Avis d'Expert : du "Prix de l'excellence" à "Blue ocean"

Jean-Michel Saussois, professeur à l'ESCP-EAP, met en perspective deux livres à succès, l'un écrit dans les années 70, l'autre aujourd'hui. Ces deux livres affichent des concepts managériaux totalement différents. Le premier n'a pas tenu la distance. Le second résistera-t-il aux épreuves du temps ?

Le marché des doctrines managériales relève de la logique de fonctionnement du marché de la mode, avec ses tendances taille/coloris, ses saisons été/hiver. Quelques fois, les modes se démodent vite et la recette managériale , déjà tombée dans le mépris du côté des universitaires gestionnaires tombe dans l'oubli du côté des consultants. Plus un consultant n'oserait vanter les mérites des T group ni les recettes du manager minute de Blanchard. C'est le "coaching" aujourd'hui qui serait plutôt tendance. Il faudrait ouvrir un musée de la mode managériale pour se rendre compte des évolutions des goûts. Certaines recettes managériales rencontrent aussi, de façon inattendue, leur public et font exploser les ventes de livres. Ce fût le cas pour "In search of excellence", traduit en français par "le prix de l'excellence" (1), qui connut un succès de librairie aux Etats- Unis et en France.

Prix de l'excellence ou prix de l'échec ?

Aucun cadre ne réagit aujourd'hui à l'évocation de ce livre qui était pourtant sur la table de chevet de tous les dirigeants français et qui était distribué lors de séminaires pour dirigeants de haut niveau. Un universitaire montrera de façon cruelle la futilité de la mode.
Enseignant à Stanford Business School, Richard Tanner Pascal fera remarquer que cette démarche, consistant à attribuer des critères d'excellence aux entreprises que l'on observe, revient à attribuer des critères d'excellente santé aux habitants des villes ayant résisté à la peste bubonique au temps du moyen âge. Une étude détaillée aurait, peut - être, révélée que parmi ces survivants, certains buvaient du vin rouge ou du vin blanc ou bien étaient mariés ou célibataires ou bien étaient catholiques ou athées. Cinq ans après la publication du livre sur l'excellence, on ne pouvait que constater que plus des deux tiers des entreprises jugées excellentes étaient soit en difficulté soit en faillite.

Destination, tranquillité

Aujourd'hui, le prix de l'excellence écrit dans les années 70 cède la place à un autre livre intitulé "Blue ocean" (2). Son succès de librairie aussi impressionnant, succès planétaire en résonance avec la mondialisation. D'une certaine façon, Chan Kim et Renée Mauborgne, les deux auteurs, enseignants de l'Insead (le MBA de réputation mondiale installé à Fontainebleau NDLR) qui connaissent bien le milieu académique, intègrent la critique faite sur la faiblesse méthodologique du "Prix de l'excellence". Dans "Blue ocean", ce n'est plus la firme qui est étudiée dans ses performances intrinsèques. Mais le secteur (industry en anglais) et cela sur un temps long, un siècle pour certains secteurs. Les auteurs expliquent plutôt la façon dont la firme s'y est prix ou doit s'y prendre pour aller précisément dans une mer calme, c'est-à-dire une mer qui ne soit pas agitée par une concurrence intempestive et finalement suicidaire.

Du sang !

Les firmes doivent chercher l'océan bleu plutôt que la mer rouge de la concurrence, qui se révèle en fait comme un coupe gorge où tous les coups sont permis. Ce qui explique le succès des firmes, disent les auteurs, c'est d'une certaine façon leur intelligence à éviter les endroits où la concurrence est trop dure et "où le sang coule". Il faut que les firmes cherchent des marchés "incontestés". La métaphore ici se substitue au raisonnement. Le succès est impressionnant puisque les deux auteurs ont vendu en un an I million de livre, livre traduit en 32 langues Quelle sera la durée de vie du livre ? La réponse appartient au marché.

1 : Le prix de l'excellence, les 8 principes fondamentaux de la performance, par Tom Peters et Robert H. Waterman, Dunod.

2 : Blue ocean strategy : how to create uncontested market space and make the competition irrelevant par W. Chan Kim, Renee Mauborgne. - Harvard Business School Press

(Le chapô et les intertitres sont de la rédaction)

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