Barcelone, une ville "intelligente" pour les femmes entrepreneures ?

Quatre françaises aux âges et activités variées témoignent de leur expérience d'entrepreneures à Barcelone, quelques heures avant les élections locales.
Marina Torre
Pascale Rousseau-Poirier, Laura Strelezki (de dos), Valérie Andrivet et Karine Marin racontent leur expérience d'entrepreneure à Barcelone.

Dans les rues de Barcelone, la présence d'affiches de campagnes apposées sur des lampadaires signale l'approche des élections municipales. Dimanche 24 mai, les Espagnols ainsi que tous les résidents européens sont appelés aux urnes pour l'un des nombreux scrutins qui parsèment cette année électorale chargée. Année qui, dans la capitale catalane, revêt un caractère particulier puisque les prochaines élections législatives en septembre doivent aussi servir de prétexte pour une éventuelle indépendance catalane. En attendant le maire sortant Xavier Trias (CiU), dans le même camp qu'Artur Mas, le patron de la Generalitat Catalane qui avait déjà défié Madrid avec le référendum de novembre 2014, espère une réelection.

Sur le plan local, la ville de Barcelone se vend comme un modèle de "smart city", dynamique et attractive pour les investisseurs étrangers. Elle cherche à y attirer petites et grandes stars des nouvelles technologies, notamment grâce au World Mobile Congress et au tourisme. Mais comment vivent au quotidien les principales cibles de cette communication, à commencer par les femmes, qui représentent l'un des leviers de croissance en Europe ?

Quatre entrepreneures françaises partagent leur point de vue. Toutes Barcelonaises depuis plusieurs années, elles ont chacune des parcours très différents.

  • Valérie Andrivet a entamé une nouvelle vie en créant son site internet Les Bons Plans de Barcelone, qui comme son nom l'indique fournit des tuyaux aux francophones de passage ou résidant dans la ville. Elle emploie une personne à temps plein et fait appel à des rédacteurs occasionnels.
  • Karine Martin, créatrice d'une agence de traduction est mariée à un Espagnol, à vécu dans plusieurs villes du pays dont Alicante.
  • Laura Strelezki, la plus jeune, fournit des conseils en communication et marketing aux entreprises espagnoles, notamment dans l'e-commerce qui souhaitent s'implanter en France, et inversement.
  • Patricia Rousseau-Poirier, importatrice et exportatrice de produits alimentaires de luxe travaille avec son mari dans une entreprise de 6 personnes.

C'est dans les locaux de cette dernière, dans une grande salle aux lumières tamisée à deux pas de la Plaça de Espana, où flottent des effluves d'épices, que se déroule la rencontre. Voyage express au sein de la communauté des entrepreneures françaises de Barcelone.

Pourquoi Barcelone?

Toutes citent la qualité de vie, le climat doux comme l'un des arguments forts pour s'installer dans cette ville. Des choix qui correspondent plus généralement à ceux des étrangers installés dans le pays. "Sur 5 expatriés interrogés, 2 disent s'être installés en Espagne pour améliorer leur qualité de vie", selon une enquête de la banque HSBC.

Mais, au cas par cas, d'autres arguments ont également contribué à ce choix chez nos quatre entrepreneures. L'une, par exemple, a réalisé que compte tenu de ses activités avec l'Espagne, il était plus intéressant financièrement de s'y installer. Ce n'est pas le cas d'une autre, qui, soutenue financièrement en France en tant que jeune entrepreneure, a choisi d'y immatriculer sa société.

Le NIE, sésame des résidents

L'installation dans la ville, n'est pas forcément de tout repos. Il faut en premier lieu obtenir un sésame, le NIE, numéro d'identification des étrangers.

"Lorsque l'on veut résider ici et que l'on n'a pas de travail, il faut montrer patte blanche, souscrire une assurance médicale, avoir suffisamment d'argent sur son compte. C'est un peu laborieux. Même pour quelqu'un qui vient de l'Union Européenne où, normalement,  la mobilité est facilitée", relève Karine Martin.

"Pour mon stagiaire, j'en ai besoin pour verser un bulletin de salaire", opine Pascale Rousseau-Poirier. "En 2001, quand je suis arrivée en Espagne, il existait déjà mais il était bien plus simple à obtenir", ajoute la première.

Les Français de Barcelone sont 50.000 - officiellement inscrits au Consulat et donc bien plus nombreux en réalité - , et forment une communauté relativement soudée.  Ils se retrouvent au sein de plusieurs organismes et associations, comme la Chambre de Commerce et d'Industrie de Barcelone, l'une des plus ancienne CCI de l'étranger, la "Pena des entrepreneurs", un réseau créé par l'un deux, Emmanuel Deleau. Mais le plus souvent, comme c'est le cas pour nombre d'expatriés français des grandes métropoles mondiale, c'est au Lycée Français qu'ils se croisent. Avant de créer son site de bons plans, Valérie Andrivet y était ainsi professeur. L'une des filles de Pascale Rousseau-Poirier a même suivi ses cours.

"Smart city?"

La ville se présente comme une "smart city" et a lancé notamment des appels d'offres pour améliorer éclairage, parkings ou offres de transports. Beaucoup plus concrètement, "ce qui est intelligent, ici, c'est la construction de la ville même!", exclame Karine Martin. Les rues en damier, la dénomination "côté mer" ou "côté montagne" rendraient les déplacements plutôt simples, estime de son côté Valérie Andrivet. D'autant que comme la ville est à taille humaine "on peut facilement se déplacer à pied" plutôt qu'en transports en commun ou en voiture.

Laura Strelezki, originaire de la Ville Rose, s'y rend souvent pour ses activités. Elle a en parti choisi la ville pour les liaisons internationales de transports. "Si vous voulez faire Toulouse-Rennes ou Toulouse-Grenoble, c'est impossible!", s'exclame-t-elle. Les autres opinent. "Lorsque je vais à Madrid, je peux y passer une journée en m'y rendant en train", note de son côté l'importatrice de produits d'épicerie fine.

Et pour les femmes?

Environ 18.000 Françaises vivent officiellement à Barcelone. Aucune des quatre participantes n'a intégré un réseau féminin ou une formation spécifiquement dédiée aux femmes en Espagne. "J'ai participé à une formation à Alicante et reçu 1500 euros, mais en tant que jeune entrepreneur car à l'époque j'avais moins de trente ans", indique simplement la traductrice-interprète."Je fais désormais partie de la Pena des entrepreneurs, au départ, il y a six ans nous n'étions pas nombreuses, cinq ou six femmes, j'avais peur que ce soit un milieu assez 'macho' mais ce n'était pas du tout le cas", raconte-t-elle. Echange de noms pour des fournisseurs, de conseils, bouche à oreille etc... le réseau se révèlerait même plus efficace qu'un site internet pour trouver des clients.

Concernant la difficulté d'exercer au quotidien leur activité dans un milieu masculin, elles font état d'expériences contrastées. "A Madrid, il y a parfois une perception de la femme encore très particulière", affirme l'une d'elles. "Tout dépend des secteurs", rétorque une autre. "Au sud de l'Espagne, dans le secteur du meuble, il y avait un machisme fou. Alors qu'au même endroit mais dans un autre milieu, il n'existait pas du tout", se souvient une autre. "J'ai eu quelques difficultés dans le milieu de la finance", avance une autre, "en particulier en France", ajoute-t-elle.  Une autre opine : "les seuls fois où j'ai eu affaire à des remarques déplacés, c'était avec des Français."

Etre mère à Barcelone

Concrètement, c'est plutôt l'accueil des enfants qui poserait problème. "J'ai des enfants de 8 et 2 ans", explique Karine Martin, "c'est très compliqué car l'école se termine à 16h00 et les activités extra-scolaires ou les casals [des crèches privées en été] coûtent très cher". Particularité du Lycée Français, école et maternelle sont situés à deux endroits différents de la ville. Pour s'y rendre, un bus est affrété, mais il est payant. L'ancienne enseignante, mère de trois enfants, avait choisi de faire la navette.

Dans ces conditions être indépendantes représente donc une opportunité de gérer son emploi du temps plus librement. Avec parfois le soutien de leur conjoint pour certaines d'entre elles. "A condition qu'il soit aussi à son compte, parce que s'il doit voyager beaucoup en tant que salarié par exemple, tu n'as pas le choix", relève une participante.

Coût de la vie

"Tout dépend du niveau de vie recherché. La scolarité pour les familles qui s'installent est très importante. Sans bourse, cela coûte environ 500 euros par mois et par enfant pour une scolarité qui finit à midi le mercredi, donc il faut engager une nounou par exemple", explique Karine Martin.

"Des amies espagnoles me taquinaient au début lorsque je cherchais un appartement, car je voulais un 'Attico' [dernier étage d'un appartement avec terrasse sur le toit], mais en voyant les prix, j'ai vite changé d'avis", raconte de son côté Patricia Rousseau-Poirier. Laquelle a rapidement vendu ses deux voitures après son arrivée. "La vie est plus chère ici par rapport au reste de l'Espagne", ajoute la première. "Beaucoup de gens arrivent ici en pensant que tout est formidable parce qu'il fait beau et que les gens sortent, ce qui est agréable, mais la réalité est un peu plus compliqué", ajoute Valérie Andrivet.

"J'ai surtout l'impression que pour les entreprises qui viennent s'installer ici, ce qui est intéressant, c'est le coût de la main d'oeuvre, qui est moins chère qu'en France", lance Laura Strelezki.

La vie pendant la crise

Ce coût plus faible de la main d'oeuvre est aussi l'une des contreparties de la crise et de la politique d'austérité qui s'en est suivie. La crise, justement, ces quatre témoins l'ont vécu de très près. Malgré leur haut niveau de qualifications, "des gens se faisaient licencier autour de moi toutes les semaines", explique Karine Martin.  "Lorsque l'on voit ses amis perdre leur emploi. Il devient impossible de ne pas être gagné par l'angoisse". Une autre se souvient des "rues où les magasins, les pharmacies, fermaient les unes après les autres. "

"Il y a eu les Indignados, mais avez-vous vu de larges manifestations ? Ils se sont tus. Je suis admirative, je les trouve très combatifs", interroge Patricia Rousseau-Poirier. "Il faut quand même se rappeler qu'ils ont connu la dictature il y a quarante ans", rappelle Karine Martin. "Les Espagnols ne se sont jamais plaints", observent-elles en coeur. Un état d'esprit résigné qui se résumerait dans l'expression "es lo que hay" ("c'est comme ça").

Deux ou trois emplois cumulés

La crise économique, elles en parlent au passé. Même si, comme ailleurs en Europe, des signes de reprise se font sentir en Espagne depuis quelques mois. Pourtant, la situation reste très compliquée, surtout pour les jeunes, touchés de plein fouet par le chômage. Laura Strelezki, qui a choisi d'immatriculer son entreprise en France car ayant alors moins de 25 ans, elle bénéficiait d'aides publiques raconte :


"J'ai des amis Catalans et étrangers, la moitié d'entre eux ont deux voire trois emplois. L'une de mes amies vit loin du centre, elle travaille chez H&M le dimanche, elle est coiffeuse la semaine et le soir, elle représente une marque d'alcool ; Mais elle me dit : c'est intense, mais ça ira mieux."

Opportunités

Certaines d'entre elles ont d'une certaine manière tiré parti de la situation, car, travaillant dans le secteur des exportations, elles bénéficiaient des tentatives des entreprises pour trouver à l'étranger des sources de croissance qu'elles ne trouvaient plus dans leur pays. "Certaines entreprises espagnoles, notamment des sites de e-commerce, considérant que le marché était saturé, que le pouvoir d'achat était trop bas, ont cherché à aller voir en France ce qui se passait", détaille Laura Strelezki. "Pour trouver des financements, ce n'est pas évident. L'une de mes productrices, qui fait du gaspacho a pu avoir une aide, mais c'était très compliqué", ajoute l'exportatrice de produits fins.

A l'inverse, pendant la crise, les capitaux étrangers ont afflué en Catalogne, augmentant de 50% entre 2008 et 2013,  selon des chiffres du Ministère de l'Industrie Espagnol transmis par la représentation du gouvernement Catalan à Paris. La région a capté une part croissante de ce flux. En effet, la part des investissements directs étrangers (IDE) en Catalogne représentait 8% du total des IDE en Espagne au début de la période, et plus de 20% en 2013.

Au total, l'an dernier, les entreprises françaises ont investi plus de 800 millions d'euros en Catalogne. Ce qui en fait les premiers contributeurs étrangers devant le Mexique et le Luxembourg. Et le deuxième par la présence physique de ses entreprises derrière l'Allemagne. A Barcelone même, les entreprises françaises, à commencer par les groupes comme Carrefour, Auchan, Schneider Electric ou Pierre et Vacances, ont investi au total plus d'un milliard d'euros au cours des huit dernières années.

L'interprète souligne en outre: "il y a aussi eu des Français qui venaient investir dans l'immobilier, c'est ainsi que j'ai eu de nouveaux clients particuliers pour traduire des documents administratifs".

"Rentrer" en France

Parties depuis plus ou moins longtemps de l'Hexagone, ces quatre Françaises ont gardé des liens avec le pays, dont elles louent  notamment le système de santé. Mais si Patricia Rousseau-Poirier considère "partir en France" lorsqu'elle s'y rend, Karine Martin, qui n'y "jamais vraiment vécu", considère toujours qu'elle "rentre chez elle". Valérie Andrivet, globe-trotteuse, qui a choisi de revenir définitivement vivre à Barcelone se considère partout ailleurs de son pays comme "une invitée".

"Dès que l'on travaille ici, les Français qui nous contactent pensent que nous sommes la porte d'entrée de Barcelone et que l'on peut tout faire !", s'amuse de son côté Laura Strelezki. Un constat partagé par les trois autres. De ces candidats français à l'expatriation, Valérie Andrivet en a même fait les nouvelles "cibles" de son site internet. L'une des participantes lui suggère même de franchiser le concept dans d'autres villes européennes.

Vote et indépendance

En tant que citoyennes européennes, elles peuvent exercer leur droit de vote à Barcelone. Celles qui le peuvent affirment qu'elles iront voter dimanche 23 mai. "En plus de s'inscrire sur les registres municipaux, il faut faire une demande supplémentaire en Catalogne", relève Karine Martin. Elle ajoute: "les étrangers ont plutôt tendance à voter pour les partis soutenant le maintien de la Catalogne en Espagne que l'inverse".

En novembre 2014, lors de la consultation sur l'indépendance, non reconnu par Madrid, Pascale Rousseau-Poirier a voté "si, no". Autrement dit "oui" pour que la Catalogne devienne un Etat, mais pas pour qu'il soit indépendant. Elle argue : "les chefs d'entreprises catalans que je côtoie, très Européens, sont nombreux à avoir fait la même chose. Mais c'est important de défendre l'identité catalane, c'est une belle culture. Je trouve que les régions autonome, c'est bien". Karine Martin rétorque:  "Economiquement, ce ne serait pas viable d'être indépendant, beaucoup de gens en oublient d'être réalistes". Pour l'hôte du jour "un réajustement du pacte fiscal", la contribution de la Catalogne au budget national, comparativement plus élevée que pour les autres régions, "serait normale aussi", répond la première. Autre élément de débat: la place de la langue catalane à l'école. Sur cet incessante question à Barcelone, Valérie Andrivet conclut : "ici, c'est tellement international, en fait ça ne pose pas vraiment de problème au quotidien, les gens parlent en catalan, on répond parfois en castillan..."

(article modifié le 26 mai 2015)

Marina Torre

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Commentaire 1
à écrit le 10/01/2022 à 11:50
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Merci pour cet article très intéressant que je découvre ce jour (10 janvier 2022). Je suis curieuse de savoir ce que sont devenues ces trois entrepreneures car j'envisage de déménager en Espagne, et éventuellement de devenir aussi entrepreneure. Est-...

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