Le casse-tête de la recherche small et mid caps

Le constat est sans appel. "Certaines petites valeurs ont aujourd'hui un vrai problème de couverture", affirme Patrick Jousseaume co-responsable de la recherche small et mid caps chez SG Securities. Certes, le phénomène n'est pas nouveau. Mais avec la crise boursière, les bureaux d'analystes ont réduit la voilure et les petites et moyennes valeurs ont été les premières à en faire les frais.L'an passé, explique Bernard Coupez, président de la SFAF, "372 sociétés cotées à Paris ont bénéficié d'au moins une étude, et 106 n'étaient suivies que par un seul bureau". Traduction : près de la moitié des 685 valeurs françaises cotées à Paris ne bénéficient d'aucun suivi. Et encore ce chiffre tient-il compte des grandes capitalisations, toutes couvertes par des analystes. "Seulement 20 à 30% des small et mid caps bénéficient d'un réel suivi, précise François Bredoux, directeur de la recherche chez Portzamparc. Ce sont en général les titres les plus liquides, susceptibles de générer du courtage pour les intermédiaires".Un manque de rentabilité structurelComme le laisse entrevoir François Bredoux, outre la désaffection des investisseurs pour les valeurs moyennes sous l'effet conjugué du développement de la gestion collective et de la chute des Bourses (les valeurs moyennes sont moins liquides et donc plus volatiles), c'est bien le manque de rentabilité de la recherche qui est pointé du doigt.Traditionnellement, c'est le marché secondaire - c'est-à-dire les flux de transactions sur les valeurs suivies - qui en est la principale source de financement. En périodes fastes, cela peut suffire. Mais en cas de baisse des marchés, les intermédiaires n'encaissent plus assez de revenus. Conclusion de François Bredoux: "sur de nombreuses small caps, le flux de transactions n'est pas assez soutenu pour financer durablement la recherche". Car "les petites et moyennes capitalisations, qui représentent 90 à 95% de la cote, ne réalisent que 5% des échanges", fait remarquer Didier Vanryb, président de Middlenext, organisme chargé de promouvoir les valeurs moyennes. Jusqu'en 2001, les intermédiaires pouvaient aussi compter sur l'apport non négligeable du marché primaire (introductions, émissions...). Mais là encore, la crise a fait des ravages. Le marché primaire n'est depuis trois ans qu'une morne plaine dans laquelle il est difficile de gagner de l'argent. Bref, la déprime boursière a mis en relief le manque de rentabilité structurel du modèle économique de la recherche small et mid caps. "Au creux de la vague, il n'y avait pas d'intérêt pour les intermédiaires à produire de la recherche sur les petites valeurs", constate Yannick Petit, président de l'AIVM, l'Association des intermédiaires en valeurs moyennes. La situation n'a pas manqué d'inquiéter la communauté financière: les analystes bien entendu, notamment avec les récents rapprochements, mais aussi les autres intervenants et les émetteurs eux-mêmes. Sans suivi par les analystes, le titre n'est plus regardé, devient peu liquide et végète dans les tréfonds de la Bourse. Le danger à terme est donc que les sociétés ne puissent plus lever de capitaux après leur introduction, ou pire encore qu'elles ignorent la Bourse. Certes, il n'est pas question de reproduire les excès du passé. "Aujourd'hui le marché tend à être plus exigeant en termes de capitalisation et de flottant qu'il y a quelques années. De ce fait, de nombreuses petites sociétés ne sont plus suivies et certaines se posent sans doute la question de l'intérêt de leur présence en Bourse", affirme Patrick Jousseaume. Ceci étant, tous s'accordent sur la nécessité de conserver des valeurs moyennes cotées. Elle garantissent une meilleure diversité au marché et surtout "la Bourse est l'aboutissement de leur cycle de financement", selon Bruno Vanryb. Or, si des petites sociétés restent cotées, il est impératif qu'elles bénéficient d'un suivi. "Un marché n'est efficient que s'il est transparent et visible. Ce qui rend nécessaire un nombre minimal d'analyses pour les valeurs cotées", poursuit Bernard Coupez. Son utilité étant prouvée, la recherche small et mid caps ne semble donc pas réellement menacée de disparition. D'autant que, les petites et moyennes valeurs offrant plus de potentiel que les poids lourds de la cote, les investisseurs auront toujours besoin de conseils pour déceler les pépites. Oddo et Cie est sans doute de cet avis, qui a intégré les small caps dans son projet de reprise du CLSE. Un soutien impératifToutefois, la profession ne pourra faire l'économie d'une refonte. Bien que la reprise des marchés soit aujourd'hui vue comme un élément de soutien pour l'analyse small et mid caps, la profession s'accorde à prévenir que la recherche ne doit plus être tributaire des seules transactions réalisées sur les petites valeurs. Certains ont déjà adopté des modèles économiques différents. Didier Le Menestrel, de la Financière de l'Echiquier, a ainsi constaté un mouvement vers l'internalisation de la recherche (buy side) dans les sociétés de gestion. Autre solution mise en avant par Portzamparc: "pour les plus petites capitalisations, le seul moyen d'assurer un suivi de leur titre de façon durable consiste à financer la recherche dans le cadre d'un contrat d'animation". Enfin, s'adosser à une équipe qui travaille sur des grandes capitalisations peut également être une alternative. Les deux équipes devenant totalement interdépendantes (elles peuvent notamment bénéficier de notations communes chez les clients), "une recherche small caps de qualité peut très bien déclencher une rétribution par des ordres sur une valeur du CAC 40", explique Patrick Jousseaume, sans entrer dans les détails d'un schéma assez complexe.Mais tous ne sont pas en mesure de mettre en place une telle structure et alors que la concertation a été engagée entre les différentes parties, nombre de pistes sont explorées. La première hypothèse serait de mettre à contribution l'émetteur, en développant par exemple l'utilisation du contrat de liquidité. Mais l'idée se heurte à des problèmes d'éthique évidents. De surcroît, "le coût de cotation pour les petites entreprises, soumises à des contraintes grandissantes, est déjà très lourd", rétorque Bruno Vanryb, qui juge une telle mesure "déraisonnable et irréaliste". Autrement dit, il ne faudrait pas que le coût de cotation devienne dissuasif pour les entreprises. Il paraît également difficile de demander aux destinataires de l'analyse (les investisseurs) de mettre un peu plus la main à la poche (voir encadré).En fait, la résolution du problème semble nécessiter une réforme plus profonde. "Nous devons aller vers une défragmentation de la cote, vers une liste unique. Cela donnera plus de visibilité aux petites valeurs et renforcera l'utilité des outils de décision tels que les analyses", estime Yannick Petit. Enfin, beaucoup s'accordent à penser qu'il faut rendre plus attractives les petites valeurs pour les intermédiaires spécialisés, qui concrètement souhaiteraient un statut bien défini et des avantages. Et là, c'est Euronext qui est appelé à l'aide. "La diminution des coûts de transaction sur les small caps pourrait être envisagée mais cette solution reste difficile à mettre en oeuvre. Une autre piste possible serait de faire participer Euronext au financement des bureaux de recherche spécialisés", explique un observateur. La balle est donc aujourd'hui dans le camp d'Euronext. "Des groupes de travail ont été constitués. L'idée générale est que nous réfléchissons à un dispositif pour encourager le suivi des valeurs moyennes", a répondu à latribune.fr une porte-parole d'Euronext qui, pour l'heure, ne souhaite pas en dire plus sur les mesures à l'étude.Olivier DecarreLes analystes coûtent-ils trop cher?Lorsqu'un système est structurellement déficitaire, on peut tenter d'en augmenter les recettes ou d'en réduire les coûts. Dans la recherche small et mid caps, les coûts ont d'ores et déjà été abaissés: réductions d'effectifs, diminution ou suppression des bonus... Mais, au risque de déplaire, certains se posent la question de savoir si les analystes n'ont pas des salaires encore trop élevés par rapport à l'utilité de leur production, surtout lorsqu'on évoque la possibilité de faire payer les gérants. "Les investisseurs rémunèrent déjà correctement les bons analystes", lance Didier Le Menestrel de la Financière de l'Echiquier, en ajoutant que l'utilité de la recherche "sell side" est pour une maison comme la sienne assez limitée. Et de conclure très directement : "peut-être ces problèmes de rentabilité structurels proviennent-ils des salaires trop élevés des analystes et des vendeurs?".
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