

« On ne doit retenir le stockage du carbone que là où c'est pertinent. Cela ne doit surtout pas devenir une manière de justifier le 'business as usual'. La priorité restera d'éviter puis de réduire les émissions de CO2, avant de les capter », soulignait il y a quelques mois à La Tribune Florence Delprat-Jannaud, responsable du programme Captage et stockage du CO2 au sein du centre de résultats Ressources énergétiques d'IFP Energies nouvelles (IFPEN).

« Il faut éviter à tout prix que l'industrie pétrolière s'en serve pour faire comme avant », abondait alors Greg De Temmerman, docteur en physique expérimentale et chercheur. Et de conclure : « Un monde dans lequel on stockerait les 40 milliards de tonnes de CO2 que l'on émet chaque année, ça n'existe pas ».

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Marine Godelier

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Commentaires 3
à écrit le 27/04/2024 à 18:45
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Avant que la gauche ne nivelle tout par ke bas pour reduire les inégalités dans les niveaux, il y avait des cours de biologie ou on apprenait ce qu'était la photosynthese. Mais ça c'était avant la tolérance juste du wokisme et du féminisme bienveil...

à écrit le 27/04/2024 à 8:45
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Creuser toujours plus profond c'est leur marotte. Nos dirigeants sont nuls.

à écrit le 26/04/2024 à 19:31
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" à quel prix ? " sans aucun doute à un prix exhorbitant voir même carrément prohibitif pour une solution transitoire , c. à d. pour un stockage qui un jour ou l' autre fuiera comme le méthane du permafrost avec le réchauffement du climat ! Encore...

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