Louis XVI avait La Pérouse, George III a eu James Cook. L'explorateur anglais du XVIIIe siècle est une des figures clés de l'histoire britannique. Comme son homologue français, il a contribué à mieux connaître l'Océan Pacifique, ses îles, ses habitants et ses ressources naturelles. Comme le Français, il est mort sur ces cotes paradisiaques.

Dans son dernier roman "Le retour", Anna Enquist s'est focalisée sur la compagne du voyageur, Elizabeth. Elle nous livre un superbe portrait de femme et une très riche description du Londres des années 1770. Avec cette interrogation qui traverse tout le roman : comment concilier sa vie de couple avec les longues absences de l'homme qu'elle aime ?

Cette vie en pointillé permet à la romancière de varier les points de vue sur les personnages. Dans une première partie, Elizabeth attend le retour de James. Sa vie s'est organisée depuis longtemps autour de son absence. Elle nous livre ses craintes, ses désirs et ses projets, mais aussi les circonstances des voyages de Cook qui sont distillés par bribes.

Puis le héros arrive après un voyage autour du monde de trois ans. La vie semble reprendre dans la petite maison des bords de la Tamise. Pourtant le couple n'est plus en phase depuis longtemps. Dans des pages très émouvantes, Anna Enquist explique comment cette femme tente de raconter à son mari le deuil déjà ancien de leur enfant que le marin pensait serrer dans ses bras à son retour.

Un autre homme

James Cook parle peu de ses aventures autour du monde. Le lecteur découvre ses périples à travers le regard de sa femme qui réécrit ses journaux de bord en vue de les publier. Et là, Elizabeth découvre un autre homme : "L'homme qu'elle aimait, qui était une partie d'elle-même, le père de ses enfants, devenait un inconnu dans ce livre. Un homme qui faisait rosser les matelots et retranchait des rations, qui obligeait ses hommes à trimer jusqu'à l'épuisement total..."

La romancière brosse le portrait de deux êtres qui mènent désormais des vies parallèles : le mari, qui une fois à terre ne pense qu'à son prochain voyage, et la femme qui ne sait comment l'empêcher de repartir. Mais face à l'ambition, à la gloire et à la reconnaissance de tout un pays, que vaut l'amour d'une femme ?

En inversant les points de vue, en donnant la parole à une femme restée dans l'ombre du mythe de Cook, Anna Enquist signe un livre sensible et intelligent. Un superbe roman historique allié à un portrait psychologique d'une grande finesse.

Informations pratiques :
"Le retour", d'Anna Enquist. Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin. Actes Sud, 490 pages, 23 euros. A lire aussi : "Relations de voyages autour du monde" de James Cook, réédités en poche à La Découverte.