Antoine Rougement est cadre dans les assurances, un cadre "normal", costume gris anthracite, bon dans son travail, avec "un joli poste de cadre dirigeant, rien à ajouter". Mais pas aussi brillant qu'Alexandre, le nouveau mari d'Inès, son ex-épouse. Détaché, indifférent. Sa vie passe au second rang. Trop hésitant! Il reste en marge. Mais dans sa tête, il la commente. Il détaille. Il évalue. Il compare. Il rumine. Les situations, les gens, les petites phrases, les comportements, comme un assureur. Jusqu'aux bruits de chaise. Il y a cette scène inaugurale d'un enterrement de son ex-belle soeur où se trouve son ex, Inès. Une atmosphère de crachin.

Rougement se demande s'il va aller au cocktail qui suit la messe. Là, il fait les comptes. Un inventaire des carrières de ses homologues assureurs, et tout ce qu'il a fallu d'ambitions et d'hypocrisie pour que certains deviennent des cadres dirigeants en vue dans le gratin des assurances privées. Tous miroitent le gâteau de la sécurité sociale.

L'auteure Emmanuelle Heidsieck se fait grinçante et glaçante sur les petits complots qui se trament pour mettre la main sur le pactole et privatiser l'administration. Il risque en effet de pleuvoir. La satire dure deux heures et se lit avec un plaisir malicieux. La leçon est salubre et bien menée. A la fin, une pensée fugitive de meurtre envahit Antoine de Rougemont: tuer son rival, le beau père de ses enfants, qui a tout réussi? Mais cela reste dans sa tête comme un calcul vain. Un calcul de plus. Dans la voiture qui glisse sur le boulevard Saint-Germain à Paris, Antoine se sent pris au piège. Le livre se termine ainsi: "Je la vois rire, je ne vais pas tenir, je sens que je ne peux plus lutter, et la détresse m'envahit pendant que nous glissons vers le petit truc après."

Emmanuelle Heidsieck, Il risque de pleuvoir, coll. "Fiction & Cie, Seuil, février 2008, 125 pages, 15 euros