Fini le temps de l'électricité abondante, accessible au même prix et à n'importe quelle heure de la journée ? L'hiver dernier, pris de court par le risque imminent de coupures, le gouvernement avait appelé les ménages à la « responsabilité », les encourageant à reporter leur consommation en cas de tension sur l'approvisionnement. Chacun découvrait alors la campagne de communication « Je baisse, j'éteins, je décale » et l'application mobile Ecowatt, censée donner des indications sur l'état du réseau grâce à des signaux vert, orange ou rouge.
Version améliorée d'Ecowatt
Mais comme souvent, la crise a fait figure d'accélérateur. Plutôt que de se cantonner à des mesures d'urgence liées à la faible disponibilité du nucléaire, il s'agissait également de se préparer à la transition énergétique, dont les effets se font déjà sentir. Au Réseau de transport d'électricité (RTE), l'organisme chargé d'équilibrer à tout moment l'offre et la demande, on s'apprête à relancer une version améliorée d'Ecowatt pour cet hiver, alors même que le gestionnaire promet des risques « moindres » de coupure grâce à une situation « favorable ». Preuve s'il en fallait que le système énergétique a d'ores et déjà basculé dans une nouvelle ère, où le consommateur sera bien davantage mis à contribution.
Il faut dire que, pour se désintoxiquer du pétrole, du charbon et du gaz à l'origine d'un réchauffement des températures à l'échelle du globe, celui-ci n'aura, en réalité, pas d'autre choix. La France devra s'électrifier rapidement et massivement (+ 40 % d'ici à 2035), en s'appuyant de moins en moins sur les hydrocarbures, et de plus en plus sur les énergies renouvelables, comme l'éolien et le solaire. Or celles-ci présentent l'inconvénient d'être intermittentes, leur production variant en fonction de la météo. Alors que la demande ne suit pas la même courbe, « il faudra bien gérer cette variabilité », explique Xavier Piechaczyk, le président de RTE. Et pour cause : pour maintenir le système à flot, l'équilibre entre l'offre et la demande doit être assuré à chaque instant.
Certes, cet équilibre peut reposer sur davantage de moyens côté production, en développant des systèmes de stockage de l'électricité, par exemple, afin de réinjecter ce précieux courant aux moments critiques. Ou encore en faisant appel à des centrales à gaz lors des pics de consommation, puisque celles-ci ont l'avantage de pouvoir produire à n'importe quel moment. Mais plus on développera ce type d'infrastructures, plus cela coûtera au niveau global.
« Il ne serait pas logique demain de multiplier des moyens de production onéreux pour couvrir la pointe de consommation des Français entre 18 h 45 et 19 h 15 s'il est possible à moindres frais de faire baisser ce pic en modulant nos consommations », précise Xavier Piechaczyk.
Gérer la pointe
La gestion de la pointe devra donc s'appuyer en partie sur un changement de comportement des usagers, qui peuvent contribuer à « gérer les bosses et les creux » de la production en décalant leur consommation. Ce qui pourrait « faire baisser le coût global du système », selon le président de RTE. Cette nouvelle façon de consommer son électricité ne pourra se généraliser que par le biais d'incitations financières, à l'image du système de tarifs heures pleines et heures creuses mis en place il y a quarante ans pour encourager les Français à enclencher leur ballon d'eau chaude la nuit.
« Aujourd'hui, c'est bien ancré dans les esprits, mais ce n'est pas suffisant, dans le sens où encore beaucoup de Français ne sont pas sur ce système-là, prévient le patron de RTE. Ce mécanisme concerne environ 15 millions de consommateurs sur une assiette de 39 millions. On pourrait faire beaucoup mieux. »
Dans cette logique, les fournisseurs d'électricité, à la demande du gouvernement, se sont engagés à proposer de nouvelles offres tarifaires dites « dynamiques ».
L'exemple britannique
Demain, payer son électricité plus cher le matin et vers 19 heures, lors des pics de consommation, pourrait devenir la norme. Outre-Manche, un cap a déjà été passé. L'hiver dernier, près de 2 millions de ménages et de petites entreprises britanniques ont coupé volontairement leurs appareils gourmands en électricité lors des pointes en échange d'une rémunération. Au total, ils ont perçu plusieurs millions de livres. Le mécanisme doit être renouvelé cet hiver et le gestionnaire national réfléchit à sa généralisation.
« Il n'est pas question d'être dans un monde de privation et de pénurie », tient toutefois à rassurer le président de RTE. « Décaler ses consommations électriques peut être indolore », poursuit Xavier Piechaczyk, exemples à l'appui : « Un particulier peut programmer la mise en route de son chauffage dans l'après-midi pour trouver son appartement chaud quand il rentre chez lui et ensuite baisser le thermostat à partir de 18 heures, conservant la chaleur jusqu'à 21 heures avant de pouvoir rehausser la température. » Autres illustrations avec la programmation de son lave-linge à partir de 21 heures ou le fait de recharger sa voiture électrique l'après-midi, et non au retour de sa journée de travail.
Les particuliers pourraient même déstocker l'électricité contenue dans la batterie de leur voiture sur le réseau grâce à des bornes de recharge dotées d'une technologie bidirectionnelle. Ces bornes devraient encore rester minoritaires dans le parc à l'horizon 2035, mais « à terme, ce sera utile qu'elles se généralisent », pointe Xavier Piechaczyk. Demain, peut-être, aurons-nous tous cette double casquette de consommateur-producteur...
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