Main basse sur le cuivre du Katanga

Sous les ors d'un salon parisien, la description du projet de Bill Turner fait un peu tourner la tête. "MSc, MBA, directeur" assure la carte de visite. Le "Lubumbashi" en guise d'adresse ne manque cependant pas d'intriguer. Extraire du cuivre des fins-fonds du Katanga. Pas de diamants, d'or ou de coltran. Du simple métal rouge, à 1.680 dollars la tonne. Aux confins d'une République Démocratique du Congo (RDC) exsangue, terre de massacres et de trafics entraînée dans un conflit régional qui a fait plus de 2,5 millions de morts en quatre ans. Voilà qui ne manquera pas de rappeler de bien mauvais souvenirs aux petits porteurs français piégés sur les actions de la Zambia Copper Investments (ZCI). Des années durant, la principale mine de la "Copperbelt" zambienne - qui assure la majorité des entrées en devises du pays - leur avait été présentée comme le futur eldorado de l'Afrique australe. Une gestion hasardeuse et les cours du métal rouge en ont décidé autrement.Une fois de plus, tous les éléments du pari à haut risque sont réunis pour faire de la souscription des actions de Anvil Mining NL - cotées depuis 1993 en Australie, puis à Berlin, peut être bientôt à Toronto - une opération d'"aventure capital" plus qu'un placement raisonné. Ses titres évoluent en effet au gré des troubles agitant maintenant le nord-est de l'ex Zaïre - "une zone pourtant aussi éloigné de notre site qu'Athènes l'est de Paris", minimise Bill Turner. Du coup, affichant une valeur totale de 14 millions d'euros, la société n'est ainsi pas valorisée plus de 5 fois les bénéfices qu'elle est censée générer en 2004.Le secret de cette mine qui se voudrait pépite ? Un petit gisement d'une richesse exceptionnelle. Les quelques deux millions de tonnes de ressources identifiées seraient riches de près de 9% de cuivre et de 266 grammes d'argent par tonne. Ce qui permettrait, une fois séparé, de charger des camions d'un concentré à 37,5% de métal rouge. "Une teneur exceptionnelle qui permet au minerai d'être transporté et vendu sur n'importe quel point du globe, claironne Bill Turner, et qui nous met à l'abri de toute variation du prix du cuivre". Les pelleteuses de ce site ciel ouvert sont censées pouvoir sortir 90.000 tonnes de cuivre - et 8,4 millions d'onces d'argent - en cinq ans, à un coût que ses dirigeants espèrent limiter à 0,4 dollar la livre (soit 881 dollars par tonne). Une éventuelle poursuite de l'exploitation sous terre - "les deux tiers des ressources se trouvent à moins de 100 mètres de la surface", indique un rapport préparé par les spécialistes de la banque australienne RFC Capital - doublerait cette production.Entre le départ des premiers camions de concentré, en octobre 2002, et le mois d'avril dernier, Anvil a remué près de 100.000 tonnes de minerai, dont il a extrait 4.500 tonnes de cuivre et près de 300.000 onces d'argent. Les choses sérieuses commencent sur l'exercice qui a débuté le 1er juillet. RFC Capital attend une production de 14.200 tonnes de cuivre - trente fois moins que les mines de ZCI - et de 1,3 million d'onces d'argent, ce qui pourrait générer un chiffre d'affaires de 48 millions de dollars australiens (28 millions d'euros) et des bénéfices nets de 6,7 millions (4 millions d'euros). Pour atteindre la production - et les coûts - visés, une nouvelle ligne de 4,5 millions de dollars a été apportées par la Rand Merchant Bank sud-africaine. "En dépit de ces 4,5 millions et des prévisions de cash-flow, il reste toujours 2,6 millions à trouver pour financer les dépenses en investissements sur l'exercice 2003-04", mettent en garde les analystes de RFC. Le pari zaïrois de Anvil retiendra l'attention des amateurs de placements éthiques. Comme bon nombre de gisement, la découverte de Dikulushi, dans les années 70, revient aux géologues du BRGM qui "abandonnèrent le projet", trop reculé selon Bill Turner. Vingt-cinq ans plus tard, ce dernier signait avec l'administration Mobutu une convention minière portant sur 20.000 km2. Les perspectives de bénéfices lui seraient apparues telles que le projet aurait été lancé sans même mener à bien les traditionnelles années de forages et de mesures. "Ceci était bien moins un projet ayant besoin de capitaux lourds qu'un projet nécessitant une fenêtre politique", confie l'Australien. Alors que le pays s'enfonçait dans les ténèbres, Anvil parvenait à renégocier un permis d'exploitation avec l'administration Kabila en 1998 avant de "convaincre les banques de la fenêtre qui s'ouvrait en RDC". Profitant sans vergogne de la déliquescence de l'administration congolaise, Anvil obtint d'exploiter "gratuitement" cette zone grande comme plus de deux fois la Corse. Pas d'achat du terrain bien sûr, mais pas non plus de royalties à verser comme c'est généralement le cas, ni d'impôts sur les sociétés durant les cinq premières années d'exploitation, ainsi que la possibilité de rapatrier 60% du chiffre d'affaire off-shore, le solde restant sur un compte en dollars congolais, sans obligation de conversion en monnaie locale... Les dirigeants ont beau jeu d'avancer que 10% des "bénéfices économiques de la mine" seront reversés dans un fonds destiné "au développement des communautés locales" ; de souligner l'opportunité - certes bien réelle - que représente l'installation d'une société fournissant 300 emplois pour les villages voisins. "Ils ont profité de l'inexistence d'un véritable gouvernement central, souffle un analyste parisien, et ces 10%, qu'ils ont eux même fixés, paraissent bien modestes au regard de la fiscalité imposée dans nombre de pays d'Asie ou d'Amérique Latine". Les spécialistes de RFC notent de leur côté qu'il n'est pas assuré que "les droits et les obligations d'Anvil soient absolument garantis [...] en l'absence de tout cadre légal clairement défini".Les ambitions de cette société présidée par le "chairman" de First Quantum sont cependant bien concrètes. Anvil est déjà candidate à de nouveaux permis d'exploration, de l'autre côté de la frontière, en Zambie. Surtout, ses dirigeants entendent bien monnayer le soit disant réseau de relations noué à Kinshasa. "Si la Banque Mondiale poussait à une privatisation de Gecamines [le conglomérat minier public qui a produit jusqu'à 400.000 tonnes de cuivre en 1989, ndlr], nous apparaîtrions comme un partenaire stratégique pour l'acquisition de certains de ses actifs" se prend à rêver Bill Turner. Le mythe des richesses du Katanga semble refaire surface...
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