Le lancement du drone de renseignement Advanced UAV reste dans l'incertitude

Près de quatre ans ont été nécessaires pour monter à trois pays un programme en coopération dans les drones de renseignement. La France, l'Allemagne et l'Espagne viennent de notifier à EADS en tant que maître d'oeuvre un contrat d'étude de réduction de risque pour un projet baptisé Advanced UAV. Quatre ans où EADS a été soutenu à bout de bras par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, et la Délégation générale pour l'armement. Retour sur l'histoire d'un programme mal né.

Le lancement d'un grand programme de drone (avion sans pilote) européen peine toujours autant à décoller. En dépit du forcing d'EADS, soutenu depuis quatre ans par la DGA (Délégation générale pour l'armement du ministère de la défense), le lancement d'un programme de drone de renseignement Advanced UAV reste suspendu en France aux conclusions du Livre blanc sur la défense, selon nos informations. Il devrait être officiellement publié en février 2008.

En clair, le besoin opérationnel de ce système devra être démontré par le Livre blanc, puis entériné par le ministère de la Défense. Et ce même si les trois pays partenaires du programme Advanced UAV (Allemagne, Espagne et France) viennent de notifier à EADS en tant que maître d'oeuvre (La Tribune du 21 novembre) un contrat de réduction de risques d'une durée de quinze mois d'un montant de 60 millions d'euros (20 millions par pays). EADS devra "définir la solution technique répondant aux besoins opérationnels des trois nations et mènera les actions de réduction des principaux risques techniques, financiers et calendaires associés", a précisé la DGA dans un communiqué publié aujourd'hui. Ce contrat fait appel aux branches française, allemande et espagnole d'EADS Defense & Security ainsi qu'à Indra (Espagne) pour le radar et à Thales (radar et data links).

Depuis juin 2004, ce programme mal né et baptisé alors EuroMale, est allé jusqu'ici de déboires en déboires. Pourtant tout avait bien commencé. Dassault Aviation et EADS se mettent d'accord lors du salon de l'armement terrestre Eurosatory pour signer un "Yalta" des drones aux dépens de l'électronicien Thales, qui vit d'ailleurs à cette période le prélude d'un automne 2004 agité avec l'opération de rachat de l'électronicien ratée d'un cheveu par le groupe franco-allemand. A EADS, la maîtrise d'oeuvre de l'EuroMale avec une participation significative de Dassault Aviation. A l'avionneur, celle de l'UCAV Neuron (avion de combat sans pilote), qui accrochera sans difficulté des participations européennes. Selon le ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, EADS et Dassault ont "signé un accord fondateur sur les drones, Male et Ucav, qui préfigure l'avenir de l'industrie européenne des avions militaires, de combat et de reconnaissance". Enfin, selon les prévisions des industriels, l'EuroMale doit voler en 2008.

Après l'enthousiasme des signatures, EADS rencontre très vite des difficultés à fédérer autour d'un projet de drone d'observation les pays européens, notamment l'Allemagne en panne de budget. Pourtant, le coût de lancement est estimé à 340 millions d'euros, une goutte d'eau pour un projet en partenariat. Les Allemands rechignent également car le projet, tel qu'il est configuré par les Français, ne correspond pas à ses besoins opérationnels identifiés. la Bundeswehr, son armée veut un drone de reconnaissance. La France n'en a pas besoin grâce son système RECO-NG qui équipe ses avions. Fin 2005, le constat est clairement à l'échec pour EADS : seule l'Espagne souhaite monter à bord de l'EuroMale en y apportant 40 millions d'euros. La France est quant à elle prête à financer à hauteur de 75 millions d'euros, EADS apportant enfin 100 millions. Pas assez pour lancer le programme.

Début 2006, la guerre des drones débute en coulisse entre les trois grands du secteur de la défense en France, EADS, Thales et Dassault Aviation. Après avoir été sélectionné par le MoD (ministère de la Défense) britannique pour fournir un drone tactique Watchkeeper, Thales se sent pousser des ailes en France et veut sa revanche sur EADS. Sentant son rival dans une impasse, l'électronicien n'hésite pas à chasser sur le pré carré du groupe européen en faisant une offre non sollicitée à la DGA. Il propose à François Lureau,, le Délégué général pour l'armement, une version francisée du programme britannique Watchkeeper. Sans succès en dépit du prix attractif du programme.

EADS est dans l'impasse et l'avoue publiquement en juin 2006 lors du salon d'Eurosatory. "Nous sommes dans une impasse alors que nous avons un projet et déjà réalisé des investissements", regrette alors le patron de la division défense d'EADS, Stefan Zoller. Ce constat pousse le groupe européen à changer son projet EuroMale en proposant une plate-forme européenne (via son projet développé sur fonds propres Barracuda) pour satisfaire les exigences de la DGA qui souhaite avoir une maîtrise européenne totale sur cette technologie. Du coup EADS va reléguer sur la touche son partenaire israélien IAI, qui devait lui fournir la plate-forme Eagle 2 pour EuroMale. La DGA, qui a toujours soutenu un programme en coopération, maintient la confiance à EADS en dépit des proposition de Thales. En juin, un accord semble se dessiner "à condition d'un coût acceptable". EuroMale est désormais attendu en 2013-2014. EADS a déjà perdu plus de 120 millions d'euros sur ce projet.

Il faudra attendre un an de plus pour que le projet aboutisse dans la douleur. A l'automne 2006, EADS remet tant bien que mal un projet de drone européen de surveillance, et non plus d'observation. C'est un compromis entre les besoins opérationnels français (observation) et allemand (reconnaissance) pour faire monter Berlin dans le programme. Soutenu par Michèle Alliot-Marie, EADS négocie alors avec trois pays européens - Allemagne, France et Espagne - le lancement d'un programme baptisé Advanced UAV. Ce nouveau projet réduit à la portion congrue la charge de Dassault Aviation. Furieux, le patron de l'avionneur Charles Edelstenne refuse de poursuivre avec EADS. L'alliance, qui préfigurait "l'avenir de l'industrie européenne des avions militaires, de combat et de reconnaissance" est bien finie.

Au début de l'année 2007, la guerre des drones s'intensifie. Thales et Dassault Aviation, qui a dû mal à digérer ses démêlés avec EADS, proposent à la DGA au printemps deux projets de drone, l'un à court terme pour satisfaire les besoins opérationnels de l'armée française, et l'autre à long terme, qui est le concurrent de l'Advanced UAV. En vain. La DGA maintient sa confiance à EADS. Et tord le bras à Thales pour qu'il reste dans l'Advanced UAV et surtout qu'il ne fasse pas capoter le programme. Elle aurait eu recours à la pression sur d'autres programmes en cours de discussions entre la DGA et Thales, explique-t-on dans les milieux de la défense. Ce qui ravit EADS, où on explique que Thales a été "remis à son rang d'équipementier, son rôle normal dans les systèmes".

A la veille du salon aéronautique du Bourget, en juin, Charles Edelstenne ne décolère pas sur ce dossier. "Le budget français déjà contraint va servir à dupliquer hors de France des compétences qui existe déjà en France, explique-t-il lors d'une conférence de presse. Je le déplore et les leçons des programmes en coopération ne sont pas apprises". Le PDG de Dassault Aviation annonce avec jubilation avoir conclu une coopération sur un drone Male avec Thales, qui, lui, reste plutôt discret sur ce projet. Et pour cause...

EADS a quant à lui enfin son projet et ses contributeurs, Allemagne, Espagne et France. Le groupe européen propose de reprendre dans son projet de drone Male (Moyenne altitude et longue endurance). les technologies développées par le biais du démonstrateur allemand Barracuda. Le projet d'EADS prévoit de lancer dans un premier temps un drone de surveillance, puis de reconnaissance pour le besoin de l'armée allemande. La signature était attendue au début du salon.

Mais c'était sans compter sur les lenteurs administratives du ministère de la Défense allemand. Le 22 juin, la DGA publie un communiqué sur une coopération entre la France, l'Allemagne et l'Espagne. Les trois pays "s'accordent sur un arrangement technique pour une phase de réduction de risques d'un Advanced-UAV". Ce qui vient d'être confirmé avec la notification à EADS par le BWB allemand, l'équivalent de la DGA, d'un contrat d'étude de réduction de risques pour l'Advanced UAV. Ce drone est désormais attendu à l'horizon 2015 pour équiper les trois armées.

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