Optimisme de rigueur pour la rentrée du marché de l’art

En cette rentrée, la tendance sur le marché de l'art est plutôt dynamique. De nombreux événements à travers la planète, la montée en puissance du numérique contrebalancent largement les observateurs qui s'inquiètent d'un risque d'éclatement de bulle au regard du niveau des cotations. Revue de détail.
Parmi les autres expositions significatives à venir : Jeff Koons (en photo) présentera au Louvre à Paris en 2015, ses grandes sculptures Balloon Rabbit, Balloon Swan et Balloon Monkey, et Sonia Delaunay au Musée d'art moderne de Paris en février puis à la Tate Modern de Londres, du 15 avril au 9 août 2015.

Le dernier rapport publié par la TEFAF stipule que « le marché de l'art et des antiquités est revenu à des sommets atteints lors du boom précédant la récession » ; avec une croissance de 17 % pour le premier semestre de l'année 2014, et un total de 5,22 milliards d'euros réalisés en enchères publiques. Ces chiffres pourraient laisser penser à une bulle, mais de nombreux arguments semblent aller contre cette idée, et laissent à penser que cette croissance exponentielle devrait se poursuivre pendant l'année à venir. Thierry Ehrmann, fondateur et président d'Artprice, a expliqué à l'Agence France Presse (AFP) que la « très bonne santé du marché de l'art » devrait se confirmer pour l'ensemble de l'année 2014 « sauf événement géopolitique majeur ». Dans cet esprit, alors que le monde de l'art se réveille doucement de ses vacances du mois d'août, intéressons-nous à ce que nous réserve l'année à venir.

Nouvelle vague ou routine ?

«Le marché de l'art prend une nouvelle direction, au vu de la réalité des facteurs économiques à l'œuvre aujourd'hui », conclut le rapport semi-annuel publié par Skate's ; mais c'est la façon unique dont fonctionne le marché de l'art qui permet à ce boom de perdurer. Les prix ​​de l'art évoluent indépendamment du reste de l'économie, c'est-à-dire indépendamment de l'évolution du PIB d'un pays ; tandis que les œuvres demeurent un investissement peu réglementé avec une opacité qui peut sembler attractive. Le rapport poursuit : « Aujourd'hui, nous voyons que la qualité et la valeur de l'art ne sont plus déterminées par l'histoire ou la critique, mais plutôt par les prix et l'intérêt suscités lors des ventes aux enchères. » Cette constatation est due à l'apparition d'une nouvelle vague de collectionneurs ayant investi le marché de l'art, dits « flippers », qui cherchent un retour rapide sur investissement, plutôt qu'à constituer une collection. Cependant, il semble qu'il ne s'agisse pas d'une tendance passagère, mais plutôt d'une des caractéristiques désormais intrinsèques au marché de l'art. Le New York Times a rapporté ce mois-ci que « les œuvres d'art ont  changé de main plus rapidement ces dernières années », selon des données publiées par Tutela Capital, une société qui base ses analyses sur les résultats de ventes aux enchères. Mais la tendance n'est pas nouvelle - « les œuvres d'après-guerre et contemporaines ont été en moyenne revendues en 2013 après 3,1 années de détention, contre 3,6 années en 1995. »

L'influence d'Internet

Il est possible que l'arrivée de cette nouvelle génération de collectionneurs marque un tournant dans la façon de consommer, mais surtout de vendre de l'art. En effet, ces nouveaux acheteurs permettent à Internet de prendre une place croissante dans le commerce de l'art. Le monde de l'art est l'un des seuls milieux culturels à avoir jusqu'alors résisté à une mutation totale vers le numérique et une partie des plates-formes existantes peuvent parfois paraître « primitives ».  Mais, douze ans après un premier partenariat qui avait été un échec, cette année a vu la renaissance d'une alliance entre Sotheby's et eBay, preuve de la confiance qu'ont ces acteurs dans le potentiel de développement de ce segment.

Cependant, la longévité de certains sites de vente en ligne a récemment été remise en question. Malgré les résultats positifs récemment publiés par la maison de ventes aux enchères en ligne Paddle8 - qui annonce une activité multipliée par quatre en un an -, aucune mention n'est faite des revenus réels de l'entreprise. En outre, il y a la question du suivi des résultats des enchères en ligne, qui sont peu documentés. Clare McAndrew d'Art Economics a récemment expliqué à l'agence Bloomberg que ce manque de transparence étaient dû au manque de succès : « Si [les commissaires-priseurs en ligne] se portaient réellement bien, il ne fait aucun doute qu'ils vous diraient tout ». En août 2014, BidSquare a été lancé dans un but de récupérer le marché des enchères en ligne : fondée par six commissaires-priseurs américains, le site vise à fournir aux plus petites maisons d'enchères - qui sont obligées d'utiliser les plates-formes, y compris Live Auctioneers - plus de sécurité dans leurs transactions et de protection vis-à-vis des enchérisseurs peu fiables. Carlos Rivera de ArtRank.com explique à AMA: « Les enchères en ligne vont bien, mais l'argent est en réalité réalisé avec les ventes privées en ligne. Pas de la façon dont Christie's et Sotheby's organisent des ventes privées - je veux dire d'une manière automatisée, avec un dépôt fiduciaire, anonyme et sécurisée. Une plate-forme de ce type va changer la nature du commerce de l'art. »

Mais la modernisation et l'évolution du marché de l'art n'est pas seulement l'apanage des sites d'enchères en ligne.  Au cours des dernières années, un grand nombre de start-ups ont cherché, parfois avec succès,  à révolutionner le fonctionnement du marché de l'art. Angela Roldán de Vastari - la plate-forme en ligne fondée en 2012, visant à mettre les collectionneurs en contact avec les musées et les galeries - explique à AMA: « Nous essayons d'apporter de la visibilité et de rendre l'échange d'œuvres d'art beaucoup plus facile [...] tout le monde va de l'avant et le monde de l'art ne doit pas se laisser distancer. »

Toutefois, cette année a vu le lancement d'ArtRank, un type de plate-forme innovante qui  a pour objectif d'influencer le marché de l'art d'une manière intéressante. Selon le site web de l'entreprise : « ArtRank apporte de la transparence sur les prix à une classe d'actifs totalement opaques et souvent manipulés. » Le Fondateur de ArtRank, Carlos Rivera, explique qu'Internet a fondamentalement changé le monde de l'art : « Alors que les mouvements artistiques historiques avaient besoin de temps pour exposer, parce que pour connaître les opinions des marchands d'art, des collectionneurs, des experts, il fallait nécessairement les faire venir, les artistes ont  aujourd'hui Instagram et Facebook pour mesurer globalement et instantanément leur succès. C'est la raison de l'homogénéisation rapide des travaux au sein d'un mouvement et du raccourcissement des cycles des courants artistiques. » La base de données d'ArtRank conseille ses clients sur quand acheter et quand vendre, fonctionnant à l'aide d'un algorithme qui tient compte de six facteurs clés concernant le travail de l'artiste : visibilité, résultats d'enchères, saturation du marché, soutien du marché, représentation et cartographie sociale; qui nous ramène à la conclusion de Skate's que l'histoire ou la critique a perdu de son importance dans l'évaluation d'une œuvre. Le Guardian affirme qu'ArtRank est une nouvelle preuve de la convergence entre l'art et la finance, attisant la crainte que les spéculateurs (« flippers ») contrôlent le marché. »

Les artistes à surveiller

Alors qu'Internet semble être un terrain prometteur pour les mois à venir, l'art d'après-guerre et l'art contemporain seront, comme c'est le cas depuis plusieurs années, les périodes les plus porteuses. L'année 2013 a vu une hausse de 11 % en valeur de l'art d'après-guerre et contemporain, représentant 46 % des ventes des Beaux-Arts, devenant les secteurs les plus importants du marché. La pièce la plus chère vendue cette année a été Black Fire I de Barnett Newman, cédée pour 84,2 M$. Le rapport semestriel de Skate's précise que « les données montrent que depuis 2011, entre 328 et 721 œuvres figurant dans le Top 5.000 sont de nouvelles entrées, la première moitié de l'année 2014 prolongeant donc la tendance qui permet à de nouveaux artistes de vendre au même niveau que des artistes établis. » Carlos Rivera cite, parmi les artistes à surveiller : Will Boone, Wyatt Kahn, Aaron Gar Garber Maikovska, Grear Patterson, Jonas Wood et Danh Vo.

À prendre en considération également, les marchés émergents, qui poussent les centres habituels, comme Londres et New York, vers les arts africains et du Moyen-Orient. L'exemple le plus représentatif de cet intérêt grandissant est l'exposition « Here and Elsewhere », organisée par Massimiliano Gioni, au New Museum de New York. Carlos Rivera décrit lui aussi Cape Town comme un marché émergent très porteur : « Les milliards qui sont réalisés à travers l'Afrique sont dépensés à Cape Town. C'est le Monaco de l'Afrique. La scène artistique est prometteuse, dynamique et un lieu de villégiature pour les collectionneurs du continent. »

La bulle peut-elle éclater ?

Alors que les prévisions de Thierry Ehrmann sont positives, « en l'absence d'événement géopolitique majeur », il faut noter que ce type d'événements n'est pas à exclure, et qu'il en existe déjà actuellement dans certains marchés localisés qui ont un impact considérable sur la santé de  l'industrie artistique. AMA a récemment rapporté le bombardement du Museum of History and Culture de Luhansk en Ukraine, dans le cadre des conflits entre les séparatistes pro-russes et les forces ukrainiennes. Le ministère de la Culture en Ukraine a depuis tout fait pour protéger les musées nationaux et a demandé aux médias d'éviter « de mettre l'accent sur l'héritage culturel », afin d'éviter qu'il ne devienne une cible systématique. Le patrimoine culturel irakien a lui aussi été mis en danger une nouvelle fois par la violence des conflits. Ce pays, qui a vu ses sept musées majeurs être victimes de pillages au moment de l'assaut des américains à Bagdad en 2003, est aujourd'hui le terrain d'un trafic considérable de biens culturels.

Évidemment, le marché culturel n'est pas le seul secteur de l'économie nationale de ces pays à ressentir les effets de la guerre. Ces deux exemples sont très spécifiques et ne reflètent pas la situation du  reste du marché. Toutefois, Artprice raconte que « la première Guerre du Golfe en 1991 a déclenché l'effondrement du marché. » La période de forte instabilité politique que nous traversons pourrait impacter le marché de l'art, citons par exemple les sanctions importantes dont la Russe fait l'objet, ou le mouvement du boycott culturel contre Israël.

Malgré la bonne santé du marché de l'art, la baisse des actions de Sotheby's autour de 41 $ cette semaine, comparés aux 53 $ du mois de janvier, peut laisser penser que certains doutent de la pérennité de la situation. Carlos Rivera explique à AMA qu'il croit que « le public est aujourd'hui dans une phase maniaque alimentée par l'attention des médias, la cupidité et l'illusion. Les marchands d'art, les conseillers, les maisons de ventes et les collectionneurs appellent ça le nouveau paradigme, encouragés par le niveau élevé de la richesse mondiale. La valeur de l'art contemporain dépasse toute valeur rationnelle. [...] La question n'est pas de savoir si nous sommes dans une bulle mais plutôt si la bulle va éclater. » Des articles récents du New York Times et d'Art Market Monitor expriment aussi cette crainte que les entreprises œuvrant au sein du marché de l'art aient atteint des sommets indépassables.

À venir cette année

Quant à ce qui attend le marché de l'art pour ces mois à venir, de nombreux événements majeurs sont prévus : d'abord la fondation Louis Vuitton ouvre ses portes au milieu du Bois de Boulogne à Paris, le 27 octobre. Le bâtiment de la fondation,  conçu par  l'architecte Frank Gehry, se veut un centre de promotion de la création artistique française et internationale, tandis que les collections et programmes mettront en avant les mouvements créatifs des XX et XXIe siècles.

Une autre inauguration aura lieu à Singapour, avec l'ouverture de la National Gallery de Singapour, proposant des pièces d'Asie du sud-est, dont Singapour, du XIXe à aujourd'hui. Deux bâtiments historiques — le City Hall et l'ancienne Court Suprême — vont être rénovés pour accueillir la National Gallery.
À l'inverse, 2015 marquera la fin d'une ère pour la Hayward Gallery de Londres, qui fermera ses portes pendant deux ans pour des travaux d'agrandissements. Avant la fermeture, le musée exposera l'artiste belge Carsten Höller qui utilisera à sa guise le bâtiment, avec une carte blanche liée aux travaux de rénovation qui y seront menés.

Parmi les autres expositions significatives à venir : Jeff Koons présentera au Louvre à Paris en 2015, ses grandes sculptures Balloon Rabbit, Balloon Swan et Balloon Monkey, et Sonia Delaunay au Musée d'art moderne de Paris en février puis à la Tate Modern de Londres, du 15 avril au 9 août 2015. À Venise, le Guggenheim présentera
« Azimut/h,» une exposition dédiée à la galerie et à la revue créée en 1959 par Piero Manzoni et Enrico Castellani, visible du 20 septembre 2014 au 19 janvier 2015.

Bien que le marché semble loin de faiblir, certains indicateurs, bien loin des ventes record faisant la une des journaux, nous montrent que les prix très élevés ne sont pas toujours synonymes de revenus importants. Le marché est à un tournant, aussi bien technologique que géographique, et ceci a pour conséquence de laisser la chance
à de nombreux nouveaux acteurs de l'intégrer.

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Commentaires 4
à écrit le 19/09/2014 à 8:14
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Je ne vois sur la photo que suffisance, infatuation et médiocrité. Etonnant, non?

à écrit le 17/09/2014 à 11:25
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Il n'y a pas un marché de l'art, mais des marchés de l'art. En art contemporain, les artistes majeurs mondiaux vont continuer à voir des prix très importants, et au contraire, les artistes nationaux locaux sont quelquefois trop chers et il y aura du ...

à écrit le 17/09/2014 à 0:07
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Si Versailles m'était conté... avec les bons outils et du talent, avant.

à écrit le 16/09/2014 à 16:34
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mais où sont les artistes français ?

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