Marchandage des corps

"Import/Export", dernière pièce magnifiquement sombre de Koen Augustijnen, est une nouvelle réussite des incontournables Ballets C. de la B.

Le monde tel que le montre Koen Augustijen dans sa nouvelle chorégraphie "Import/Export" n'a rien de réjouissant. Un monde sombre et violent, cynique et cruel, où règne une souffrance honteuse, le constat est implacable. C'est après avoir visionné "Le Cauchemar de Darwin" - un documentaire d'Hubert Saupert sur les effets pervers de la mondialisation en Afrique - que le chorégraphe et danseur belge a voulu réagir à l'aide de ses propres moyens.

"Import/Export" est donc une dénonciation mais surtout un aveu d'impuissance. Sur scène: des containers, le décor froid d'un entrepôt portuaire où se jouent les transactions évoquées par le titre de la pièce. Les marchandises vont et viennent, ballottées, bousculées. Les humains n'y sont pas mieux considérés.

Lorsque le plateau se dévoile, les six danseurs sont à terre, assis en tailleurs, le regard fixe. Ils oscillent en rythme. On les imagine dans la cale d'un bateau. Leurs genoux frappent le sol à chaque basculement. D'abord doucement, puis de plus en plus rapidement. Le bruit qui accompagne chaque choc augmente. Toujours plus fort. Cette première scène annonce les suivantes où chacun des six danseurs subira à tour de rôle son lot de tourments. Sans ménagement, les corps se feront agresser, traîner, écarteler, jeter.

Pour éviter la claustrophobie, Koen Augustijnen ponctue sa pièce de touches d'humour. On rit souvent, mais d'un rire en demi-teinte devant ce portrait grotesque et dérisoire d'un monde qui semble avoir perdu la raison. Autre bouffée d'oxygène: la musique, interprétée sur scène par le quatuor à cordes Kirke qui n'hésite d'ailleurs pas à participer à certains passages dansés. Dans la chorégraphie ou dans la musique - dans le chant aussi avec Steve Dugardin, alto à la voix pleine de mélancolie - les acteurs de cette comédie sinistre et fascinante dégagent une énergie et une émotion affolantes.

Les Ballets C. de la B. - dirigés par Alain Platel et qui sont à l'origine des plus grands talents contemporains, de Wim Vandekeybus à Sidi Larbi Cherkaoui - ne faillissent pas à leur réputation. Koen Augustijnen qui en est issu s'était fait remarquer avec "Bâche" il y a deux ans. "Import/Export" est dans sa directe continuité, une danse poétique et réaliste, physique et émotionnelle.


"Import/Export" jusqu'au 27 janvier au Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris, 18e. www.theatredelaville-paris.com Tél: 01 42 74 22 77.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.