François Doubin, ancien ministre du Commerce et de l'Artisanat

Yves Sassi : Quels ont été les éléments qui vous ont amenés à mettre en place un texte de loi sur le commerce organisé ?François Doubin : Nous avons instauré cette loi pour redynamiser le commerce de centre ville. Pour rendre un site au commerce associé. Souvenez-vous, c'était le grand débat sur les galeries commerciales et les supermarchés. Le commerce de proximité souffrait beaucoup à l'époque. Je souhaitais rendre à tous ceux qui vivent du commerce indépendant une chance de réussir. Il y avait déjà la loi Royer sur la limitation des implantations de grandes surfaces. C'était un texte fondamental qui a été très difficile à gérer et qui valait ce qu'en valait le gestionnaire. Si le ministre de tutelle voulait être restrictif en matière d'extension de la grande distribution, il pouvait agir sur environ 10 % des surfaces, c'est-à-dire sur ce qui remontait en appel. Notre objectif n'était pas de nous opposer à la grande distribution, d'ailleurs les Français l'avaient adoptée et le ministère des Finances l'a toujours soutenue. L'essor de la grande distribution était une modernisation indiscutable. Ce que j'ai cherché à faire, pendant ces quatre ans (sourire : j'ai été le ministre du Commerce le plus durable de la Vème République) a été de donner sa chance au commerce de proximité. La loi qui porte aujourd'hui mon nom a été, dès l'origine, associée au Fisac. Le Fisac est un outil qui permet aux municipalités d'obtenir des financements pour aménager le centre ville (protection des piétons, création de parkings, aménagement des rues et trottoirs, nettoyage, éclairage...). C'était un outil complémentaire de cette loi sur le commerce organisé de proximité. Une fois le dossier mis en place par la municipalité, il est transmis au cabinet du ministre qui statue. L'ensemble permettait d'équilibrer l'implantation des grandes surfaces qui elles aussi sont indispensables à la vie des communes, notamment en matière d'emploi et d'augmentation des taxes perçues. Cela a permis de lisser beaucoup de difficultés. Comment le projet de loi a-t-il été initié ? Honnêtement, je crois que c'est moi qui en ai eu l'idée. Je souhaitais qu'il existe plus de transparence dans la constitution du commerce associé. Notre objectif était de permettre aux commerçants de rejoindre des enseignes et ce, en toute sécurité, grâce à une transparence contractuelle. Je dois dire que j'avais une excellente équipe dans mon cabinet, des collaborateurs de très grande qualité, très impliqués dans ce monde du commerce. Avant de nous lancer dans cette aventure, nous avons rencontré les partenaires incontournables de la profession, la Fédération de la Franchise, Michel Kahn, avec lequel nous avons beaucoup travaillé et de nombreux autres acteurs du commerce et des enseignes. D'autre part, je dois dire que les tribunaux ont également joué un rôle très positif pour ce qui concerne l'application de la loi. J'en prends pour exemple un élément fondamental auquel j'attachais beaucoup d'importance : l'idée force de cette loi est que le franchiseur n'intervient pas, il faut le souligner, dans l'étude de marché locale. Celle-ci est sous la responsabilité entière du franchisé. Tout l'édifice aurait été fragilisé si le franchiseur ou l'enseigne était impliquée sur ce point. En février 98, la Cour de Cassation a rendu un arrêt disant que le fait qu'une étude de marché n'était pas exacte n'était pas une cause de rupture du contrat. C'était très important. L'un de nos grands objectifs était de rendre ce texte clair, accessible à tous, ne permettant pas d'interprétation. Je crois que c'est également un élément qui a renforcé l'intérêt de ce texte qui a été adopté et, me semble-t-il, apprécié par l'ensemble des acteurs de la profession. Autre élément : je souhaitais un texte clair. Si nous l'avions compliqué en entrant trop dans le détail, en classant par exemple les contrats par catégorie, franchise, partenariat, licence et que sais-je encore, nous aurions non seulement laissé la porte ouverte à des interprétations en tous genres, mais également nous aurions obligé les entreprises à faire appel à des "experts", des spécialistes. Ce qui aurait considérablement alourdi le coût financier du développement des enseignes... et donc freiné ce développement. C'eût été une loi faite pour les experts et non pour les commerçants ! Tous ces gens qui se lancent dans la franchise n'ont pas forcément beaucoup de capital. Il fallait réduire les frais initiaux. J'ajoute tout de même que certaines enseignes ont voulu contourner la loi en disant qu'elles ne faisaient pas de la franchise, mais du partenariat. Notre texte n'est pas une loi sur la franchise, mais sur toutes les formes de commerce associé. Quel est, selon vous, l'apport d'une enseigne pour un commerçant ?Avec l'intensification de la publicité, les enfants... et nous aussi, se font à l'idée que le produit isolé, le produit que j'appelle "orphelin" n'est pas le produit idéal. Ils veulent des marques, des produits qui reflètent une image. Les produits de la franchise ne sont pas des produits orphelins. Ils bénéficient de la publicité alors que beaucoup d'isolés restent anonymes. Et puis, les marques françaises, la franchise comme les métiers de l'artisanat, dont je m'occupe encore aujourd'hui, représentent des centaines de millions d'euros de PNB. C'est de l'image, c'est fort, ça tire le produit français. J'ai beaucoup discuté avec les commerçants, je les connais bien et je me suis aperçu qu'ils avaient très vite compris que la force de la grande distribution résidait dans leur centrale d'achat. La franchise est une réponse à cette concurrence. Le commerçant bénéficie des préconisations du franchiseur sur ses produits, il a également des garanties sur la qualité, des aides pour toutes les opérations habituelles du commerçant. Ce sont ces éléments qui sont intéressants pour le commerce de proximité et je suis convaincu, bien entendu, que la franchise est un outil de développement très sain pour l'indépendant. Le commerçant ne peut plus être un spéculateur. Il y a cent ans, il pouvait garder de la marchandise lorsque les cours baissaient. Il la ressortait quand la situation s'améliorait. Aujourd'hui, il a souvent peu de moyens financiers, en début de carrière. La conjoncture varie, la concurrence est vivace. Il a besoin d'être épaulé, sécurisé au maximum, alors on crée des stages, des formations... Vous pensez que l'on devrait créer une sorte de tutorat du commerçant débutant, ce qui complèterait la franchise ?Qui sait ? On peut toujours y réfléchir.
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