Grand-mère courage

Dans "Alexandra", le Russe Alexandre Sokourov met en scène la visite d'une vieille dame à son petit-fils, officier dans un camp militaire en Tchétchénie. Un point de vue exclusivement russe sur cette guerre ravageuse qui ne remet pas en question la présence militaire de Moscou, mais effectue une tentative de rapprochement entre les deux peuples par l'entremise des femmes.

Une babouchka débarquant dans un camp militaire au fin fond de la Tchétchénie... C'est une tournée d'inspection pour le moins originale qu'imagine le Russe Alexandre Sokourov. Cinéaste indépendant et passablement esthétisant, dans la lignée d'Andreï Tarkovski, celui-ci est l'auteur de films très personnels, dont des biographies insolites de personnages historiques, Hitler dans "Moloch" (1999), Lénine dans "Taureau" (2001), Hiro-Hito dans "Le Soleil" (2004).

Dans "Alexandra", film en compétition au dernier Festival de Cannes, ce fils de militaire montre la déshumanisation induite par la guerre dans une caserne où déboule la vieille dame, telle la "Mère courage" de Bertolt Brecht. Cette guerre interminable n'a rien d'héroïque, elle est à la fois invisible et omniprésente, vue sous son angle quotidien à travers la fatigue, la saleté, la précarité de l'existence dans un camp de tentes poussiéreuses, non loin de la ligne de front.

Là, sous un soleil implacable, les hommes s'agitent en permanence comme des fourmis affolées sous le regard acéré de la vieille dame qui souligne toute l'absurdité de leur situation.
Cette figure typiquement russe de la babouchka nommée Alexandra Nikolaevna en mission civilisatrice dans un monde barbare est magnifiée par les images sépia du directeur de la photographie Alexander Burov.

Tourné dans des conditions difficiles, sous la protection du FSB (ex-KGB) dans un vrai régiment russe, dans la région de Grozny, le film laisse entendre les explosions au loin et montre les destructions subies par les populations tchétchènes, vivant dans des conditions atroces dans des immeubles en ruines. Mais, si Alexandra constate avec lucidité les désastres matériels et humains provoqués par la guerre dans les deux camps, elle n'en représente pas moins un point de vue exclusivement russe sur le conflit, sans contrepartie du côté tchétchène.

A 81 ans, pour ce premier rôle au cinéma, la cantatrice Galina Vichnevskaïa, veuve du violoncelliste Mstislav Rostropovitch, incarne avec beaucoup de crédibilité cette vieille dame à la silhouette lourde et fatiguée, mais à la détermination inflexible. Venue de l'autre bout de la Russie, elle brave l'inconfort du voyage en train militaire, et c'est finalement dans un tank qu'elle franchit de nuit les portes du camp.

Elle est venue retrouver pour quelques jours son petit-fils Denis, un capitaine de 27 ans en mission à Grozny, qu'elle n'a pas vu depuis sept ans. Bénéficiant d'un permis spécial, elle a toute latitude pour mesurer la misère humaine des ces hommes, vieillis avant l'heure, sales et suants dans leurs uniformes qu'ils ne quittent jamais. Bravant les interdits, la vieille dame s'immisce partout, inspirant un respect quasi religieux chez ces jeunes hommes en mal de repères affectifs. Sans mâcher ses mots, elle les réconforte et les rabroue tour à tour, les enjoignant à plus de propreté, d'humanité.

Sortie du camp, elle se rend au marché local et rencontre des femmes tchétchènes, avec qui elle se lie d'amitié. Mais, tout en constatant les terribles destructions causées par la guerre, elle exhorte ses amies tchétchènes à la patience, voire à la résignation. Celles-ci reçoivent le message sans espoir toutefois qu'il soit transmissible aux hommes qui combattent pour leur autonomie. C'est la limite de ce film dont l'humanisme est à sens unique.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.