LA TRIBUNE DIMANCHE - Depuis quelques semaines, nous assistons à une véritable guerre tarifaire, avec des offres très alléchantes par rapport au tarif réglementé de vente d'EDF. Comment est-ce possible ?
EMMANUELLE WARGON - Comme les cours de l'électricité baissent plus vite que prévu, ce dont nous pouvons nous réjouir, les fournisseurs alternatifs [autres qu'EDF] sont capables de proposer des tarifs attractifs en se couvrant sur le marché de gros. Ce n'était pas le cas pendant la crise, au contraire. EDF ne peut pas faire de même avec son tarif réglementé de vente [TRV]. Cette offre encadrée par les pouvoirs publics est calculée sur les moyennes de prix des deux dernières années [soit les pires]. Ce prix monte moins vite en période de crise, mais la contrepartie est qu'il redescend moins vite en sortie de crise. Il y a donc de la place en ce moment pour des offres de marché plus compétitives. Mais, attention, certains fournisseurs peuvent changer leurs tarifs à n'importe quel moment, à condition d'informer le consommateur par mail un mois avant. Résultat: certaines de ces offres semblent alléchantes au début et ne le sont plus après.
Pour éviter ce problème, quels conseils donneriez-vous aux consommateurs ?
Rappelons qu'environ 40 % des Français sont en offre de marché et, pour la très
grande majorité d'entre eux, tout se passe bien.
Pour bien choisir, il faut que les consommateurs regardent non seulement les prix, mais aussi les caractéristiques du contrat: sur quoi le prix est-il indexé? Le fournisseur peut- il changer le prix au cours du contrat ?
Il doit aussi se renseigner sur l'entreprise elle-même, en consultant le rapport annuel du médiateur national de l'énergie [MNE]. La dernière édition montre que les trois fournisseurs dont le taux de litiges est le plus élevé sont Elmy, Ohm Énergie et Mint. Sagiterre [marque commerciale : Chez Switch] a une interdiction d'acquérir de nouveaux clients, car la Commission de régulation de l'énergie [CRE] a constaté un impayé. Enfin, il faut rappeler que les particuliers ont toujours la possibilité de quitter un fournisseur à n'importe quel moment et ce sans frais de résiliation. Trois enquêtes pour soupçons d'abus sont également en cours au sein de la CRE.
Quelles sanctions encourent ces fournisseurs, parmi lesquels figurent Ohm Énergie et Mint ?
Nous leur reprochons d'avoir profité du droit des contrats très ouvert afin de recruter un maximum de clients aux printemps 2021 et 2022, puis de les avoir incités à partir chez d'autres fournisseurs à l'automne. S'ils ont fait ça, c'est parce que, avec le système actuel, disposer d'un certain nombre de clients l'été permet d'acheter de l'électricité à EDF à seulement 42 euros le mégawatt- heure, grâce au mécanisme de l'Arenh [accès régulé à l'électricité nucléaire historique]. En se débarrassant de leurs clients plus tard dans l'année, ils ont pu revendre cette électricité sur les marchés à des prix bien plus élevés. Nous avons saisi le Comité de règlement des différends et sanctions [Cordis] en début d'année. Il lui appartient désormais de notifier ou pas les griefs, et de se prononcer sur une sanction dans les semaines qui suivront. Nous attendons une décision en mars ou en avril. Les trois fournisseurs concernés encourent une amende pouvant aller jusqu'à 8 % de leur chiffre d'affaires. Les sanctions ne prévoient pas, en revanche, une interdiction de prendre de nouveaux clients. Une réflexion sur l'évolution des pénalités est tout à fait légitime.
L'émission Cash Investigation vient de révéler les pratiques trompeuses du courtier en énergie Énergies France. Comptez-vous agir ?
Je n'étais pas au courant des pratiques de ce courtier. La CRE n'est pas compétente
sur ce sujet puisqu'elle régule l'activité des fournisseurs d'énergie. Cela concerne plutôt les missions de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes [DGCCRF]. Néanmoins, nous ne restons pas les bras croisés. Je rencontre prochainement l'association professionnelle représentant les fournisseurs alternatifs, l'Anode, pour l'interroger sur les pratiques de ses membres vis-à-vis des courtiers. Je m'entretiendrai également avec le Syndicat des courtiers en énergie afin de mieux comprendre le modèle économique et les pratiques de ces entreprises. Cependant, la société qui a été mise en cause n'est a priori pas membre de ce syndicat.
Après tous ces abus, croyez-vous toujours aux vertus de la concurrence ?
Je répète que ces abus sont inacceptables, mais ils restent très minoritaires. La
concurrence sert à pousser les opérateurs à faire mieux en matière de qualité de service, mais aussi à progresser sur la fourniture d'énergie verte ou sur le pilotage de la demande, avec des offres tarifaires différentes selon les profils de consommation. En situation de monopole, il manquerait cette pression sur le fournisseur historique. Par ailleurs, je considère qu'un fournisseur alternatif ne doit pas forcément devenir producteur. Il doit simplement garantir qu'il peut s'approvisionner en énergie à hauteur de son portefeuille de clients, soit en la générant lui-même ou en nouant des contrats avec des producteurs, soit en achetant sérieusement sur les marchés. Par contre, il n'est pas normal que ces entreprises n'aient aucune obligation prudentielle. Il faut qu'on progresse là-dessus. Aujourd'hui, c'est la jungle. Si cela entraîne une diminution de leur nombre, ce sera une conséquence légitime. À terme, il y aura peut-être moins de fournisseurs, et ce ne sera pas forcément plus mal.
De quelles obligations parlez-vous ? Que faut-il imposer aux fournisseurs pour « nettoyer » ce marché ?
Nous voulons resserrer le droit d'autorisation de fourniture. Aujourd'hui, si vous souhaitez pénétrer ce marché, il y a peu d'obligations économiques ou financières qui vous incombent. C'est un vrai problème! Il faudrait imposer aux fournisseurs des règles prudentielles, comme pour les banques et les assurances: s'ils souhaitent accueillir des clients, ils devront prouver qu'ils se sont réellement couverts à l'avance pour les approvisionner. Par ailleurs, il faudrait clarifier le droit de la consommation s'agissant des contrats d'énergie. Nous proposons de créer trois catégories d'offres en dur, et pas plus : des offres à prix fixe, des offres indexées sur le tarif réglementé de vente qui se baseraient sur un chiffre calculé par nous, et des offres libres. Pour changer de catégorie, il faudrait un nouveau contrat. En outre, le mode de fixation du prix ne pourrait pas bouger pendant la première année. Le tarif devra être connu, sans aucune ambiguïté, lors de la souscription. Aujourd'hui, il existe des offres douteuses où les prix sont connus ex post! Tout cela devrait figurer dans le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique, qui devrait aussi renforcer nos pouvoirs de sanction en cas de manquement. Le texte devrait s'appliquer d'ici un an ou un peu plus. Nous serons alors mieux outillés pour faciliter la vie des consommateurs.
Sujets les + commentés