Psychanalyse de la prospective des Présidents

La stratégie est un choix, la prospective est une ouverture. Lorsque l’on sait que le futur est tout sauf certain, la France doit s’ouvrir aux futurs afin de choisir sa stratégie. C’est le problème qui ressort avec le rapport de Jean Pisani-Ferry sur la France en 2025. Le sujet traité est : comment sauver la mère patrie… et non pas quelle France voulons-nous dans vingt ans.
Jean Pisani-Ferry a remis son rapport « La France dans dix ans » au Président. Reste à savoir

Jean Pisani-Ferry a remis son rapport « La France dans dix ans » au Président. Pisani-Ferry est intelligent. Comme Attali. Comme Gallois. Comme Camdessus. Depuis plus d'une vingtaine d'années, il y a eu une vingtaine de rapports, commandés par tous les présidents successifs. Tous ces rapports font le même diagnostic -depuis une vingtaine d'années la France décroche... - et apportent peu ou prou les mêmes réponses avec une nuance dans la méthode : Pisani-Ferry préconise des réformes par paquets. Globalement, les réponses sont identiques.

Pourquoi donc Mitterrand, Chirac, Sarkozy, et probablement Hollande enterrent-ils ces rapports intelligents ?

 

  • Chaque président est préoccupé par sa réélection ou l'image qu'il laissera dans l'histoire. Sincèrement, entendre que Hollande pense battre l'UMP pour se trouver au second tour face à Le Pen en 2017 est un scandale absolu. Si chaque président se juge sur cette base, c'est que le futur ne lui importe pas, même si le discours le fait croire.

  • Le futur fait peur en France. Penser le futur, c'est faire de la prospective, c'est avoir une vision. Aucun de ces présidents n'a de vision (si ce n'est Mitterrand pour son premier mandat). Faites l'essai : quelle est pour chacun de ces présidents la vision de la France à 20 ans ? L'exercice à dix ans fait l'été passé était tellement insignifiant voire ridicule, que personne n'ose s'y référer. La Corée, la Chine, la Colombie, le Qatar ... ont une vision. On peut ne pas la partager mais elle existe. C'est un drapeau qui donne un but au pays, au peuple, aux entreprises.

  • Le mot prospective est incompris. L'ancien commissariat au plan change régulièrement de nom. Sarkozy en avait fait un secrétariat d'état à la prospective et à l'évaluation. Il ne fit que de l'évaluation. Hollande en fait « France stratégie ». Or la stratégie est un choix, la prospective est une ouverture, clairement, la décision est de fermer les ouvertures. Lorsque l'on sait que le futur est tout sauf certain, la France doit s'ouvrir aux futurs afin de choisir sa stratégie. D'ailleurs, c'est ce qui ressort de ce rapport de Pisani-ferry : comment sauver la mère patrie... et non pas quelle France voulons nous dans vingt ans. Ce n'était d'ailleurs pas la question.

  • S'il y avait une vision, on sortirait la tête du silo, de la pensée unique. Deux exemples  chacun des rapports ont dénoncé la lourdeur du code du travail, la hausse continue du prix des logements en France notamment face à l'Allemagne. Entendre le ministre de l'économie et des finances, Michel Sapin, ancien ministre du travail, dire que le code du travail doit être écrit plus petit pour être moins gros, c'est ... (je vous laisse mettre le mot que vous voulez). Avoir un ministre du logement, Cécile Duflot, responsable depuis deux ans de la hausse continue des loyers, de dizaines de milliers de chômeurs dans le bâtiment, twittant que ces propos sont une affaire de lobby, c'est plus qu'affligeant.

  • Alors pourquoi cette répétition d'erreurs ? Ces rapports rassurent nos présidents : « s'ils ont été commandés à des gens intelligents, c'est que, moi président, je suis intelligent. Et comme je suis jugé sur le présent, moi président, je fais enterrer le rapport ». Le rapport rassure non seulement le président, mais notre système de pensée unique, notre exception française. « Puisque nous sommes d'accord sur le diagnostic, et puisque nous sommes masochistes, restons-en là puisque moi-même je vais bien et ne vais pas me remettre en cause ». Plus les années avancent et plus l'ampleur de la tâche grandit et fait peur au président. Le nez sur les sondages de popularité, chaque président n'a eu de cesse d'inverser la courbe plutôt que de réformer. Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande n'ont fait aucune réforme courageuse, ils ont fait des demi-réformes pour être réélu ou avoir une place dans l'histoire. Or mathématiquement, multiplier des nombres inférieurs à un, ne fait pas croitre.

 

La prospective n'est peut-être pas la seule réponse mais elle est un moteur. Elle force le courage et aide à agir en regardant loin pour échapper à la dictature du « 20 heures ». Nos présidents ne sont pas des gens stupides, bien au contraire. Comment les faire lever le regard ? C'est à cela qu'il faudrait réfléchir avant de rédiger des rapports intelligents sur ce qu'il faudrait faire pour sauver la France, sachant que rien ne sera fait.

Je repars en plongée.

_______

L'ouvrage le plus récent de Philippe Cahen :
Les Secrets de la prospective par les signaux faibles, Éditions Kawa, 2013.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.