"Les candidats ne vont pas jusqu'à proposer une vraie réforme fiscale"

La Tribune - En tant qu'économiste, considérez-vous que la campagne électorale répond aux enjeux actuels?Philippe Waechter - Il me semble que les programmes des principaux candidats entretiennent plutôt le flou sur le plan économique. Les baisses d'impôts et de charges qui ont été proposées apparaissent davantage comme une réponse aux attentes supposées de l'électorat mais ces mesures ne semblent pas s'inscrire dans le cadre d'un projet économique global.Sous un autre angle, on ne sait pas très bien quelle sera la dynamique des finances publiques. Compte tenu des attentes sur la justice ou la sécurité, il me semble que l'évolution des dépenses publiques est assez floue. Par ailleurs, l'ensemble repose sur un taux de croissance de 3 % qui est au delà du taux de croissance potentiel de l'économie française. Dans ce cadre, je ne vois pas très bien comment les objectifs d'équilibre des finances publiques seront tenus.Le débat autour des baisses d'impôts et de la nature de ces baisses vous semble-t-il pertinent aujourd'hui ?L'expérience de la baisse massive des impôts en Allemagne en 1998, lorsque le gouvernement Schröder est arrivé au pouvoir, montre qu'il ne s'agit pas de la solution miracle. Ceci est particulièrement vrai de l'impôt sur le revenu, dont la baisse pourrait encore favoriser le taux d'épargne déjà trop élevé de la France. La réduction des impôts sur les revenus les plus modestes (taxe d'habitation, crédit d'impôt) me semble plus à même de participer à une relance de la consommation, car on sait que les faibles revenus utilisent plus les baisses d'impôts pour consommer. Mais, là encore, on semble s'être arrêté en chemin. Car pourquoi baisser la taxe d'habitation de 50% si c'est un impôt archaïque, sans faire de proposition de réforme? Dans les deux cas, les propositions des candidats ne me semblent pas suffisamment en rupture pour générer une dynamique nouvelle de la croissance. On est davantage dans une optique d'aménagement de l'existant que dans le cadre d'une réforme du système fiscal. L'emploi est un thème peu présent dans la campagne. Pourquoi ? Au cours des dernières années, le marché de l'emploi a gagné en flexibilité et les charges sur le travail ont baissé. Ceci s'est fait sans bruit et a permis à la France ces derniers mois de continuer à créer des emplois alors même que l'activité s'est réduite. Ce n'est pas le cas en Allemagne où le marché du travail est plus réglementé. L'important est de ne pas revenir en arrière dans ce domaine et de laisser le marché du travail français poursuivre sa modernisation. D'une certaine façon, le silence des candidats est une bonne chose. Le processus engagé n'est ainsi pas remis en cause.Sur le marché du travail, je crois qu'il faut approfondir le mécanisme de baisse des charges sur les bas salaires. Il faut d'abord fixer un cadre qui permette de sortir des avantages liés au passage aux 35 heures et qui ne soit plus un couperet à 1,8 fois le SMIC afin d'éviter ce qu'on appelle les trappes à bas salaires.La retraite est, à l'inverse, un des sujets phare de la campagne. Les propositions des candidats vous semblent-elles répondre aux exigences du problème ?Sur les retraites, la décision essentielle a été le choix fait au sommet européen de Barcelone de relever l'âge moyen de la retraite en Europe de 5 ans d'ici à 2010. Je considère que l'allongement de la durée du travail est la seule vraie solution au futur problème des retraites. Les candidats l'ont bien compris et ont placé dans leurs programmes des éléments visant cet allongement, sans évidemment le dire ouvertement. Ainsi, la volonté de Lionel Jospin de favoriser l'insertion professionnelle des plus de 50 ans et de réduire les départs en préretraites montre qu'il souhaite relever l'âge moyen du départ en retraite en France, qui est actuellement très bas.Concernant les fonds de pension, les propositions des candidats ne sont pas convaincantes. Le fonds de pension "individuel" est proche de la formule de l'assurance-vie et les fonds de pension collectifs ressemblent au système d'épargne salariale existant. Rajouter de nouvelles formules complexifierait le système d'épargne sans nécessairement résoudre le problème des retraites.Lionel Jospin a proposé un "gouvernement économique européen" pour faire contrepoids au pouvoir de la BCE. Est-ce réalisable et souhaitable ?Il est indispensable aujourd'hui de faire un pas supplémentaire dans la zone euro. Tout le monde se plaint, par exemple, du manque d'autonomie de la croissance européenne. Mais seule une politique économique cohérente permettrait d'infléchir la conjoncture et de créer des conditions de croissance propres à la zone euro. L'Europe ne pourra peser dans l'économie internationale que lorsqu'elle aura une politique claire, unique et cohérente. Aujourd'hui, les Etats membres font encore trop preuve d'individualisme, ce qui affaiblit l'Union.Il est donc indispensable de créer une institution qui puisse faire des choix économiques d'ensemble. Mais cette institution devra se faire une place entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Propos recueillis par Romaric God
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